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Roi Henri IV le Grand, valois. Naissance, mort, couronnement, règne. Valois

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Rois, Présidents
Biographie des rois, empereurs, présidents français. Vie des souverains, faits essentiels, dates-clés. Histoire des règnes
Henri IV le Grand
(né le 13 décembre 1553,
mort le 14 mai 1610)
(Roi de France : règne 1589-1610)
Publié / Mis à jour le vendredi 5 février 2010, par LA RÉDACTION
 
 
Temps de lecture estimé : 35 mn
 

Henri IV est un des princes dont la vie est le mieux connue ; et pourtant on ne se lasse point de l’entendre raconter. Malheureusement nous n’avons à présenter ici qu’un abrégé ; et sur un tel sujet, il est difficile d’être précis sans encourir un reproche de sécheresse. Ferdinand le Catholique avait, par la fraude et la violence, envahi la plus grande partie du royaume de Navarre, sur le faible Jean d’Albret, qui devait la possession de cet État à sa femme Catherine, héritière de la maison de Foix. Henri d’Albret, petit-fils de ce malheureux prince, avait consumé sa vie dans d’inutiles soins pour rentrer dans son héritage.

En épousant la sœur chérie de François Ier, Marguerite, veuve du duc d’Alençon, il s’était ménagé un allié puissant ; mais François Ier avait déjà trop éprouvé les rigueurs de la fortune, pour prendre ardemment la cause d’un prince qui, sans le secours d’une armée, réclamait les droits les plus légitimes. Le roi de Navarre n’eut de ce mariage qu’une fille, Jeanne d’Albret, qui, dans sa jeunesse, retraçait les grâces, l’esprit vif et enjoué de sa mère, qui, depuis, montra la vigueur du plus grand caractère.

Roi Henri IV (1589-1610)

Roi Henri IV (1589-1610)

Elle fut mariée au duc de Vendôme, Antoine de Bourbon, issu en ligne masculine et directe du comte de Clermont, cinquième fils de Saint-Louis. Deux fils, fruit de cette union, avaient péri dans leur bas âge. Le troisième, qui fut Henri IV, naquit à Pau le 13 décembre 1553. Henri d’Albret vivait encore : la naissance de cet enfant le transporta de joie. On dit qu’il avait recommandé à sa fille de chanter en accouchant, pour ne par faire un enfant pleureux et rechigné ; que Jeanne eut le courage d’accomplir le vœu de son père ; qu’il emporta l’enfant, le frotta d’ail, et lui fit boire du vin, afin de lui former un tempérament robuste.

Henri d’Albret mourut dix-sept mois après la naissance de son petit-fils. Sa fille fut fidèle à toutes les instructions qu’il lui avait données pour l’éducation du prince de Béarn. Ses goûts n’étaient plus les mêmes ; elle devint appliquée, sérieuse, ne compta plus sur son mari, qu’elle voyait emporté par des penchants volages, et plaça toutes ses espérances dans son fils. Elle s’applaudissait de le voir rivaliser d’adresse et d’audace avec les jeunes Basques : elle le conduisait dans les chaumières, et assistait aux leçons qu’il recevait de son précepteur Florent Chrétien, l’un des hommes les plus instruits et les plus judicieux de ce temps.

Mais, au milieu de tels soins, elle se livrait à tout ce que l’esprit de secte peut avoir de plus ardent. Passionnée pour la réforme de Calvin, elle se plaçait, par son rare savoir, au rang des docteurs de cette école. Elle fit partager ses opinions à son mari ; et ce fut le seul sacrifice qu’elle en obtint jamais. Ce prince changeait de religion et de parti, presque avec la même facilité qu’il passait d’une maîtresse à une autre. Après avoir conspiré contre le roi François II, pour perdre les Guise, il aida les Guise à s’emparer de la personne du roi Charles IX, et ne cessa plus ni de les envier ni de leur obéir.

En 1562, il fut tué au siège de Rouen : la reine de Navarre, sa veuve, crut ne pouvoir trop réparer les rigueurs dont il avait usé envers un parti excité et fortifié par lui-même. Cette princesse, objet de la haine commune de Philippe II et de la régente Catherine de Médicis, avait sans cesse à craindre d’être enlevée par les émissaires de l’un ou de l’autre. Elle ne fut jamais moins tranquille que lorsque Catherine de Médicis, accompagnée du roi son fils, vint la visiter dans le Béarn ; c’était dans l’intervalle de la première guerre civile à la seconde (1565). Catherine, en partant, emmena le jeune Henri, prince de Béarn, et, paraissant charmée de l’esprit et des grâces de cet enfant, elle voulut qu’il fût élevé à la cour de France. La reine de Navarre ne respira que lorsqu’elle eut ramené son fils dans le Béarn.

L’esprit du prince se développait, et s’enrichissait de connaissances utiles et agréables. Il lisait avec avidité les Vies de Plutarque, traduites par Amyot ; et ce beau livre, inutilement entrepris pour élever l’âme des fils de Henri II, développa les grandes qualités d’un autre prince que la Providence appelait à régner sur les Français.

Les protestants, fatigués d’une paix dans laquelle ils étaient décimés, avaient renouvelé leurs agressions. La seconde guerre civile n’eut que de faibles résultats. Au commencement de la troisième, les protestants avaient été surpris : le prince de Condé, heureux d’avoir pu gagner la Rochelle, y languissait sans secours, et ne savait comment soudoyer un parti dont la valeur et la fureur même étaient enchantées par le dénuement. La reine de Navarre descendit des Pyrénées avec son fils, protégée par une escorte de deux cents gentilshommes, et portant avec elle un trésor, prix de ses domaines engagés et de ses joyaux vendus.

Le prince de Condé reconnut son chef dans le fils de son frère aîné. Cet acte de déférence de la part de ce prince ambitieux n’était point un sacrifice réel, puisque le jeune Henri, âgé de quatorze ans, ne pouvait rien régler par lui-même. On reprit l’espérance, on marcha ; et l’on ne rencontra que trop tôt, dans les plaines de Jarnac, l’armée royale commandée par le duc d’Anjou, frère du roi. Cette armée était remplie d’une noblesse ardente, d’officiers éprouvés, et surpassait, presque de moitié, celle des protestants.

Le prince de Béarn ne put obtenir de son oncle la permission de combattre. Il vit le prince de Condé, le bras en écharpe et la jambe fracassée, donner le signal d’une troisième charge : il eut la douleur de ne pouvoir s’élancer avec lui, et bientôt celle d’apprendre la mort ou plutôt le meurtre d’un prince dont la valeur avait été aussi brillante que fatale à sa patrie. Le duc d’Anjou profita mal de sa victoire. Coligny et la reine de Navarre réunirent leurs efforts pour lui en ravir les fruits.

L’armée protestante, qui n’avait perdu que le champ de bataille, s’anima d’une nouvelle ardeur, quand la reine de Navarre entra dans le camp, suivie du prince de Béarn et du jeune prince de Condé, et prononçant ces mots : « Voilà, mes amis, deux nouveaux chefs que Dieu vous donne, et deux orphelins que je vous confie. » Coligny devint, pour le jeune Henri, un nouvel instituteur et un nouveau père. Le brave Lanoue lui enseignait, par son exemple, toutes les vertus du chevalier.

Tout paraissait désespéré pour les protestants après la bataille de Moncontour : ils avaient à rougir de ce combat mal engagé et si mal soutenu ; et la perte énorme qu’ils avaient essuyée semblait avoir dissous leur parti. En quelques mois, Coligny parvint à les rendre maîtres du tiers du royaume. Il marchait sur Paris ; une maladie grave le força à quitter le commandement. Henri, auquel il le confia, prouva en toute occasion combien il avait profité à l’école de ce grand capitaine. Coligny, rendu à l’armée, permit au jeune prince de se livrer à toute son ardeur dans le combat d’Arnay-le-Duc, et Bourbon contribua beaucoup à la victoire.

On parla de paix. Les protestants obtinrent d’immenses avantages. La cour ne semblait plus occupée qu’à leur complaire il s’agissait d’attirer tous les chefs à Paris. Charles IX, qui avait si longtemps tremblé devant Philippe II, se montrait résolu à lui ravir les Pays-Bas, armés depuis plusieurs années contre son oppression. On faisait des préparatifs par terre et par mer ; les généraux étaient nommés : Coligny ne sortait point encore de la Rochelle.

La cour proposa le mariage du prince de Béard avec Marguerite, sœur du roi. La reine de Navarre se rendit à la cour ; et Charles IX la reçut avec une déférence filiale. Coligny suivit l’exemple de la reine, et fut accueilli avec la plus tendre vénération : on lui promettait toute la puissance d’un premier ministre. Les protestants affluaient dans la capitale, où leurs têtes avaient été si souvent mises à prix.

La reine de Navarre gémissait pourtant du sacrifice que commandait la paix générale. Les mœurs de la cour révoltaient son austérité. Comme elle revenait de faire des emplettes pour les noces prochaines de son fils, elle fut atteinte subitement d’une maladie violente, et succomba, au bout de cinq jours, aux douleurs les plus aiguës. Des bruits d’empoisonnement se répandirent : Coligny refusa d’y croire.

