L’ordre religieux de Fontevraud eut pour berceau le monastère de Fontevraud (dans le Maine-et-Loire), dans l’ancien diocèse de Poitiers, fondé par l’illustre bénédictin Robert d’Arbrissel qui, après avoir suivi l’enseignement des maîtres qui professaient à Paris, remplit les fonctions d’archidiacre du diocèse de Rennes, son pays d’origine
Son zèle pour la réforme du clergé souleva contre lui des haines implacables, qui le contraignirent à se retirer. Il séjourna quelque temps auprès des écoles d’Angers ; puis il s’enfonça dans la forêt de Craon. Des compagnons le suivirent, ce qui lui permit de fonder l’abbaye de la Roë. Ils y menèrent la vie des chanoines réguliers. Urbain II, lors de son séjour à Angers (1096), le fit prêcher en sa présence et lui donna plein pouvoir d’annoncer en tous lieux la parole divine. Deux de ses compagnons de solitude, Bernard de Ponthieu et Vital de Mortain, le suivirent dans ses courses apostoliques avant d’aller fonder, l’un le monastère de Tiron au diocèse de Chartres, l’autre, celui de Savigny au diocèse d’Avranches, destinés à devenir des chefs de congrégation.
Robert parcourut d’abord l’Anjou, la Touraine et le Poitou. Sa prédication soulevait l’enthousiasme des foules ; parmi ceux qui l’avaient entendu, beaucoup abandonnaient leurs familles et s’attachaient à ses pas. Ce cortège se composait d’hommes et de femmes ; on y voyait un grand nombre de pénitents et de pénitentes. Cette foule menait une sorte de vie religieuse, dont les conditions étaient prescrites au jour le jour par Robert. Cette communauté nomade excitait la curiosité publique. Elle finit bientôt par éprouver le besoin de se fixer. Bernard et Vital emmenèrent les hommes avec eux. Robert conserva les femmes. Il s’établit avec elles à Fontevrault. Elles étaient fort nombreuses. Quelques frères se fixèrent auprès d’elles et se chargèrent de leur service temporel et religieux. Cela se passait vers 1099.
Robert d’Arbrissel et Bernard de Tiron |
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La première communauté de Fontevrault se composait ainsi d’hommes et de femmes. Le pieux fondateur lui donna une organisation très originale. Avec la recherche du symbolisme évangélique, commune à la plupart de ses contemporains, il vit surtout dans les femmes le sexe auquel appartenait la Vierge Marie. Voulant l’honorer en elles, il leur donna la supériorité sur les religieux ; la soumission des moines à l’abbesse devait rappeler celle que les apôtres témoignaient à Notre-Dame.
Cette pensée et les usages par lesquels il la fit passer dans la pratique donnent à l’ordre de Fontevrault sa physionomie propre. Moines et moniales habitaient des monastères séparés et suivaient dans ses grandes lignes la règle de Saint-Benoît, modifiée et complétée par les prescriptions de Robert d’Arbrissel.
Il confia à deux femmes, les plus fidèles de ses disciples, Hersende de Champagne et Prétronille de Chemillé, qui fut plus tard la première abbesse de Fontevrault, le soin de veiller à la construction et à l’organisation du monastère, pendant qu’il poursuivrait lui-même ses courses apostoliques. Il parcourut ainsi les diocèses de l’ouest et du centre, remuant partout les foules, opérant des conversions extraordinaires et entraînant vers les solitudes des femmes de toutes conditions. Les évêques, les princes et les rois comptaient avec lui. Il obtint de Philippe Ier le renvoi de Bertrade de Montfort, son épouse illégitime ; ce que personne n’avait pu obtenir.
Robert interrompait de temps en temps ses prédications pour revenir à Fontevrault et pour fonder de nouveaux monastères, qu’il peuplait de ses religieuses. Ces fondations recevaient le titre de prieurés et restaient sous l’entière dépendance de Fontevrault, ne formant avec lui qu’une seule congrégation, dont l’abbesse était le chef unique. Partout une communauté d’hommes s’attachait au service des moniales. Il y en eut dans les diocèses de Poitiers, de Bourges, d’Orléans, de Limoges, de Chartres.
Robert d’Arbrissel mourut, le 24 février 1117. Pétronille de Chemillé gouvernait depuis bientôt deux ans, de par sa volonté, l’abbaye et l’ordre de Fontevrault. Les soupçons, que le caractère de sa mission et de son oeuvre avait fait naître, tombèrent d’eux-mêmes. Il avait du reste pris ses mesures, en sollicitant l’approbation formelle du Souverain Pontife. Paschal II confirma sa fondation le 25 avril 1106 et le 5 avril des années 1112 et 1117. Calixte II fit mieux encore, puisqu’il alla personnellement consacrer l’église et l’abbaye, en 1159.
Sous le gouvernement de Prétronille et des abbesses qui lui succédèrent, on continua à fonder de nouveaux prieurés. Il y en eut en France et en Angleterre. La domination anglaise sur l’Anjou et les provinces voisines établit des relations étroites entre Fontevrault et les souverains. Henri II, roi d’Angleterre, Éléonore d’Aquitaine et Richard Coeur de Lion, y furent enterrés. Dans la suite, la famille royale de France fournit à cet ordre plusieurs abbesses et un certain nombre de religieuses. Il se recruta longtemps parmi les filles de la plus haute noblesse française. Nul autre monastère ne présente une pareille liste de noms illustres.
