Olivier de Serres, seigneur du Pradel, naquit, en 1539, à Villeneuve-de-Berg, petite ville de l’ancienne province du Vivarais, département de l’Ardèche. Il était fils de Jean de Serres, sieur du Pradel, et de Louise Leyris. Les circonstances qui contribuèrent à le fixer à la campagne paraissent toutes puiser leur source dans le besoin qu’il éprouvait de se rendre utile à l’humanité. Très zélé calviniste, frère de Jean de Serres, vulgairement appelé, par les chroniques du temps, Serranus, l’un des quatre ministres protestants que Henri IV consulta lorsqu’il embrassa la religion catholique, tout semblait devoir l’appeler aux fonctions publiques : Olivier de Serres jugea qu’en se plaçant à la tête des travailleurs dans les campagnes il y avait pour lui plus de bien à faire, et par conséquent plus de solide gloire à acquérir que s’il vivait à la cour.
Quarante années s’étaient écoulées depuis qu’Olivier de Serres avait entrepris l’exploitation de son domaine du Pradel, lorsqu’il publia son grand ouvrage intitulé : Théâtre d’agriculture et mesnage des champs. Le succès que cet ouvrage obtint à son apparition fut si grand que les dix premières années virent écouler cinq éditions. Le nombre s’éleva successivement à dix-neuf, dont quatre furent publiées à Genève. De 1675 à 1802, l’ouvrage parut en quelque sorte oublié ; soit que la plupart des exemplaires eussent passé à l’étranger, soit qu’au milieu de nos désordres révolutionnaires ils eussent été, comme tant d’autres choses, sacrifiés ou détruits, ils étaient devenus fort rares. Sous le ministère de M. François de Neufchâteau, partisan éclairé des intérêts agricoles, il fut décrété qu’on publierait une nouvelle édition de l’ouvrage d’Olivier de Serres. Réimprimé tel qu’il avait paru en 1600, il fut enrichi de notes remarquables ; les éditeurs lui conservèrent sa physionomie originale en maintenant le vieux style. Cette circonstance, qui lui donne beaucoup de prix aux yeux de tout homme instruit, a bien pu le déprécier aux yeux du vulgaire, et le faire rejeter parmi ce qu’on désigne ordinairement sous le nom de choses surannées.
Lorsqu’on lit attentivement cet ouvrage, on peut se convaincre facilement du zèle qu’avait dû apporter Olivier de Serres à l’examen de tout ce qui se rattache à l’agriculture, à ce qu’elle pouvait être chez les anciens ; on voit qu’il avait lu, approfondi et médité Caton, Columelle, Varron, Virgile et Pline. C’est qu’on retrouve en effet dans ces différents auteurs de très bons préceptes, l’indication de certaines pratiques tombées depuis lors en désuétude. Olivier de Serres écrivait au seizième siècle ; que penser des personnes qui considèrent la culture de ces plantes comme une conquête du dix-neuvième siècle ? Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs faisait les délices de Henri IV. Au rapport de Scaliger, il en écoutait fréquemment la lecture après ses repas.
Le second ouvrage d’Olivier de Serres, intitulé Cueillette de la soie, qui parut en 1599, valut à l’auteur une distinction bien flatteuse. C’était à l’époque où Henri IV s’enquérait des moyens d’introduire la soie en France, comme le dit Olivier de Serres lui-même, « pour qu’elle se vît rédimée de la valeur de plus de 4 000 000 d’or que tous les ans il en fallait sortir pour la fournir des étoffes composées en cette matière ou de la matière même. » Le roi rencontrait une opposition très vive de la part de son ministre Sully, qui ne voyait dans cette introduction qu’un luxe et une dépense inutile. Quoique Henri IV vit son opinion fortifiée des avis du chancelier Pompone de Bellièvre, de Laffemas son surintendant du commerce, de son jardinier Claude Mollet, il crut devoir, dans l’intérêt de la nation, prendre conseil d’un cultivateur expérimenté ; son choix tomba sur Olivier de Serres. La réponse aux questions du roi parut dans l’ouvrage, intitulé : Cueillette de la soie. Voici comment l’auteur s’exprime lui-même à ce sujet : « Le roi ayant très bien recognu ces choses, par le discours qu’il me commanda de lui faire sur ce sujet, l’an 1599, print résolution de faire eslever des meuriers blancs par tous les jardins de ses maisons. »
En effet, le roi, se trouvant à Grenoble en 1600, à l’occasion de la guerre contre la Savoie, écrivit à Olivier de Serres la lettre suivante :
« Monsieur du Pradel, vous entendrez par le sieur de Bordeaux, par les mains du quel vous recevrez la présente, l’occasion de son voyage en vos quartiers, et ce que je désire de vous. Je vous prie donc de l’assister en la charge que je lui ai donnée, et vous ferez service très agréable. Sur ce, Dieu vous ait, monsieur du Pradel, en sa garde. - Ce 27 septembre, à Grenoble. »