Le nouveau roi de Navarre, navré de la plus profonde douleur, n’obtint que peu de temps pour s’y livrer. On continuait les préparatifs de son mariage. La magnificence en fut peu commune ; les jeux en furent sinistres. On avait arrangé un bizarre tournoi, dans lequel Henri se présentait pour disputer l’entrée du Paradis, et était repoussé dans l’Enfer : Mercure et l’Amour venaient l’en délivrer. De quelle horreur ce prince ne fut-il pas pénétré lorsqu’il apprit, trois jours après, que l’amiral de Coligny, revenant à pied du conseil, avait été blessé dangereusement d’un coup d’arquebuse !

Le soir, les protestants s’assemblèrent chez le roi de Navarre. Plusieurs d’entre eux parlaient de quitter en armes une ville où tout leur annonçait un massacre prochain. Les plus magnanimes furent les plus confiants : ils avaient été témoins de l’alarme du roi, lorsqu’il connut cet attentat ; on commençait des poursuites rigoureuses contre les meurtriers. Toutefois le calme des Guise paraissait suspect.

Le lendemain, les seigneurs protestants étaient réunis au Louvre auprès de Bourbon, et proposaient des avis divers. Un coup de pistolet, et, bientôt après, le son du tocsin, frappent leurs oreilles. Des gardes viennent saisir le roi de Navarre et le prince de Condé. On les enferme : leurs compagnons sont massacrés dans le palais du roi. Henri entendait les gémissements, les cris d’horreur de ses amis mourants, et s’attendait à partager leur sort, lorsqu’au point du jour il est conduit, avec son cousin, devant Charles IX.

L’aspect de ce monarque était terrible : agité de toutes les convulsions du crime, il leur raconta, d’un air de triomphe, tous les massacres exécutés par ses ordres, leur apprit, avec un rire féroce, la mort de Coligny, que la veille ils l’avaient vu tous deux presser dans ses bras. « Je veux, ajouta le roi, qu’il ne reste plus en France aucun rebelle, aucun hérétique ; ma bonté, un reste de pitié pour votre âge, me force à vous épargner ; mais il faut rentrer, sur-le-champ, dans le sein de l’Église ou mourir. » Les deux princes cédèrent à la force, mais ne songèrent qu’au moyen d’échapper aux bourreaux de leurs amis.

Charles IX, après la Saint-Barthélemy, était effrayé de sa cour, de ses complices et de lui-même. La vue du roi de Navarre semblait lui rendre quelque calme ; il en était réduit à se féliciter de n’avoir pas commis un fratricide. Quelquefois il entraînait ce prince dans des débauches et des courses nocturnes, par lesquelles il cherchait à s’étourdir. D’un autre côté, Catherine de Médicis tendait au jeune Bourbon tous les pièges de la corruption dont elle tenait école. Elle voulait avilir celui dont elle n’avait pu résoudre ou obtenir la mort.

Henri ménageait ses tyrans ; mais il méditait sa fuite, et il était venu à bout d’engager dans ses projets le duc d’Alençon, troisième frère du roi. La cour était à Saint-Germain. Un officier, nommé Guitri, dévoué au roi de Navarre, se tenait prêt, avec cinquante hommes, à recevoir dans la forêt les deux princes fugitifs ; mais le duc d’Alençon, effrayé de cette entreprise hardie, vient lui-même, auprès de sa mère, se rendre le dénonciateur de tous ses compagnons. Les deux princes sont arrêtés, ramenés à Paris, et gardés à vue dans leur appartement, dont on fait une prison.

La cruauté de Charles IX était assouvie : atteint d’une langueur mortelle, en proie à la défiance, et surtout aux remords, il gémit de ce qu’on ne le laissait pas mourir en paix. Deux compagnons du duc d’Alençon, Lamôle et Coconas, eurent la tête tranchée. Le procès du roi de Navarre s’instruisit : un parlement que la terreur avait forcé de remercier le roi à la suite des massacres de la Saint-Barthélemy, était chargé de juger un prince qu’on s’étonnait d’avoir épargné. Le chancelier Birague se présenta pour l’interroger, accompagné de plusieurs commissaires. « Je suis roi, leur répondit Henri, je n’ai rien à vous répondre, je ne souillerai point le nom de roi en subissant un interrogatoire. Mes amis ont été égorgés sous mes yeux, j’ai voulu fuir ; je n’ai point de complices : je donne des ordres à mes serviteurs ; je ne séduis, je ne trahis personne. Continuez vos procédures ; je n’y prends aucune part. Le parlement de Paris doit réfléchir avant d’instruire le procès d’un roi. »

Birague, Italien pervers, qui avait conseillé la Saint-Barthélemy, fut ébranlé par cette fermeté inattendue. Catherine de Médicis parut incertaine. Cependant Charles IX mourait en rendant le sang par tous les pores ; il ne donnait plus aucun ordre. On fut surpris de le voir demander, à ses derniers instants, le prince qu’il tenait dans les fers. Henri, qui s’attendait à de nouvelles fureurs du monarque, fut confondu de s’entendre adresser par lui des paroles pleines d’amitié. Charles IX lui confiait ses derniers vœux, ses intérêts les plus chers, et pourtant le laissait livré à ce qu’il plairait à la reine d’ordonner de son sort.

Il mourut le 30 mai 1575. Le duc d’Anjou, fameux par les deux victoires de Jarnac et de Moncontour, héritier du trône de France, occupait alors le trône électif de Pologne. Catherine de Médicis, une troisième fois régente, épargna le roi de Navarre. Son autorité n’était point assez affermie pour qu’elle osât se permettre de la signaler par le meurtre juridique d’un roi. Les protestants avaient repris les armes : l’indignation leur redonnait plus de force qu’un effroyable massacre ne leur en avait fait perdre.

Une quatrième paix que Charles IX lui-même avait été forcé de signer avec eux, était déjà enfreinte. Henri III s’échappa, comme un déserteur, de la Pologne, qui l’avait élu sur la foi de sa renommée, et il marqua son long voyage par les prodigalités et les caprices extravagants qui allaient remplir tout son règne. La reine mère vint le trouver au Pont de Beauvoisin, frontière du royaume en Dauphiné ; elle était accompagnée du roi de Navarre, et du duc d’Alençon, qui, malgré son repentir, restait encore prisonnier.

Catherine intercéda pour eux : le roi, qui leur avait fait d’abord un accueil sévère, finit par les embrasser, et voulut le lendemain communier avec eux. Le roi de Navarre, libre, mais surveillé avec soin, parut avoir renoncé à tous projets politiques. Henri III, qui semblait l’aimer, lui fit pourtant, un jour, la proposition la plus insidieuse et la plus atroce. Il s’était persuadé que le duc d’Alençon avait voulu l’empoisonner après s’en être plaint au roi de Navarre, il le conjura de tuer ce prince dans le Louvre même, et lui offrit ses propres gardes pour l’aider dans cet attentat.

Henri de Bourbon rejeta une telle proposition avec horreur, et justifia vivement le duc dont il était envié et haï. Les protestants croyaient Henri perdu pour eux ; ses amis les plus fidèles gémissaient de la mollesse a laquelle il paraissait s’abandonner. Une nuit, d’Aubigné, l’un de ses gentilshommes, l’entendit soupirer, en récitant quelques versets d’un psaume dans lequel David déplore la dispersion de ses amis. D’Aubigné, reconnaissant à ces paroles, qu’Henri sentait toute l’amertume de sa position, tira les rideaux de son lit, et lui tint le discours le plus véhément pour l’engager à la fuite. Henri se plaignit d’avoir été mal jugé par ses amis, et apprit à d’Aubigné qu’il touchait au moment de tenter encore une fois sa délivrance.

En effet plusieurs seigneurs catholiques, jaloux des préférences scandaleuses que Henri III accordait à ses mignons, avaient promis au roi de Navarre de l’aider, et même de l’accompagner dans sa fuite. Fervaques, l’un d’eux, ayant commis une indiscrétion, fut trahi par sa maîtresse. Henri de Bourbon était sorti de Paris sous prétexte d’une partie de chasse, et attendait à Saint-Germain les gentilshommes qui devaient venir le joindre.

Le même soir, le roi, averti du complot, interrogea sévèrement Fervaques, dont il tira beaucoup d’aveux. Cependant, ce seigneur, que le roi laissait libre, donna l’alarme à ses compagnons ; et dans cette même nuit, ils partirent pour Saint-Germain. Le roi de Navarre avait auprès de lui deux gentilshommes, dont la reine mère avait fait ses surveillants : on proposait de les tuer ; Henri s’opposa fortement à ce meurtre, et les chargea d’aller annoncer au roi qu’il se mettait en route pour te justifier. Débarrassé de ses deux surveillants, il s’échappe ; sa troupe le suit. Comme il était arrivé à Poissy, un bateau, qui avait été commandé, se fit longtemps attendre.

