Il s’opère en ce moment une espèce de restauration littéraire qui reporte le goût des esprits vers les monuments de la littérature du dix-septième siècle. Molière, Racine et Corneille sont ressuscités sur la scène française ; l’industrie de la librairie n’essaye de se relever que par la réimpression et l’illustration des chefs-d’oeuvre du siècle de Louis XIV. On ne pouvait oublier les Lettres de Mme de Sévigné, qui sont, avec les Mémoires du duc de Saint-Simon, les plus fidèles et les plus spirituels représentants de la langue, des mœurs, des principaux événements, des préoccupations intimes et journalières de ce grand siècle.
On a beaucoup agité la question de savoir si Mme de Sévigné avait écrit avec la pensée que ses lettres seraient publiées. Nous ne le croyons pas ; mais évidemment elle songeait, en les écrivant, à l’effet qu’elles devaient produire hors du cercle de l’intimité auquel elles s’adressaient. Elle dit quelque part : « Est-il, possible que mes lettres vous soient agréables au point que vous me le dites ? Je ne les sens point telles en sortant de mes mains, je crois qu’elles le deviennent en passant par les vôtres ; enfin, c’est un grand bonheur que vous les aimiez ; vous en êtes accablée de manière que vous seriez fort à plaindre si cela était autrement. M. de Coulanges est bien en peine de savoir laquelle de vos madames y prend goût ; nous trouvons que c’est un bon signe pour elle ; car mon style est si négligé qu’il faut avoir un esprit naturel et du monde pour pouvoir s’en accommoder. »
Elle dit ailleurs : « Vous savez que je n’ai qu’un trait de plume, ainsi mes lettres sont fort négligées ; mais c’est mon style, et peut-être qu’il fera autant d’effet qu’un autre plus ajusté... Mes lettres sont écrites d’un trait ; vous savez que je ne reprends guère que pour faire plus mal... Si vous trouvez mille fautes dans cette lettre, excusez-les, car le moyen de la relire ? »
Ces aveux et tout ce semblant de modestie suffisent pour montrer que Mme de Sévigné, en écrivant ses lettres, se préoccupait beaucoup de l’effet qu’elles produiraient, ce qui ne leur enlève pas leur charme exquis de grâce, de vivacité, de naturel ; l’art ne nuit jamais.
Marie de Rabutin-Chantal, marquise de Sévigné, est née le 5 février 1626, à Paris. Ayant perdu sa mère dans l’âge le plus tendre, elle fut élevée par l’abbé de Coulanges, dont elle a immortalisé le nom sous le titre du Bien Bon. Ses premières années se passèrent à quatre lieues de Paris, dans le joli village de Sucy ; Ménage et Chapelain, qui venaient souvent chez son aïeul, Coulanges le financier, cultivèrent son esprit.
Elle avait une taille élégante, des cheveux blonds, une fraîcheur éblouissante, une expression de figure vive et spirituelle. A peine âgée de dix-huit ans, elle épousa, le 1er août 1644, Henri de Sévigné, maréchal de camp. Le marquis vivait peu avec sa femme, se livrait à de folles dépenses et à la débauche ; en 1651, il fut tué en duel. Veuve à un âge si peu avancé, Mme de Sévigné renonça à renouer de nouveaux liens, et se consacra tout entière à l’éducation de son fils et de sa fille. En 1654, après avoir réparé le désordre de ses affaires, elle parut dans le monde, et fit les délices de l’hôtel de Rambouillet, dont son esprit délicat lui fit éviter le mauvais goût et le ridicule.
Mme de Sévigné eut de nombreux et illustres prétendants à son amour ; mais elle ne voulait que des amis, elle en eut beaucoup. Elle fut liée avec le surintendant Fouquet, et eut la gloire de partager avec la Fontaine et Pélisson le courage de rester fidèle à un ami, en dépit de la disgrâce de Louis XIV. La grande passion de Mme de Sévigné fut pour sa fille, Mme de Grignan, dont l’éloignement de sa mère nous a valu la plus nombreuse partie de ces lettres si naïves et si spirituelles, si pleines d’abandon et d’originalité. Son fils était indigne d’une telle mère par la légèreté et le désordre de sa vie. On a souvent reproché à Mme de Sévigné de mettre de l’affectation dans l’expression de ses sentiments pour sa fille, on est même allé jusqu’à les mettre en doute.
La mort de Mme de Sévigné est la meilleure réponse à cet injurieux soupçon. Vers la fin de mai 1694, elle fit son dernier voyage en Provence, à Grignan. Au mois d’octobre 1695, Mme de Grignan fut atteinte d’une grave maladie ; sa mère, qui était encore auprès d’elle, en fut très accablée : elle lui prodigua les soins les plus assidus et les plus touchants ; elle se relevait les nuits pour aller voir si sa fille dormait, et s’oubliait ainsi elle-même pour ne songer qu’à l’état de Mme de Grignan. Excédée enfin de fatigues, elle tomba malade, le 6 avril 1696, d’une fièvre continue, qui l’emporta le quatorzième jour, à l’âge de soixante-dix ans et deux mois.
Elle expira calme et résignée. Dans la vie privée, elle était simple et bonne, naturelle et obligeante : elle a vécu avec les personnages les plus distingués du siècle de Louis XIV. On a beaucoup reproché à Mme de Sévigné de ne pas aimer Racine ; on lui a même fait dire une phrase qui lui est généralement attribuée : « Racine passera comme le café. » Mme de Sévigné n’a jamais écrit ce jugement, il ne se trouve dans aucune de ses lettres.
C’est en 1696 que ces lettres célèbres commencèrent à être connues par la publication des Mémoires de Bussy-Rabutin, son cousin, qui en avait inséré plusieurs. Successivement, tous ceux qui en possédaient les publièrent. L’édition la plus complète et la plus fidèle, qui reproduit le véritable texte de Mme de Sévigné, a paru en 1818 ; elle a été faite par M. de Monmerqué.
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