François de Salignac de la Motte-Fénelon était né au château de Fénelon dans le Quercy, le 6 août 1651, d’une maison ancienne dans l’Etat et dans l’Eglise. Des inclinations heureuses, un naturel doux, joints à une grande vivacité d’esprit, furent les présages de ses vertus et de ses talents. Dès l’âge de dix-neuf ans, il prêcha et enleva tous les suffrages. En 1689, Louis XIV lui confia l’éducation de ses petits-fils, les ducs de Bourgogne, de Berry et d’Anjou. Ce choix fut si applaudi, que l’Académie d’Angers le proposa pour sujet du prix qu’elle adjugeait chaque année. Sous un instituteur tel que Fénelon, le duc de Bourgogne devint le plus accompli de tous les princes, et donna dès lors ces grandes espérances qui furent si cruellement trompées par sa mort prématurée.
François de Salignac de La Mothe-Fénelon dit Fénelon |
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En 1695, Fénelon obtint la digne récompense de ses soins, par la nomination à l’archevêché de Cambrai. Les premières années de son épiscopat furent troublées par sa grande querelle avec Bossuet, dont il avait d’abord été le disciple et l’ami, et dont il devint alors malgré lui le rival et l’ennemi. Fénelon fut relégué dans son archevêché de Cambrai en 1697 : c’est alors qu’il composa ce livre singulier et immortel, qui tient à la fois du roman et du poème, et qui substitue une prose cadencée à la versification. Il semble qu’il ait voulu traiter le roman comme Bossuet avait traité l’histoire, en lui donnant une dignité et des charmes inconnus, et surtout en tirant de ces fictions une morale utile au genre humain : morale entièrement négligée dans presque toutes les inventions fabuleuses.
On a cru qu’il avait composé ce livre pour servir de thèmes et d’instructions au duc de Bourgogne, et aux autres enfants de France, dont il était précepteur, ainsi que Bossuet avait fait son Histoire universelle pour l’éducation de Monseigneur. Mais son neveu le marquis de Fénelon, héritier de la vertu de cet homme célèbre, et qui fut tué à la bataille de Rocou, a toujours assuré le contraire. En effet, il n’eût peut-être pas été convenable que les amours de Calypso et d’Eucharis eussent été les premières leçons qu’un prêtre eût données aux enfants de France.
Fénelon, plein de la lecture des anciens, et né avec une imagination vive et tendre, s’était fait un style qui n’était qu’à lui, et qui coulait de source avec abondance. On a dit que sur son manuscrit original il n’y avait pas dix ratures. Il le composa en trois mois, au milieu de ses malheureuses disputes sur le Quiétisme. On prétend qu’un domestique lui en déroba une copie qu’il fit imprimer : si cela est, l’archevêque de Cambrai dut à cette infidélité toute la réputation qu’il eut en Europe ; mais il lui dut aussi d’être perdu pour jamais à la cour. On crut voir dans Télémaque une critique indirecte du gouvernement de Louis&bsp;XIV. Sésostris, qui triomphait avec trop de faste ; Idoménée, qui établissait le luxe dans Salente, et qui oubliait le nécessaire, parurent des portraits du roi. Le marquis de Louvois sembloit, aux yeux des mécontents, représenté sous le nom de Protésilas, vain, dur, hautain, ennemi des grands capitaines qui servaient l’Etat et non le ministre.
Les alliés qui, dans la guerre de 1688, s’unirent contre Louis XIV, qui depuis ébranlèrent son trône, dans la guerre de 1701, se firent une joie de le reconnaître dans ce même Idoménée, dont la hauteur révolte tous ses voisins. Ces allusions firent des impressions profondes, à la faveur de ce style harmonieux, qui insinue d’une manière si tendre la modération et la concorde. Les étrangers et les Français même, lassés de tant de guerres, virent avec une consolation maligne, une satire dans un livre fait pour enseigner la vertu. Les éditions en furent innombrables : il s’en fit quatorze en langue anglaise.
Fénelon a laissé un grand nombre d’autres ouvrages, dont plusieurs sont estimés de tous les gens de goût : 1° Dialogue sur l’Éloquence en général, et sur celle de la chaire en particulier, avec une lettre sur la rhétorique et la poésie ; la lettre est adressée à l’Académie française. Fénelon avait été reçu dans cette compagnie en 1693 à la place de Pelisson. 2° Dialogue des Morts : ces dialogues, comparables à ceux de Lucien, sont écrits avec moins de recherche d’esprit que ceux de Fontenelle. 3° Direction pour la conscience d’un roi. Cet ouvrage a été composé pour le duc de Bourgogne. C’est, dit La Harpe, l’abrégé de la sagesse et le catéchisme des princes. 4° Abrégé des Vies des anciens philosophes : autre fruit de l’éducation du duc de Bourgogne. 5° Démonstration de l’Existence de Dieu par les merveilles de la nature. 6° Des Œuvres spirituelles ; des Sermons ; plusieurs Ecrits théologiques et des Lettres.
Ramsay, disciple de l’archevêque de Cambrai , a publié la vie de son illustre maître. De Beausset, ancien évêque d’Alais, membre du chapitre impérial de Saint-Denis, en a donné une nouvelle en 1808, composée sur les manuscrits originaux. Louis XVI a fait faire en marbre la statue de l’auteur du Télémaque.
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