L’irrésolution et bientôt le repentir se manifestèrent dans la troupe : Henri déclara qu’il mourrait plutôt que de revenir sur ses pas. Le bateau se présente après avoir traversé la Seine, on s’enfonce dans une foret épaisse ; le surlendemain on gagne Alençon, ville de l’apanage du frère du roi, et l’on s’y crut en sûreté. Le duc d’Alençon ne tarda pas à s’évader lui-même : une partie de la noblesse se prononça pour lui.

A la faveur de ces nouveaux troubles, Henri passa d’Alençon à la Rochelle, et il rentra parmi ses frères les protestants. Il lui tardait de reconquérir le Béarn ; à peine y parut-il, suivi de quelques gentilshommes, que ses anciens sujets volèrent au-devant de leur prince chéri, et lui aidèrent à conquérir par les armes une partie de la Guyenne. Cependant la reine mère négociait avec son fils rebelle. Henri III et son frère signèrent une paix honteuse. Le duc d’Alençon, tout occupé de ses avantages personnels, avait peu stipulé ceux du roi de Navarre.

Cette paix avait rendu Henri III méprisable à ses sujets. Henri de Guise se mit à la tête des catholiques mécontents. Les états de Blois, qui s’assemblèrent, devinrent les organes de ses plaintes et les instruments de son ambition. On prêta de nouveaux serments de haine et d’extermination contre les protestants : la Ligue se forma.

Henri III crut avoir fait tout ce que la politique a de plus habile, en se déclarant chef de cette ligue, afin d’en ravir l’empire au duc de Guise : mais il obéit à une partie de ses sujets armée contre l’autre ; et lorsqu’il essaya de briser le joug qu’il s’était imposé, ses sujets le traitèrent comme un rebelle. Le roi de Navarre n’avait plus à compter que sur ses propres forces ; elles consistaient dans le secours de 4 à 500 gentilshommes ou soldats, les uns catholiques, les autres protestants. Il maintint leur union, excita leur zèle ; et par la rapidité de ses courses, par l’audace de ses attaques, il prévint les grands préparatifs qui se formaient contre lui.

Jamais il ne consultait le nombre de ses ennemis. Il chargeait le premier, à la tête d’un escadron, qui faisait presque toute son armée, épargnait les villes soumises, et celles même qui lui avaient opposé une longue résistance. Il y eut un jour un soulèvement général contre lui dans une ville où il entrait en vainqueur ; on criait de tous côtés : Tirez en panache blanc. Bourbon, qui avait tenu tête à cette multitude, fut secouru par un renfort.

Comme il s’agissait de punir les séditieux, il crut exercer une vengeance assez sévère en faisant pendre un seul homme. La corde cassa : « Grâce, dit-il, à ceux que le gibet épargne ! » A la fin de la campagne il occupait beaucoup plus de villes qu’au commencement. Henri III, d’ailleurs, ménageait pour la première fois son beau-frère, parce qu’il craignait de donner trop d’avantages au duc de Guise. Il paraissait s’être enfin convaincu de la nécessité d’accorder à ses sujets la liberté de conscience.

Une paix, qui fut suivie de l’édit de Poitiers, aurait peut-être terminé le long cours des guerres de religion, si l’Espagne et le duc de Guise eussent pu consentir, l’une à laisser du repos à la France, et l’autre à laisser du repos à son roi. Bourbon, qui voyait combien Henri III était peu obéi, crut devoir rester sous les armes. Catherine de Médicis, pour les lui faire poser, vint le chercher dans son camp auprès de Nérac : elle amenait avec elle un essaim de jeunes et belles personnes, dont elle employait la coquetterie, les faiblesses, les prostitutions au gré de sa politique.

Elles réussirent à détacher du roi de Navarre plusieurs des seigneurs catholiques qui s’étaient voués à sa fortune, tels que Fervaques, Lavardin et Duras. L’une de ces dames obtint un plus grand succès, en séduisant un vieux gouverneur de la Réole, qui eut la lâcheté de livrer ce fort à Catherine de Médicis. Bourbon en apprit la nouvelle au milieu d’un bal que lui donnait la reine mère. Il se garda bien de témoigner aucune émotion ; mais, en sortant du bal, il appela ses plus vaillants gentilshommes, et vint à leur tête s’emparer, dans cette même nuit, de la ville de Flamarens.

La guerre se ralluma : Henri conçut une entreprise audacieuse, celle de surprendre la ville de Cahors, défendue par une forte garnison, et par Vexins, gouverneur aussi vigilant qu’intrépide. Après avoir fait faire à sa troupe une marche de dix lieues par un soleil brillant, il se tient en embuscade sous des noyers, et attend que la nuit favorise son entreprise. Il fait sauter une des portes par le moyen d’un pétard ; il entre dans la ville, lui septième : un détachement de 100 hommes le suit ; un autre de même force garde la campagne, pour empêcher les secours que doit recevoir la place.

Le bruit de l’explosion a donné l’alarme au gouverneur ; sa troupe est sous les armes : les habitants de Cahors font pleuvoir les pierres et les tuiles sur les assaillants. Vexins est tué, après avoir donné la mort à plusieurs compagnons du roi. La défense continue ; le jour paraît : Bourbon n’a emporté qu’une faible partie de la ville. On le conjure de se retirer : « Point de retraite » s’écrie-t-il. Les pieds écorchés, couvert de contusions, il combat, adossé à des boutiques.

On lui apprend qu’un renfort arrive à la garnison ; on le conjure encore une fois de se retirer : « Non, dit-il, ma retraite hors de cette ville sera celle de mon âme hors de mon corps. » La troupe qui venait au secours de Cahors est battue et dispersée ; mais il faut faire le siège, non plus de chaque rue, mais de chaque maison. Enfin, ce n’est qu’à la cinquième nuit que Cahors est soumise.

Cette conquête avait de l’importance ; mais c’était surtout la manière dont elle avait été opérée qui fondait la puissance de Henri. On n’avait jamais entendu parler d’une telle obstination de courage, même en France, même au milieu des guerres civiles. Le maréchal de Biron, le militaire alors le plus renommé, fut chargé de combattre le roi de Navarre. Henri montra, dans une guerre savante, toute l’étendue de ses talents militaires. Guise n’attribuait les revers de l’armée royale qu’à la faiblesse ou à la trahison du roi. Il avait quitté Paris, mais en méditant un éclat terrible : un manifeste, où la rébellion se couvrait du voile du fanatisme, déclarait le plan de la ligue.

La Champagne et la Picardie étaient déjà soulevées. Henri III tremblait dans Paris, et n’osait appeler le roi de Navarre à son secours. Habitué à céder, il plia encore une fois sous le duc de Guise, et se fit l’allié de son plus mortel ennemi. Quand Bourbon connut le traité de Nemours, qui renfermait les conditions de cette alliance, il désespéra pour la première fois de sa fortune. A la suite d’une rêverie où il était resté immobile, la tête appuyée sur les mains, la moitié de sa barbe avait blanchi.

Un rayon d’espoir se présente à lui ; le maréchal de Montmorency, gouverneur du Languedoc, a la générosité d’appuyer un prince qui va être assailli par une armée de 80 000 combattants. Henri vient le trouver par des sentiers détournés, concerte avec lui ses mesures ; et tous deux, sans rien écrire, se donnent la foi de chevalier. Le pape Sixte-Quint s’est décidé à lancer contre le roi de Navarre une bulle d’excommunication.

Désormais il n’y aura plus de frein à la fureur dont les catholiques sont animés contre lui. Bourbon ne néglige rien pour faire tête à l’orage : il veut dessiller les yeux d’un monarque faible et d’un peuple frénétique. Ses manifestes, ses lettres au roi, à la noblesse, au tiers état, sont animés de cette éloquence du cœur, dont l’art ne peut égaler ni remplacer l’effet. Afin d’éviter l’effusion du sang qui doit suivre ce grand choc, il envoie un cartel au duc de Guise, qui refuse de répondre à cette sommation de l’honneur.

Quelques gentilshommes sont restés autour de lui ; mais il n’a rien pour les solder. La belle Corisande, qu’il aimait alors de la passion la plus tendre, engage ses domaines pour le secourir. Rosny entreprend le voyage le plus périlleux, pour vendre ses bois de haute futaie, et en apporter le prix à son maître, déjà son ami. 40 000 hommes, sous le commandement du duc de Mayenne, frère du duc de Guise, viennent investir le roi de Navarre, qui n’en a pas plus de 4 000 sous les armes ; une autre partie de l’armée catholique presse le prince de Condé dans le Maine ; une troisième partie attaque Montmorency dans le Languedoc.

Henri voyait le duc de Mayenne procéder lentement dans ses attaques : il crut pouvoir se rendre dans le Béarn auprès de la comtesse de Guiche. Mayenne en fut instruit, fit une diligence inaccoutumée, et peu s’en fallut qu’il ne cernât le roi de Navarre dans le château de la comtesse, aux environs de Pau. Henri, un peu confus de sa faute, n’est point étourdi de son danger ; il s’évade lui troisième : d’Aubeterre, jeune officier, qui aperçut ce prince passant une rivière à gué, feignit de ne pas le reconnaître, et dirigea sa troupe d’un autre côté ; enfin Henri a pu gagner Nérac, sa ville principale.