Ce sieur de Bordeaux, baron de Coloncus, était surintendant général des Jardins de France. Or, il est bon d’observer que, sous le règne de Henri IV, les fonctionnaires publics chargés des intérêts agricoles savaient au besoin se déplacer et aller prendre avis et conseils des cultivateurs. C’est un noble exemple de zèle et d’humilité. « Par cette mesme voye, dit Olivier de Serres, le roi me fit l’honneur de m’escrire pour m’employer au recouvrement des dits plants, où j’apportai telle diligence, que au commencement de l’an six cens un il en fut conduit à Paris jusques au nombre de quinze à vingt mil, les quels furent plantés en divers lieux dans les jardins des Tuilleries, où ils se sont heureusement eslevés... et pour d’autant plus accélérer et avancer la dicte entreprise, et faire cognoistre la facilité de cette manufacture, Sa Majesté fit exprès construire une grande maison au bout de son jardin des Tuilleries à Paris, accommodée de toutes choses nécessaires, tant pour la nourriture des vers que pour les premiers ouvrages de la soye. »
Olivier de Serres, préoccupé de tous les avantages qu’on pourrait retirer de l’introduction des mûriers, découvrit sur cet arbre une source de richesses à laquelle on n’avait pas songé avant lui. De la seconde écorce du mûrier blanc, disait-il, on peut tirer une filasse propre à remplacer le chanvre. « Plus de trente ans auparavant j’avois employé, dit-il, l’écorce de tendres rejetons de meuriers blancs à lier des entes à escusson an lieu de chanvre, dont communément l’on se sert en tel délectable mesnage. » Bien qu’il ne paraisse pas douteux que le mûrier puisse fournir une partie textile, néanmoins la découverte de l’illustre seigneur du Pradel paraît entièrement oubliée. Cependant quelques personnes prétendent avoir rencontré, dans l’ancienne province du Vivarais, des vignerons qui se servent de petites cordes faites avec l’écorce du mûrier pour attacher leurs provins et échalas.
L’ouvrage dans lequel Olivier de Serres a constaté ces premières expériences a pour titre : La seconde richesse du mûrier blanc. Il parut en 1605, et fut réimprimé en 1785. En consignant dans ses écrits les résultats de ses expériences, le noble cultivateur du Pradel fit acte de patriotisme et de bon sens ; il comprit que si la pratique fournit à l’homme les moyens de faire l’application des bons principes, c’est toujours la théorie qui les enseigne. Voici comment il s’exprime dans la préface de son Théâtre d’agriculture : « Il y en a qui se mocquent de tous les livres d’agriculture, et nous renvoyent aux paysans sans lettres, les quels ils disent estre les seuls juges compétans de ceste matière, comme fondés sur l’expérience, seule et seule règle de cultiver les champs. Certes, pour bien faire quelque chose, il la faut bien entendre premièrement. Il couste trop cher de refaire une besogne mal faicte, et surtout en l’agriculture, en la quelle on ne peut perdre les saisons sans grand dommage. Or, qui se fie à une générale expérience, au seul rapport des laboureurs, sans savoir pourquoi, il est en danger de faire des fautes mal réparables, et s’engarer souvent à travers champs sous le crédit de ses incertaines expériences. »
Olivier de Serres avait dû méditer sur la conduite que tinrent les Romains après la prise de Carthage ; ils ne se réservèrent pour eux que les livres qui traitaient d’agriculture, et abandonnèrent le reste au pillage.
La terre du Pradel est située au-dessous de Villeneuve-de-Berg. C’était, au temps d’Olivier de Serres, un château fort, flanqué de hautes tours, entouré de fossés larges et profonds. C’est là que l’illustre patriarche de l’agriculture française s’endormit dans un tranquille repos, le 2 juillet 1619 ; il était alors âgé de quatre-vingts ans. Il avait été marié à l’âge de vingt ans avec mademoiselle Marguerite d’Arcour ; il en avait eu sept enfants, quatre fils et trois filles.
Quelques années après sa mort, son château du Pradel fut assiégé par les catholiques. Malgré la résistance qu’opposat aux assiégeants l’un de ses fils, le château fut pris et rasé, ses plantations furent détruites ; une seule tour fut conservée, elle subsiste encore aujourd’hui ; c’est la même que le célèbre Arthur Young, voyageant en France en 1789, vint saluer de ses transports. « Qu’il me soit permis, dit-il, d’honorer la mémoire d’Olivier de Serres ; c’était un excellent cultivateur et un vrai patriote ! »
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