LA FRANCE PITTORESQUE
Daubenton (Louis Jean Marie), naturaliste
(Extrait des Éloges historiques de Cuvier)
Publié le mercredi 13 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Daubenton, né en 1716, à Montbard, département de la Côte-d’Or, était destiné à l’état ecclésiastique, et fut envoyé à Paris pour étudier la théologie ; mais il se livra, en secret, à l’étude de la médecine, et la mort de son père lui ayant bientôt laissé la liberté de suivre ouvertement son penchant, il acheva ses études médicales, et retourna dans sa patrie pour y exercer modestement l’état que son goût lui avait fait embrasser ; mais sa destinée le réservait pour un théâtre plus brillant.

La petite ville qui l’avait vu naître avait aussi produit un homme qu’une fortune indépendante, les agréments du corps et de l’esprit, un goût violent pour les plaisirs, semblaient destiner à tout autre carrière qu’à celle des sciences, et qui s’y trouvait cependant sans cesse ramené par ce penchant irrésistible, indice presque assuré de talents extraordinaires.

Louis Jean Marie Daubenton

TLouis Jean Marie Daubenton

Cet homme était Buffon, qui, après avoir essayé tour à tour la géométrie, la physique, l’agriculture, s’était enfin fixé sur l’histoire naturelle, et n’y trouvant que des catalogues décharnés, écrits dans une langue barbare, remplis d’erreurs dans les détails, dans les caractères distinctifs et les distributions méthodiques, avait pris pour tâche de peindre la nature telle qu’elle est, et d’esquisser à grands traits les lois qui en tiennent toutes les parties enchaînées en un système unique.

Mais il fallait tout revoir, tout recueillir ; il fallait porter le scalpel dans l’intérieur des êtres, et dévoiler leurs parties les plus cachées. Buffon sentit que son esprit impatient ne lui permettrait pas ces travaux, et il chercha un homme qui joignît, à la justesse d’esprit nécessaire pour ce genre de recherches, assez de modestie pour se contenter d’un rôle secondaire en apparence ; il le trouva dans le compagnon des jeux de son enfance, dans Daubenton. Il trouva en lui plus qu’il n’avait cherché.

Il existait au physique et au moral, entre les deux amis, un contraste parfait, et chacun d’eux semblait avoir reçu précisément les qualités propres à tempérer celles de l’autre par leur opposition. Buffon, d’une taille vigoureuse, d’un aspect imposant, d’un naturel impérieux, avide en tout d’une jouissance prompte, semblait vouloir deviner la vérité, et non l’observer. Daubenton, d’un tempérament faible, d’un regard doux, d’une modération qu’il devait à la nature autant qu’à sa propre sagesse, portait dans toutes ses recherches la circonspection la plus scrupuleuse ; il n’affirmait que ce qu’il avait vu et touché ; et tandis que Buffon plaçait à chaque instant son imagination entre la nature et lui, chez Daubenton, au contraire, toutes les ressources de l’esprit semblaient s’unir pour imposer silence à l’imagination. Ainsi la sagesse de l’un, s’alliant à la force de l’autre, parvint à rendre l’histoire des quadrupèdes (la seule qui soit commune à ces deux auteurs) celle des parties de l’histoire naturelle qui est la plus exempte d’erreurs.

Colonne élevée à la mémoire de Daubenton, dans le Jardin des Plantes, à Paris

Colonne élevée
à la mémoire de Daubenton,
dans le Jardin des Plantes, à Paris

Ce fut vers l’année 1742 que Daubenton fut attiré à Paris, et fut nommé, par le crédit de son ami, garde et démonstrateur du Cabinet d’histoire naturelle. Avant lui, ce cabinet n’était qu’un simple droguier où l’on recueillait les produits des cours publics de chimie, pour les distribuer aux pauvres qui pouvaient en avoir besoin, et il ne contenait, en histoire naturelle proprement dite, que des coquilles qui, ayant servi à amuser les premières années de Louis XV, portaient, pour la plupart, l’empreinte des caprices de l’enfant royal.

En bien peu d’années il changea totalement de face ; les minéraux, les fruits, les bois, les coquillages, furent rassemblés de toutes parts et exposés dans le plus bel ordre. Daubenton s’y enfermait pendant des heures entières pour se livrer à l’étude et à la classification de ces trésors, qui étaient devenues une véritable passion.

Ce goût pour l’arrangement d’un cabinet se réveilla avec force, lorsque, à la fin du XVIIIe siècle, les victoires de nos armées apportèrent au Muséum d’histoire naturelle une nouvelle masse de richesses. On vit alors Daubenton, à quatre-vingts ans, la tête courbée sur sa poitrine, les pieds et les mains déformés par la goutte, ne pouvant marcher que soutenu de deux personnes, se faire conduire, chaque matin, au cabinet pour y présider à la disposition des minéraux.

Daubenton est le premier qui ait appliqué la connaissance de l’anatomie comparée à la détermination des espèces de quadrupèdes dont on trouve les dépouilles fossiles ; et il a détruit pour jamais ces idées ridicules de géants qui se renouvelaient chaque fois qu’on déterrait les ossements de quelque grand animal. Son tour de force le plus remarquable en ce genre, fut la détermination d’un os que l’on conservait au Garde-Meuble comme l’os de la jambe d’un géant ; il reconnut que ce devait être l’os d’une girafe, quoiqu’il n’eût jamais vu l’animal, et qu’il n’existât point de figure du squelette.

Quelques-uns regardaient encore l’orang-outang comme un homme sauvage, comme un homme dégénéré. Daubenton prouva, par une observation ingénieuse et décisive sur l’articulation de la tête, que l’homme ne peut marcher autrement que sur ses deux pieds, ni l’orang-outang autrement que sur quatre.

Par les grands travaux que Daubenton a faits pour l’amélioration de nos laines, il a ouvert à l’Etat une nouvelle source de prospérité ; la réputation populaire qu’ils lui ont acquise, lui fut d’une grande utilité à l’époque de la révolution française, où il reçut, de la section des Sans-Culottes, un certificat de civisme, sous le titre du Berger Daubenton. Quand on connaît tous les travaux auxquels s’est livré Daubenton, et les fonctions qu’il a remplies, on est étonné d’apprendre qu’une partie de son temps était employée à lire, avec sa femme, des romans, des contes, et d’autres ouvrages légers, les plus frivoles productions de l’époque. Il appelait cela : mettre son esprit à la diète.

Ce grand naturaliste est mort le 31 décembre 1799, âgé de quatre-vingt-un ans. Cuvier lui a succédé au Collège de France.

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