On l’y assiège ; il sent l’impossibilité de s’y défendre longtemps : il redouble d’audace, tente des sorties, tient les assiégeants en haleine, se montre une nuit sur le rempart, à la lueur des flambeaux, et parait disposé à faire une sortie nouvelle. Les assiégeants portent leurs forces sur le point menacé ; mais, pendant ce temps, Henri sort par une autre porte, enfonce avec ses troupes les lignes peu épaisses des ennemis, bat plusieurs détachements dans la campagne, et arrive à Sainte-Foy, où il a donné rendez-vous à tous les siens. Son armée s’élève à 3 000 hommes et se croit invincible.

Il reprend en une nuit des villes qui ont coûté trois mois de siège à Mayenne : puis, changeant de marche, il se dirige vers le Poitou, pour s’appuyer sur la Rochelle : il assiège Fontenay. Les magistrats de cette ville, après avoir soutenu un terrible assaut, demandent à parler au roi de Navarre. Henri dicte les articles de la capitulation. « Pourquoi écrire ? disent les magistrats ; la parole du roi de Navarre suffit. »

Les princes protestants d’Allemagne s’étaient fait un devoir de secourir ce prince belliqueux. Henri III, réveillé un moment de sa léthargie, part pour s’opposer à l’invasion de ses frontières. Joyeuse, l’un de ses favoris, est chargé d’aller combattre le roi de Navarre. Bourbon marche à sa rencontre : deux armées catholiques le suivaient par derrière. Il prend position dans la plaine de Coutras, auprès du confluent de l’Isle et de la Dronne. Joyeuse est transporté de joie en apprenant que Henri accepte le combat ; il rassemblait autour de lui l’élite des maisons les plus illustres et les plus opulentes.

L’or brillait dans son camp : on ne voyait que fer dans le camp de Bourbon. Deux princes du sang étaient à ses côtés ; l’un le prince de Condé, l’autre le comte de Soissons, tous deux fils du héros tué à Jarnac. Avant la bataille, Henri s’adressant à ses deux cousins : « Il n’est pas besoin ici de longues paroles, leur dit-il ; souvenez-vous que vous êtes Bourbons, et vive Dieu ! je vous montrerai que je suis votre aîné. - Et nous, repartit Condé, nous vous montrerons que vous avez de bons cadets. »

A huit heures du matin le canon tire ; Joyeuse avait disposé son artillerie sur un terrain peu favorable : celle du roi de Navarre, qui consistait en trois canons, fit de grands ravages dans les rangs ennemis. Joyeuse ordonne la charge ; ses jeunes compagnons déploient une valeur héroïque : l’avant-garde des protestants plie, mais parvient à se rallier. Le roi de Navarre s’élance avec ses deux cousins ; il aperçoit Joyeuse, et court à sa rencontre : « Écartez-vous, crie-t-il à ses compagnons, ne m’offusquez pas ; je veux paraître. » Il arrache de sa main un drapeau. Joyeuse, accablé de cette charge, ne peut se décider à la retraite. L’un de ses frères meurt à ses côtés. Emporté dans la mêlée, et séparé des siens, il reçoit le coup mortel.

La victoire est certaine : « Plus de sang, s’écrie Henri ; ils sont braves, ils sont Français : recevez-les tous à merci. » La fureur des soldats s’arrête. Artillerie, drapeaux, bagages, tout restait au pouvoir des vainqueurs. Henri vint le soir souper au château de Coutras : les cadavres des deux Joyeuse étaient exposés nus ; quelqu’un osa plaisanter sur leur malheur : « Silence, messieurs, leur dit Henri avec sévérité ; ce moment est celui des larmes, même pour les vainqueurs. »

Il ordonna que leurs restes fussent portés au roi ; et, avant de se coucher, il lui écrivit une lettre dont voici le début : « Sire, mon seigneur et frère, remerciez Dieu ; j’ai battu vos ennemis et votre armée » (1587). L’indiscipline se manifesta pour la première fois dans l’armée de Henri après la victoire de Coutras. Des gentilshommes, harassés de fatigue, reprirent le chemin de leurs châteaux. Henri ne put venir au-devant de l’armée protestante, qui s’avançait vers lui à travers la Champagne et la Bourgogne.

Le duc de Guise battit en deux rencontres cette armée étrangère, qui, consumée par la faim, se rendit à discrétion. Mais la victoire de Coutras établit solidement Henri dans plusieurs provinces de l’Ouest et du Midi. Tout l’effort de la Ligue était maintenant dirigé contre Henri III. Guise, aidé d’une populace furieuse, l’assiégea dans le Louvre : le monarque s’échappa, en abandonnant aux chefs de la Ligue la capitale et ses provinces.

Pour préparer sa vengeance il feignit une réconciliation avec le duc de Guise, entretint sa présomption et sa sécurité, et le fit assassiner, en 1588, au château de Blois, pendant la tenue des états. Ce meurtre, suivi de celui du cardinal de Guise, souleva tout le royaume. A peine sept villes restaient-elles fidèles au roi de France. La nécessité le força de recourir au roi de Navarre, qui, par la mort du duc d’Alençon, était l’héritier présomptif de la couronne. L’entrevue des deux monarques eut lieu au château du Plessis-lès-Tours : la cordialité l’enjouement et la confiance héroïque de Bourbon relevèrent l’âme abattue de Henri III.

Bientôt on n’entendit plus parler que des exploits et des conquêtes de l’armée des deux rois. Crillon, Lenoue, d’Aumont, le maréchal de Biron, Châtillon fils de Coligny, réunis maintenant sous les mêmes étendards, combattirent avec une vigueur digne de celle de Bourbon. Les deux rois marchèrent sur Paris ; et déjà ils menaçaient cette ville des hauteurs de Saint-Cloud, lorsqu’un moine fanatique enfonça dans le cœur de Henri III, un couteau dont on croit que l’avait armé la duchesse de Montpensier, sœur du duc de Guise (1er août 1589).

Les feux de joie allumés par les Parisiens, à la nouvelle de cet attentat, firent connaître à Bourbon, devenu roi de France par la mort de Henri III, qu’il lui faudrait livrer autant de combats pour conquérir sa couronne, qu’il en avait soutenu pour défendre sa liberté. Les catholiques royalistes, qui formaient la moitié de son armée, hésitaient à le reconnaître. Givri donna le signal de l’obéissance. « Ah ! sire, s’écria-t-il en tombant aux genoux du roi, vous êtes le roi des braves, et il n’y a que les poltrons qui vous quitteront. »

Ces mots décidèrent plusieurs de ces nobles ; mais d’autres se retirèrent. Il n’était plus temps de peiner au siège de Paris. Cette ville, livrée au plus sombre délire, semblait toute peuplée de Jacques Clément. Aidée de l’or de l’Espagne, elle fournit bientôt au duc de Mayenne une armée puissante, qui se mit en campagne. Henri s’était dirigé vers Dieppe, pour y attendre un secours qui lui était envoyé par Élisabeth, reine d’Angleterre. L’armée de Mayenne était de 32 000 hommes : Henri n’en avait que 3 000 ; il fit halte et accepta le combat.

Sa petite armée occupait des retranchements autour du château d’Arques, qu’il avait fait fortifier avec soin, et que défendait le maréchal de Biron, devenu l’un de ses plus zélés partisans. Mayenne, qui pouvait se confier au nombre, avait encore appelé la ruse à son secours. Des soldats allemands, soldés par la Ligue, quoiqu’ils fussent protestants, avaient pénétré dans le camp de Henri comme déserteur.

Bientôt ils tombèrent sur ceux qui les recevaient en amis. On eut le temps de les exterminer avant que Mayenne se présentât pour seconder leur attaque. Un brouillard épais avait gêné les mouvements des deux armées : des qu’il fut dissipé, Henri se retira un peu sur le flanc pour attirer l’armée de Mayenne sous le feu des batteries du château. Pendant que Biron foudroyait l’armée de la Ligue, Henri en rompait les lignes par des attaques furieuses. La victoire fut complète. Le soir de cette journée il écrivit ces mots à Crillon : « Pends-toi, brave Crillon, nous avons combattu à Arques, et tu n’y étais pas. Adieu, brave Crillon, je vous aime à tort et à travers ».

Le roi se rendit à Dieppe, et entra dans ce port au moment où l’on y signalait les voiles de la flotte anglaise. Sa petite armée fut ainsi accrue de 5 000 hommes. Reprenant bientôt l’offensive, il reconduisit le duc de Mayenne jusque sous les murs de Paris, observa cette ville, et désespéra de l’emporter avec 8 000 hommes ; mais pour y laisser la terreur de son nom, il permit à ses troupes d’y faire une incursion qui les mena jusqu’au pont Neuf. Différents sièges occupèrent Henri. Nous ne pouvons le suivre dans ces entreprises secondaires, où il déployait la même bravoure et la même activité que dans les actions importantes.

