Le jour des Rois 1521, et cependant que les princes étaient dans l’usage de faire un roi de la fève, un accident faillit changer la face de l’Europe en terminant prématurément la carrière de François Ier
La concurrence de François Ier et de Charles Quint pour la couronne impériale avait fait naître leur sanglante rivalité. La victoire devait appartenir à celui qui mettrait le roi d’Angleterre dans son parti. Le monarque français obtint de lui une entrevue en 1520 — camp du Drap d’Or —, mais ne se souvenant plus qu’il avait besoin de gagner Henry VIII, François Ier l’éclipsa par sa grâce et sa magnificence.
Charles Quint, plus adroit, se concilia le cardinal Wolsey, ministre de Henri VIII, en lui faisant espérer la tiare. Le roi d’Angleterre comprit qu’en s’unissant à l’empereur, il avait la chance de recouvrer quelque chose des domaines que ses ancêtres avait possédés en France. Le reste de l’année 1520 s’écoula en négociations dont l’issue pacifique était de moins en moins probable.
Un accident faillit débarrasser Charles Quint de son rival, le 6 janvier 1521. Dans son Histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789, Henri Martin rapporte que comme la cour était allée fêter les Rois à Romorantin, en Berry, le roi, « sachant que M. de Saint-Pol [frère du duc de Vendôme Charles de Bourbon, qui était le chef de la branche cadette des Bourbons et qui fut le grand-père de Henri IV. Le comté de Vendôme avait été récemment érigé en duché-pairie, et le comté de Saint-Pol était passé par mariage de la maison de Luxembourg dans la maison de Bourbon] avait fait un roi de la fève en son logis », envoya défier « le roi de M. de Saint-Pol ».
François Ier. Gravure extraite du Recueil de portraits des personnes qui se sont distinguées tant dans les armes que dans les belles lettres et les arts, par Étienne Jehandier Desrochers (1668-1741) |
|
Le roi de France alla assiéger le roi de la fève : les assiégés se défendirent avec des pelotes de neige, armes convenables à la saison ; enfin, les munitions manquant et les assaillants forçant la porte, « quelque mal avisé » jeta par la fenêtre un tison, qui tomba sur la tête du roi. François fut grièvement blessé, et, pendant quelques jours, les chirurgiens « ne purent assurer de sa santé ».
Le bruit courut, en France et à l’étranger, que le roi était mort ou aveuglé du coup ; mais François Ier, pour démentir ces rumeurs, se montra à tous les ambassadeurs « qui étaient suivant sa cour », et se rétablit assez vite. Il ne voulut point qu’on recherchât qui avait jeté le tison, disant que, « s’il avait fait la folie, il fallait qu’il en bût sa part » (Fleuranges). Le « mal avisé » était, dit-on Jacques de Montgomery, seigneur de Lorges, capitaine de la garde écossaise au service du roi de France et père de Gabriel de Montgomery, celui qui, ironie funeste du sort, tua trente-huit ans plus tard accidentellement lors d’un tournoi le successeur de François Ier, Henri II.
La blessure de François Ier occasionna un changement assez remarquable dans les modes nationales : depuis bien des générations, on portait en France la barbe rase et les cheveux longs ; François Ier, ayant été obligé de se faire couper les cheveux, les conserva courts tout le reste de sa vie, et se laissa pousser la barbe à l’exemple des Italiens.
La cour du roi François Ier vers 1540. Gravure extraite des Monuments de la monarchie française, qui comprennent l’histoire de France avec les figures de chaque règne que l’injure des temps a épargnées (Tome 4), par Bernard de Montfaucon (1732) |
|
Les cours italiennes avaient en effet d’ores et déjà adopté la barbe longue, les stratèges transalpins jugeant que les cinglantes défaites infligées durant les guerres d’Italie étaient le résultat d’une trop grande féminisation de l’armée. En conséquance, le port de la barbe, symbole de la virilité, s’était répandu jusqu’à Rome. Le pape Jules II (1503-1513) avait ainsi arboré une longue barbe, ce qui n’était plus arrivé à un souverain pontife depuis des lustres.
La cour de François Ier imita le roi de France, puis successivement toutes les classes de la nation, et, pendant un siècle, on porta en France barbe longue et cheveux courts, cette mode se diffusant dans toutes les cours européennes, comme en Angleterre avec Henry VIII. Le dernier souverain barbu fut Henri IV, son fils Louis XIII préférant la moustache. Les parlements, en revanche, interdirent longtemps à leurs membres cette « nouvelleté », comme contraire à la dignité de la magistrature ; par compensation, ils furent les derniers à quitter la barbe au XVIIe siècle. Totalement disparue avec l’usage des perruques, la barbe ne fera sa réapparition qu’au milieu du XIXe siècle.
Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.