Le onzième siècle fut l’âge d’or de Fontevrault. Mais la décadence ne se fit pas attendre. On la voit poindre dans les dernières années du siècle. Elle ne se manifeste point par des désordres scandaleux. On remarque seulement une diminution dans la ferveur religieuse et dans les ressources matérielles. En somme, l’ordre conserve, avec sa renommée, une situation unique. Il connut cependant des heures de détresse pendant le douzième siècle. Elles s’aggravèrent singulièrement plus tard, quand les rois d’Angleterre et de France furent aux prises. La désolation sévit alors sur Fontevrault comme sur toutes les maisons religieuses. Lorsque la guerre de Cent ans fut terminée, on s’aperçut de l’état lamentable dans lequel se trouvaient la discipline régulière et l’administration temporelle.
L’abesse Marie de Bretagne (qui gouverna l’abbaye de 1457 à 1477) s’attaqua aux abus les plus criants, deux ans après son élection. Les prieures qui résistèrent à ses projets de réforme furent par elle déposées de leur charge. Pour mener à terme cette réforme, devenue d’autant plus nécessaire qu’elle rencontrait des résistances plus tenaces, elle dut la commencer, avec quelques moniales fidèles, au prieuré de la Madeleine d’Orléans (1471). Les Souverains Pontifes l’encourageaient ; et une commission, qui se composait de saints évêques et de prêtres éminents, l’assistait de ses lumières. Les nouveaux statuts préparés par elles reçurent l’approbation de Sixte IV, le 6 mars 1475. Marie de Bretagne mourut à la peine. Sa cousine, Anne d’Orléans, qui lui succéda (1477-1491), continua son entreprise, en révisant les statuts et en étendant la réforme à plusieurs prieurés.
Eenée de Bourbon travailla sans relâche à la même oeuvre (1491-1534). Pendant cette période de rénovation, les rapports entre l’ordre de Fontevrault et la famille royale devinrent plus intimes que par le passé. Charles VIII, Louis XII et François Ier, parents des abbesses et de plusieurs religieuses, mirent leur autorité au service de la réforme. On choisit parmi les moniales réformées des abbesses pour quelques monastères de bénédictines les plus renommés. Dans d’autres maisons du même ordre, qui avaient besoin d’une réforme sérieuse, on subit l’influence de Fontevrault.
Vue de l’abbaye et du bourg de Fontevraud |
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Les religieuses avaient adopté depuis quelque temps, avec les coutumes des chanoinesses, leur robe blanche et un élégant surplis. Au lieu de revenir à leurs antiques traditions, elles se contentèrent du costume, du bréviaire et des constitutions fontevristes. C’est ce qui se passa dans les abbayes de Sainte-Croix de Poitiers, de Chelles, de Jouarre et de Faremoutier, où cet état de choses dura jusqu’aux réformes du XVIIe siècle.
Le protestantisme et la guerre civile qu’il déchaîna compromirent cette restauration morale. Malgré la résistance de Louise de Bourbon (1535-1575), il y eut dans l’ordre des défections scandaleuses : vingt-quatre religieuse de la Madeleine d’Orléans passèrent à l’hérésie. La vaillante abbesse tint tête à l’orage. Éléonore de Bourbon, qui lui succéda (1575-1611), vit la fin de ces douloureuses épreuves et elle prépara une rénovation morale et matérielle, en s’aidant des conseils des Pères Capucins Ange de Joyeuse et Joseph du Tremblay. Elle eut pour la seconder, pendant quelques années, sa coadjutrice Antoinette d’Orléans, qui fonda avec le père Joseph la congrégation du Calvaire.
Les religieux ne rendaient plus aux religieuses les mêmes services que par le passé. Ils étaient peu nombreux ; l’esprit de leur état leur faisait souvent défaut. Ils suscitèrent aux abbesses réformatrices de grands obstacles. Le Père Joseph crut un instant pourvoir les remplacer par des Bénédictins anglais, appartenant à la congrégation espagnole de Valladolid. Ce projet ne put aboutir. Les moines de l’ordre tentèrent de s’organiser indépendamment de l’autorité de l’abbesse. Mais Louis XIII les mit à la raison, par un arrêt du 8 octobre 1641 que Clément VIII confirma.
On put dès lors remettre en vigueur les statuts de l’ordre, approuvés au siècle précédent par le pape Sixte IV. Ce fut le point de départ d’une nouvelle réforme qui assura la paix et la prospérité de Fontevrault pour longtemps. Sous le gouvernement de Gabrielle de Rochechouart de Mortemart (1670-1704), surnommée avec raison la reine des abbesses, l’abbaye et l’ordre traversèrent l’une des périodes les plus fécondes et les plus glorieuses de leur histoire.
A la suite de la réforme du XVIIe siècle, les prieurés furent distribués en quatre provinces. Les moniales, qui avaient atteint le chiffre de cinq mille au douzième siècle, restèrent encore nombreuses jusqu’à la fin. Il y en avait deux cent trente dans l’abbaye, vers 1670 ; le nombre de moines s’élevait à soixante. Les religieuses étaient encore au nombre de deux cents au moment de leur suppression (1790). Les moines alors ne formaient une communauté véritable qu’à Fontevrault. Ils étaient d’ailleurs isolés et remplissaient les fonctions de confesseurs et de chapelains des divers prieurés.
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