Une armée espagnole, commandée par le comte d’Egmont, avait ranimé les espérances de la Ligue. Mayenne voulait encore une fois défier Henri IV. Les armées se rencontrèrent dans les plaines d’Ivry, sur les bords de l’Eure. Henri, prêt à faire sonner la charge, dit à ses soldats : « Mes compagnons, vous êtes Français, voici l’ennemi. Si vous perdez vos enseignes, ne perdez pas de vue mon panache, vous le verrez toujours dans le chemin de l’honneur. » Il avait, la veille, blessé par un mot dur un de ses meilleurs officiers, le colonel Schomberg ; il vient à lui en présence de toute l’armée : « Colonel !, lui dit-il, nous voici dans l’occasion ; il peut se faire que j’y meure : il ne serait pas juste que j’emportasse l’honneur d’un brave gentilhomme comme vous ; je déclare donc que je vous reconnais comme un homme de bien, et incapable de faire une lâcheté : embrassez-moi. - Ah ! sire, répondit Schomberg, Votre Majesté m’avait blessé hier ; mais elle me tue aujourd’hui : car elle m’impose l’obligation de mourir pour son service. »

Ce brave officier tint parole ; il commença le choc, et mourut couvert de blessures. Le combat s’engagea corps à corps. Henri tua de sa main l’écuyer du comte d’Egmont ; et, presque au même moment, le général flamand tomba sous d’autres coups. Un accident compromit la victoire. Un cornette revenait blessé ; à son panache on le prit pour le roi : l’armée saisie de douleur ne retrouvait plus son courage. Henri, instruit de la méprise qui faisait plier les siens, s’écria d’une voix forte : « Tournez vos visages, je suis plein de vie, soyez pleins d’honneur. »

Une réserve amenée par Biron rétablit le combat, et rendit la victoire décisive. Le roi criait dans les rangs : « Épargnez les Français » (1590). Mais les prédicateurs de Paris réparaient bientôt l’effet des défaites de Mayenne, et fournissaient des aliments toujours nouveaux au fanatisme. L’ambassadeur d’Espagne, le légat du pape, les princes lorrains, les Seize, magistrats sanguinaires formés par l’anarchie, une foule de délateurs, opprimaient la ville rebelle, et défendaient le repentir sous peine de mort.

Henri IV, après sa victoire d’Ivry, avait cru devoir s’assurer de toutes les villes qui servaient à l’approvisionnement de la capitale. Mais pendant qu’il exécutait cette entreprise, le duc de Nemours, gouverneur de Paris, avait donné à la défense de cette ville l’aspect le plus formidable : soixante-quinze canons en bordaient les remparts ; la rivière était fermée par d’énormes chaînes. Les moines étaient devenus des combattants ; ils paraissaient en armes aux processions ; on courait du sermon au rempart.

La famine commençait à se faire sentir à ces furieux, lorsque Henri se présenta sur les hauteurs de Montmartre. Le duc de Nemours se hâta de faire sortir les bouches inutiles. Henri avait d’abord résolu de ne point recevoir cette foule de malheureux, que la ville rejetait ; mais à l’aspect de leur misère : « Qu’on les laisse passer, dit-il ; il y a pour eux des vivres dans mon camp. » Les jardins des faubourgs fournissaient encore quelques aliments à la ville. Henri a résolu d’emporter les faubourgs en une seule nuit.

Son armée, presque toute composée de protestants, reçoit cet ordre avec joie ; elle croit qu’il lui sera permis de pénétrer dans le centre de Paris, et s’apprête à venger les massacres de la Saint-Barthélemy. Dix corps d’armée ont commencé l’attaque à la fois. Les bombes pleuvent de tous côtés : les Parisiens, furieux mais interdits, ne savent où porter la défense. Les dix faubourgs sont enlevés. On venait annoncer successivement au roi la nouvelle de ces succès. Il contemplait du haut de l’abbaye de Montmartre un spectacle qui navrait son cœur. D’épais tourbillons de flamme lui faisaient craindre la destruction de Paris ; il tremblait pour la ville assiégée.

En vain on le conjura de profiter de la terreur des habitants pour emporter Paris dans un assaut général : il préféra un succès incomplet à un succès qui l’eût vengé trop cruellement. Après la prise des faubourgs il n’y eut plus de terme à la misère et aux souffrances des Parisiens. On fut obligé de chercher un aliment dans les ossements des morts. Cette exécrable pâture coûta la vie à quinze mille personnes. Les hôpitaux ne servaient qu’à donner une mort plus prompte. Le seuil des églises était jonché de cadavres.

Henri IV versait des larmes en apprenant les progrès de la famine : « Faudra-t-il donc, disait-il, que ce soit moi qui les nourrisse ! Il ne faut point que Paris soit un cimetière ; je ne veux point régner sur des morts. » Il sollicitait pour son peuple auprès du duc de Nemours, et ce gouverneur restait insensible.

La pitié se fit sentir au cœur de Gondi, archevêque de Paris. Il vint se présenter dans le camp du roi : il le trouva entouré d’une noblesse nombreuse. Comme il avait peine à percer la foule : « Cette noblesse, dit Henri, me preste bien autrement un jour de bataille. » Malheureusement l’archevêque arrivait sans aucun pouvoir de traiter avec un prince hérétique.

Cette conférence n’eut d’autre résultat que de montrer la belle âme du roi : « Je ressemble, dit-il, à la vraie mère de Salomon ; j’aimerais mieux n’avoir point de Paris, que de l’avoir déchiré en lambeaux. » Il relâcha la rigueur de ses ordres, et laissa entrer dans Paris d’abord quelques charretées de vivres, ensuite des convois.

Ce genre de magnanimité, sans exemple dans l’histoire, fit une profonde impression sur le cœur des Parisiens ; mais ce n’était point encore l’instant où ils pouvaient s’abandonner à leurs sentiments. Farnèse, prince de Parme, le plus heureux et le plus habile des généraux de Philippe II, s’avança de la Flandre avec une forte armée, pour secourir Paris. Henri leva le siège pour marcher à sa rencontre. Le prince de Parme sut éviter le combat ; il surprit la vigilance d’un des lieutenants du roi, se jeta sur Lagny, protégea l’arrivée d’un long train de bateaux qui venait sur la Marne, et entra en libérateur dans la ville affamée (1590).

Après ce revers, que Henri ne pouvait imputer qu’à sa clémence, il fut forcé de revenir à des entreprises partielles, qui exerçaient son armée sans augmenter de beaucoup sa puissance. Il négociait au dedans et au dehors, grossissait son parti des gens de bien qui avaient tardé à le rejoindre, montrait aux catholiques le grand respect pour leur culte, trouvait dans sa pauvreté les moyens de récompenser ses plus fidèles serviteurs, ne perdait rien de sa gaieté, n’oubliait la prudence que pour la gloire ou pour l’amour, s’informait du caractère de chacun de ses ennemis, balançait par l’amitié d’Élisabeth d’Angleterre la haine aussi persévérante qu’atroce de Philippe II, et gagnait à sa cause quelques prélats et quelques curés, qui ne concevaient pas que les scandales, l’anarchie et les crimes de la Ligue fussent prescrits par la religion.

Jamais il n’avait réuni plus de forces que pour le siège de Rouen. Son armée cette fois s’élevait à 40 000 mille hommes, parmi lesquels étaient 5 000 Anglais, sous le commandement du valeureux comte d’Essex. Villars, gouverneur de la place, opposa la plus habile résistance aux efforts de cette armée. La prise de quelques forts importants annonçait la soumission prochaine de la capitale de la Normandie ; nais le roi apprit que le prince de Parme arrivait en grande diligence pour délivrer Rouen, comme il avait déjà délivré Paris.

Henri laisse la conduite du siège au maréchal de Biron, et va chercher le prince de Parme, qui marchait à la tête de 30 000 hommes. Le roi n’en avait avec lui que 7 000. Comme il débouchait d’Aumale, il apprit que l’armée espagnole n’était pas loin : il ne voulut pas abandonner à d’autres le soin d’aller la reconnaître. Il place 500 hommes dans une embuscade, en laisse 300 dans le fort d’Aumale, et vient, avec 100 cavaliers, braver 30 000 combattants, dont la marche était embarrassée par de nombreux équipages. Il ose charger l’avant-garde.

Il est bientôt poursuivi, et s’en félicite pour le succès de son stratagème militaire, mais les 500 hommes qu’il avait placés en embuscade s’étaient repliés trop près d’Aumale. Henri bat en retraite en combattant toujours, repasse le dernier de sa troupe sur le pont d’Aumale, reçoit une blessure, ne se retire point de la mêlée, et il est enfin dégagé par les siens.

Henri, pour la première fois, se reprocha son excessive bravoure. Il avait l’habitude d’appeler ce combat l’erreur d’Aumale. Pendant ce temps, Biron, chargé du siège de Rouen, éprouvait une défaite. Villars dans une sortie avait détruit les travaux des assiégeants, et encloué leurs canons. Henri voit entrer le prince de Parme dans la ville, et se contente de dire : « Nous verrons comment il en sortira », se retire vers la mer, et prend des villes en passant. Le prince de Parme, qui ne peut endurer cet affront, se met en marche pour reprendre Caudebec.

Henri manœuvre avec tant d’habileté, qu’il parvient en peu de jours à couper aux Espagnols toute communication avec Rouen. Il tombe sur leur avant-garde, commandée par le duc de Guise, et lui fait éprouver une sanglante défaite. Il engage une autre action auprès d’Yvetot, contre le prince de Parme. Celui-ci, vivement attaqué dans un bois qui couvrait toute sa position, s’y défend avec autant d’habileté que de valeur ; néanmoins il est obligé de céder à l’impétuosité des royalistes. En se retirant, Farnèse reçoit une blessure dangereuse ; mais, dans la nuit même qui suivit sa défaite, il parvint à faire passer toute son armée sur deux ponts de bateaux formés à la hâte, et il regagna la Flandre.

On ne sut qui l’on devait le plus admirer de Henri IV, qui avait réduit à une telle extrémité une année si puissante, ou du prince de Parme, qui avait pu sortir d’un tel danger (1592). Cependant un nouveau cours de choses se préparait. Philippe II avait trahi l’orgueil de ses prétentions : il osait réclamer le trône de France pour l’infante née de son mariage avec l’infortunée Isabelle, sœur des trois derniers rois de France.

Plusieurs des seigneurs de la Ligue se souvinrent alors qu’ils étaient Français. Mayenne secondait secrètement leur opposition. Il avait perdu de son crédit sur le peuple en réprimant les Seize au milieu de leurs attentats. La Ligue renfermait dans son sein d’autres éléments de discorde, qui se développèrent au milieu d’une assemblée des états généraux formés par les rebelles.

Ce fut alors que le roi manifesta le projet de rentrer dans le sein de l’Église catholique ; il avait réussi à convaincre les protestants qu’en quittant leur religion, il userait toujours de son pouvoir pour leur assurer la liberté de conscience. Cette résolution jeta un nouveau trouble dans l’assemblée des états. Les Espagnols ne purent empêcher que des conférences ne s’ouvrissent à Suresnes, entre les commissaires du roi et des prélats jusque-là dévoués à la Ligue. Henri annonça que son abjuration solennelle serait reçue à Saint-Denis.

Plusieurs curés de Paris eurent le courage de s’y trouver, malgré les menaces de la Ligue. La plus grande partie des habitants suivirent cet exemple. La plaine de Saint-Denis offrit un tableau de paix et de cordialité, dont on n’avait pas joui depuis plus de quarante ans. Les Parisiens oubliaient leurs malheurs, et désavouaient les crimes de leur ville. Tous ceux qui voyaient, qui entendaient Henri IV, l’aimaient et croyaient l’avoir toujours aimé.

Cependant quelques chefs de la Ligue étaient encore assez aveugles et assez barbares pour vouloir faire supporter aux Parisiens les horreurs d’un nouveau siège. Henri bloquait cette capitale, mais en montrant plus que jamais les ménagements d’un père ; il avait déjà su engager dans ses intérêts Brissac, gouverneur de Paris, la plupart des échevins, et tout ce qui restait du parlement. Ces nouveaux royalistes dissimulaient leur zèle pour le rendre plus utile au roi ; mais les Espagnols étaient vivement alarmés.

Le 22 mars avait été choisi pour l’entrée du roi à Paris. Le prévôt des marchands l’Huillier et les échevins Langlois, Néret et Beaurepaire, rassemblant autour d’eux leurs parents et leurs amis, parvinrent pendant la nuit à chasser les Espagnols de leurs corps de garde, et à s’emparer des portes Saint-Denis et Saint-Honoré. Le roi leur avait donné par quelques fusées le signal de son arrivée. Il entre dans le moment où la ville était encore livrée au plus profond sommeil ; son armée s’avance dans le plus bel ordre ; les Parisiens, à leur réveil, sont frappés de stupeur.

L’habitude de la crainte fait que les plus fidèles n’osent encore s’abandonner à toute leur joie ; mais bientôt on apprend que le roi et tous ceux qui le suivent répètent ces mots : Pardon général ; la foule devient immense autour de lui ; l’air retentit des cris de Vive le roi !. On le suit à l’église Notre-Dame. Il a peine à s’ouvrir un passage au milieu de son peuple qui le bénit : « Laissez-les tous s’avancer, dit-il ; ils sont affamés de voir un roi. »

Les Espagnols n’avaient osé opposer de la résistance que dans un seul poste : une de leurs compagnies avait été taillée en pièces. Le roi fit signifier au duc de Feria, leur chef, qu’il était libre de se retirer à Laon, auprès du duc de Mayenne. Ils sortirent : les ligueurs les plus forcenés se cachèrent dans leurs rangs ; d’autres suivirent le cardinal légat (1591). Henri, maître de sa capitale, ne l’était point encore de tout son royaume. Des négociations que Rosny suivit avec Villars, gouverneur de Rouen, lui soumirent cette ville et toute la Normandie.

La Picardie offrait de grands obstacles ; Mayenne y dominait, soutenu par l’armée espagnole des Pays-Bas. Le roi vint l’assiéger à Laon ; Mayenne se hâta d’en sortir : mais pendant que le roi pressait le siège de cette ville, Mayenne revint sur ses pas avec une armée espagnole, et eut recours à mille stratagèmes pour porter du secours dans la place. Henri, aussi actif que s’il avait eu à commencer sa renommée, battit trois fois les Espagnols, s’empara de Laon, puis d’Amiens, et de presque toute la Picardie.

La Champagne restait à soumettre. Cette province était devenue comme un apanage de la maison de Guise. Henri IV avait eu la magnanimité, le jour même de son entrée à Paris, de faire rassurer la duchesse de Montpensier. Il avait traité avec les plus grands égards la veuve du duc de Guise, tué à Blois : celle-ci engagea son fils à se soumettre au roi, qui lui offrait les conditions les plus favorables. La Champagne rentra d’elle-même dans le devoir ; mais le roi n’en tint pas moins toutes les conditions du traité qu’il avait conclu avec la maison de Guise.

Plusieurs traités de ce genre, faits avec divers gouverneurs de provinces ou de citadelles, accroissaient beaucoup la détresse du trésor. Les malheurs du peuple n’en furent pas moins allégés. Henri s’imposait gaiement les privations les plus dures. Son équipage était celui d’un pauvre gentilhomme ; toutes ses paroles et ses actions étaient celles d’un grand roi. Quelque temps après son entrée dans Paris, plusieurs ordres de religieux refusaient de réciter pour lui les prières nominales et publiques.

Quand on lui parlait de les punir : « Il faut attendre, dit Henri ; ils sont encore fâchés. » Le crime d’un jeune et atroce fanatique faillit d’enlever aux Français le prince qui les rendait à la paix, à la raison, à l’honneur. Le 27 septembre 1594, vers sept heures du soir, le roi, au milieu de sa cour, recevait deux gentilshommes qui venaient à ses pieds abjurer leurs erreurs. Comme il se baissait pour les embrasser, il se sentit frapper à la bouche d’un coup de couteau qui lui cassa une dent.

On découvrit bientôt que l’assassin était un jeune homme de dix-huit ans. Celui-ci avoua son crime, et déclara qu’il se nommait Jean Chatel, qu’il était fils d’un marchand de draps de Paris, et qu’il avait fait ses études chez la jésuites. Deux de ces pères furent gravement compromis dans l’Instruction du procès. Le parlement de Paris prononça l’expulsion de cette société hors du royaume. Jean Chatel fut condamné au supplice des régicides. Deux ans auparavant un autre scélérat, nommé Jean Barrière, avait tenté le même crime ; mais il fut arrêté et jugé d’après la déposition d’un dominicain, son confesseur.

Philippe II, encore secondé par plusieurs milliers de Français rebelles, continuait la guerre, comme entraîné par l’habitude du mal. Au commencement de l’année 1595, une armée espagnole descendait des Alpes, entrait dans la Franche-Comté, et se préparait à pénétrer dans la Bourgogne. Cette province était encore sous le joug des ligueurs. Mayenne, qui en était gouverneur, y commandait en roi. Henri se mit en marche pour aller combatte l’armée espagnole.

Avant son arrivée, trois villes importantes, Beaune, Autun et Dijon, venaient de secouer le joug de la Ligue par une conspiration généreuse. Ces rapides succès animèrent Henri. Il ne voulut pas laisser aux troupes de Mayenne le temps de se replier sur l’armée espagnole ; il les poursuivit à la tête de cent cinquante chevaux et d’un même nombre d’arquebusiers ; mais le connétable de Castille, général des Espagnols, avait marché au secours de Mayenne. Le roi, arrivé au village de Fontaine-Française, découvrit des troupes qui se formaient sur les hauteurs, la retraite lui paraissait dangereuse ; une compagnie qu’il avait envoyée à la découverte revenait en désordre, vivement chargée par les cavaliers espagnols.

Le roi avait à ses côtés le second maréchal de Biron, qui avait succédé au titre, à la renommée et au courage de son père. Il lui donne la moitié de sa cavalerie, s’élance avec le reste : tous deux étaient sans casque ; les officiers et les soldats n’étaient qu’imparfaitement armés. Henri, avec quatre-vingts chevaux, attaque trois gros escadrons, rompt le premier, et passe à travers le second pour aller culbuter le troisième. Biron, quoique blessé, obtient les mêmes succès.

Henri poursuit les Espagnols ; mais arrivé au pied d’une colline il voit se déployer 15 000 hommes d’infanterie : il se retire sans souffrir que l’ennemi l’approche de trop près, regagne au petit pas le village de Fontaine-Française, et a le bonheur d’y rencontrer 2 000 Français qui étaient accourus au bruit de son danger. Le connétable de Castille, étourdi du merveilleux exploit qui venait de s’accomplir sous ses yeux, n’osa engager une action générale. La soumission de la Bourgogne et la conquête d’une partie de la Franche-Comté furent le fruit du combat de Fontaine-Française (1595) : mais les lieutenants de Henri n’avaient point été heureux dans la Picardie.

Le comte de Fuentes les avait complètement battus auprès de Dourlens. Henri vint promptement réparer leurs revers et leurs fautes, et termina cette campagne avec honneur, par la prise de La Fère. Dans cette même année, Lyon avait reconnu son autorité. Marseille, dernier rempart de la Ligue, avait été délivrée de ses oppresseurs par le courage et l’habileté de ce jeune duc de Guise envers qui le roi venait de signaler sa clémence.

Le duc de Mayenne s’était soumis lui-même : Rome enfin avait reçu l’abjuration de Henri. L’empressement que le pape Clément VIII mit à seconder les projets pacifiques du roi dédommagea ce monarque de quelques conditions pénible auxquelles sa réconciliation avait été attachée. Philippe II, livré à des infirmités cruelles, commençait à se lasser de faire le malheur du monde ; mais un de ses officiers, par son ambition et par son audace, retarda la paix générale, et mit de nouveau en péril la fortune du roi de France.

Il se nommait Hernando Tello, gouverneur de la citadelle de Dourlens : il parvint à surprendre la ville d’Amiens, qui se tenait mal sur ses gardes. Cette ville avait réclamé le privilège de ne point avoir de garnison. Des Espagnols déguisés en paysans amusèrent un corps de garde en ouvrant un sac de noix : Hernando, pendant ce temps, entra dans Amiens avec sa troupe embusquée, et par d’impitoyables rigueurs fit presque un désert de cette cité.

Une bataille perdue n’aurait pas été plus fatale pour Henri que l’inconcevable succès du stratagème des Espagnols. Le roi sentit la nécessité d’enflammer vivement le patriotisme des Français ; ils répondirent à son appel. Les villes, les provinces, les seigneurs, et Mayenne à leur tête, offrirent à leur roi des dons volontaires. Henri avec 5 000 hommes assiégea dans Amiens une garnison qui comptait le même nombre de combattants. Son armée s’étant ensuite accrue, il attendit de pied ferme une armée espagnole qui se mettait en route pour secourir Hernando Tello.

Il en battit l’avant-garde de manière à décider la retraite de cette armée, et recouvra bientôt après la capitale de la Picardie. De là il vint fondre sur la Bretagne, où tenait encore le duc de Mercœur, l’un des princes de la maison de Lorraine. Toutes les villes ouvraient leurs portes à l’approche de Henri. Le duc de Mercœur n’en réussit pas moins, comme tous ses parents, à rendre sa soumission lucrative. Des conférences pour la paix générale se tenaient à Vervins, entre les envoyés de France et d’Espagne.

Philippe II rendit Calais, qui restait encore en son pouvoir, et reconnut l’intégrité d’un royaume que cinq ans auparavant il regardait comme sa conquête et comme le salaire de tous les crimes de sa politique (1598). Dans cette année si heureuse, Henri accorda à ses sujets la liberté de conscience par l’édit de Nantes, et obtint de ses parlements l’enregistrement de cet édit, tant par l’énergie de son caractère que par la male et naïve éloquence de ses discours.

Déjà Rosny était à la tête de ses finances : l’ordre commençait à renaître : voici un nouveau genre de prodiges. Les concussions des grands sont réprimées, les taxes militaires supprimées ; des administrateurs pleins de vigilance et d’activité succèdent à des usuriers italiens, auxquels toutes les branches de revenu du trésor royal avaient été déléguées ; d’année en année, les bons des fermes de l’État s’améliorent, les arriérés se soldent.

Le roi abolit plusieurs impôts, adoucit celui de la gabelle, et remet a son peuple plusieurs million sur les tailles. Les soins principaux de Henri IV et de Sully sont dirigés vers l’agriculture. Des récoltes favorables permettent l’exportation des blés du royaume. La France, par son industrie agricole, lève sur l’Espagne des tributs plus abondants qu’elle n’en avait auparavant obtenu de Philippe II, pour prix de ses discordes, de ses fureurs et de ses crimes. « Je veux, disait Henri, que chaque laboureur de mon royaume puisse mettre la poule au pot le dimanche. »

Et ce vœu est bientôt réalisé. Olivier de Serres, par les plus sages leçons que l’agriculture ait encore reçues, seconde les travaux d’un roi agriculteur. Les routes, dévastées par quarante ans de guerres civiles, sont réparées ; on en construit de nouvelles : elles sont plantées d’ormes et d’arbres fruitiers. Henri conçoit, et bientôt exécute la magnifique entreprise du canal de Briare. Il introduit dans le royaume la culture du mûrier, et prépare ainsi l’établissement de nos grandes soieries. Il crée la manufacture des Gobelins, encourage toute espèce d’industrie, et se montre pourtant ennemi du luxe.

Deux colonies françaises s’établissent avec plus de sagesse que d’éclat : l’une, dans le Canada ; l’autre, dans la Guyane. Henri achève les travaux du pont Neuf, commencés par Catherine de Médicis ; bâtit le château de Saint-Germain ; embellit celui de Fontainebleau ; continue le Louvre, et commence la galerie qui joint ce palais aux Tuileries. Il fonde le collège de la Flèche, l’hôpital Saint-Louis, rétablit le collège de France, augmente de moitié les honoraires des professeurs, et fonde une chaire de mathématiques en faveur du Flamand Bertius.

Il fait transporter dans la capitale la bibliothèque des rois, confinée auparavant à Fontainebleau, l’enrichit de la précieuse collection des manuscrits grecs de Médicis, et la rend publique. Il attire en France le fameux Casaubon, et veut y retenir le jeune Grotius. Juste-Lipse fut étonné de recevoir en Hollande une lettre d’invitation de ce prince, qui lui proposait une place honorable et 600 écus d’or d’appointements.

Henri IV alla jusqu’à offrir, pour les fixer dans ses États, le chapeau de cardinal à Saint-François de Sales, et une charge de premier président à Antoine Favre, nés sujets du duc de Savoie. Il y fit venir, et y retint, en l’élevant à l’épiscopat, leur compatriote Pierre Fenolliet, le premier des orateurs français qui firent entendre dans la chaire une éloquence douce et insinuante.

Au milieu de tant de soins bienfaisants, Henri IV garnit son arsenal, fortifie toutes ses places, et les couvre de la plus puissante artillerie qui fût alors. Quel usage fait-il d’une si vaste puissance ? Il se rend médiateur entre tous les États de l’Europe, et recommence, à cet égard, le noble rôle de Saint-Louis. C’est lui qui termine la longue guerre entre l’Espagne et les Provinces-Unies ; et il a le bonheur d’assurer l’indépendance d’une république qui, dans ses malheurs, lui avait procuré de généreux secours. Il réconcilie le pape avec une autre république (celle de Venise), et prévient une guerre qui eût pu être aussi fatale au saint siège que le schisme de Luther.

La paix du royaume ne fut un moment troublée que par une imprudente attaque du duc de Savoie. Ce prince comptait sur des trahisons que lui-même avait ourdies à la cour de France, et dans lesquelles il avait engagé des seigneurs jusque-là distingués par leur amour pour le roi. Henri, par la vivacité de ses attaques, déconcerta les traîtres. Il s’empara de Montmélian, qu’on avait cru imprenable ; et bientôt la Savoie presque tout entière devint sa conquête.

Fidèle à sa magnanimité, il parla de paix, lorsqu’il pouvait porter sa vengeance jusque sur le Piémont : mais il me fit céder par le duc de Savoie la Brosse, le Bugey et le pays de Gex. Peu de temps après, sa conduite fut encore plus généreuse envers le duc de Bouillon, qui lui devait tout : il entra dans Sedan, plutôt pour humilier ce prince que pour le punir, et lui rendit sa principauté. Il faut mettre au rang des titres de gloire de Henri IV les harangues aussi familières qu’éloquentes qu’il prononça dans diverses occasions, et qui produisirent autant d’effet que ses plus brillants exploita.

Tout bon Français doit savoir par cœur celle qu’il prononça dans l’assemblée des notables de Rouen. Plusieurs de ses réponses au parlement de Paris, au clergé, différents seigneurs, ont le même caractère de franchise et d’énergie. Ses lettres brillent d’esprit, de sentiment et de cette fleur de chevalerie le seul genre de grâce dont les anciens ne nous aient laissé aucun modèle. Il aimait les savants, conversait avec eux moins comme un protecteur que comme un ami.

Le peuple français répète et répétera toujours avec idolâtrie la chanson que ce roi si sensible composa pour Gabrielle. Nul des héros les plus vantés n’eut autant d’occasions d’exercer sa clémence ; nul ne rendit plus aimable une si haute vertu. Il avait coutume de dire : « La satisfaction qu’on tire de la vengeance ne dure qu’un moment, mais celle qu’on tire de la clémence est éternelle. »

Il dit un jour au maréchal d’Estrées, en lui montrant un de ses gardes du corps : « Voilà le soldat qui me blessa, à la journée d’Aumale. En bon roi, ajouta-t-il, est comme un habile pharmacien qui compose d’excellents antidotes, avec des poisons. » Dès sa jeunesse Henri avait visité les chaumières ; et il ne s’abstint de ce plaisir ni dans ses plus rudes traverses, ni dans ses prospérités. A une époque où Philippe II et la Ligue l’environnaient d’assassins, on lui représentait le danger d’entrer sans escorte chez les paysans : « Je n’ai jamais entendu dire, reprit-il, qu’aucun roi ait été assassiné dans une chaumière. »

L’on a vu l’amitié affectueuse que montra et cultiva Henri ; sa reconnaissance pour Duplessis-Mornay, qui se dévoua noblement à lui dans toutes ses traverses, l’aida de la sage sévérité de ses conseils, du puissant secours de sa plume, de la vigueur de son bras ; sa tendresse pour Givri, pour Saint-Luc ; la rançon qu’il paya, pendant sa plus grande détresse, pour délivrer Lanoue ; sa déférence pour le premier des Biron ; tous ses efforts pour arracher le fils de ce héros à de coupables intrigues ; les mots tendres et magnanimes par lesquels il tacha d’exciter en lui un repentir sincère ; les grâces dont il le combla, même après un premier crime ; les nouvelles et inutiles instances qu’il lui fit à Fontainebleau avant de le livrer à la trop juste rigueur des magistrats ; mille scènes touchantes avec Rosny ; leurs paisibles entretiens à l’Arsenal ; la force de caractère avec laquelle le roi défendit Rosny du ressentiment et des caprices d’une femme qu’il aimait éperdument ; les courtes froideurs de ces deux amis, suivies de réconciliations si cordiales, et ce mot sublime : « Relevez-vous, Rosny, on croirait que je vous pardonne. »

Henri ne connut point l’amour pour sa première épouse, pour la belle et méprisable Marguerite de Valois ; mais il la vengea noblement d’un affront cruel que lui fit éprouver le roi son frère : il lui procura, dans la petite cour de Nérac, mille plaisirs dont elle abusa ; et lorsqu’elle eut l’imprudence de s’armer contre lui, il usa envers elle de clémence, mais sans pouvoir s’abstenir d’un trop juste dédain.

Depuis, il parut toujours ressentir pour elle une pitié mêlée de quelque tendresse. Sa passion pour la comtesse de Guiche eut longtemps le caractère le plus chevaleresque : amant infidèle, lorsqu’elle eut perdu ses charmes, il essaya de la dédommager par tous les soins de l’amitié ; mais elle ne voulut pas les accepter.

Il aima dix ans Gabrielle d’Estrées, tenta beaucoup d’aventures périlleuses pour la voir, lorsqu’elle était sous la surveillance d’un père, en fit la confidente de toutes ses pensées, goûta toujours auprès d’elle l’oubli de ses plus rudes traverses, eut le bonheur de la trouver bonne et simple, lorsqu’elle partagea sa prospérité ; il honora en elle la mère de ses enfants, et se résolut à braver les conseils de la politique, les murmures de sa cour et la censure de ses amis pour l’élever au rang de son épouse et de reine.

La mort vint frapper Gabrielle, duchesse de Beaufort, lorsque son amant allait combler tous ses vœux. Les regrets de Henri IV furent déchirants : mais il connut trop tôt l’artificieuse Henriette d’Entragues. Cette femme, qui était à la fois coquette, hypocrite, infidèle, jalouse et vindicative, fit connaître à Henri toutes les tortures d’un amour suranné et d’un lien adultère.

Il épousa, en 1600, Marie de Médicis, nièce du grand-duc de Toscane. Cette princesse ne sut point lui faire oublier ses penchants infidèles, et ne les lui pardonna jamais. Henri IV, après avoir pardonné à Henriette d’Entragues, qui fut deux fois coupable du crime de haute trahison, eut le malheur de connaître encore l’amour. Après avoir uni la fille du connétable de Montmorency au prince de Gondé, il troubla la tranquillité de son parent par les soins d’une galanterie trop empressée.

L’éclat que fit le prince de Condé, en quittant la cour et se retirant avec sa femme à Bruxelles, fournit des prétextes aux ennemis de la France et du roi, pour décrier une guerre que des griefs légitimes allaient faire entreprendre à Henri IV : il avait ménagé, pour cette grande entreprise, un trésor considérable, une belle armée ; il en avait préparé le succès par les plus grands ressorts que la politique ait jamais mis en jeu ; enfin elle devait être suivie des plus heureux résultats que la philosophie ait jamais implorés mais les ennemis de ce grand roi employèrent bientôt contre lui d’autres armes que la calomnie.

Henri IV était près de partir pour son armée ; il avait résolu de déclarer la reine Marie de Médicis régente pendant son absence, et avait formé un conseil composé d’hommes d’une foi et d’un talent éprouvés. La reine obtint de lui, par les plus fâcheuses importunités, qu’avant de partir il la fit sacrer et couronner à Saint-Denis. Le roi, pendant cette cérémonie, avait montré une tristesse que le peuple semblait partager.

Il était revenu à Paris pour y préparer l’entrée de la reine, qui devait avoir lieu le lendemain 15 mai 1610. De noirs pressentiments le poursuivaient depuis plusieurs jours. Ou lui avait souvent entendu dire : « Mes ennemis n’ont plus qu’une ressource contre moi ; ils me tueront. » En s’entretenant avec Bassompierre et le duc de Guise, qui tâchaient de dissiper sa tristesse et lui faisaient l’énumération de tous les genres de bonheur qu’il était parvenu à réunir : « Mes amis, leur dit-il, il faudra bientôt quitter tout cela : Linquenda tellus et domus. »

Après avoir passé la matinée dans un profond accablement, il annonça, vers quatre heures, la résolution d’aller voir à l’Arsenal le duc de Sully. Il monta en voiture, accompagné des ducs d’Epernon et de Monbaron, du maréchal de Lavardin, de Roquelaure, de la Fare, de Mirabeau et de Liancourt. Le duc d’Épernon était auprès de la portière ; le roi, au milieu du carrosse, dont les mantelets étaient levés.

Comme on était arrivé à la rue de la Ferronerie, le carrosse fut arrêté par deux voitures, l’une de vin et l’autre de foin ; les valets de pied travaillent à débarrasser le passage. Un assassin monte sur une roue de derrière, et frappe le roi d’un coup de couteau entre les côtes. Le roi s’écrie : « Je suis blessé ! » L’assassin redouble, porte un second coup dans la poitrine, et perce le cœur.

On cache sa mort au peuple ; on annonce seulement que le roi est blessé ; on le ramène au Louvre. La reine s’occupe de se faire décerner la régence. Le duc d’Épernon assemble le parlement, et environne de troupes le lieu de ses séances. Le corps inanimé du roi n’est gardé au Louvre que par un petit nombre de serviteurs fidèles. Cependant le peuple, encore trompé, croit que Henri existe toujours, se fait ouvrir les églises, et ne cesse, pendant toute la nuit, d’intercéder le ciel pour la conservation des jours du bon roi.

Au point du jour, les alarmes redoublent. On voit se former au parlement l’appareil d’un lit de justice. Des officiers du roi paraissaient couverts de deuil : à cet aspect, les sanglots éclatent ; les femmes courent échevelées ; la douleur s’exprime tantôt par des hurlements, et tantôt par un affreux silence.

On accuse les Espagnols ; on soupçonne la cour. Ravaillac, avant de subir le supplice dû au régicide, dicte au greffier Voisin des déclarations qu’on ne put ou qu’on ne voulut pas déchiffrer. Paris, d’un autre côté, maudissait la Ligue. Un grand nombre de personnes, en apprenant la mort du roi, éprouvèrent un saisissement qui mit leur vie en danger ; d’autres moururent subitement. Le brave de Vic, passant quelques jours après dans la rue de la Ferronerie, tomba en défaillance, en regardant la place où son roi avait été frappé, et expira le lendemain.

Henri IV mourut le 14 mai 1610, âgé de 57 ans, dans la 21e année de son règne. L’armée l’appela le Roi des braves ; l’Europe lui donna le surnom de Grand ; le peuple a coutume de le nommer le bon Henri. Son nom dit tout ce qu’un Français, tout ce qu’un guerrier, tout ce qu’un administrateur, tout ce qu’un roi doit être ; il semble qu’on lui sache gré d’avoir eu quelques faiblesses qui le rapprochent de nous : avec une perfection plus entière, on l’eût peut-être moins aimé.

 
 
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