Né à Paris en 1889, le poète et romancier Émile Henriot, qui deviendra journaliste au Temps, critique littéraire du Monde à la Libération et entrera à l’Académie française en 1946, publie en 1928 un Alfred de Musset, qui est l’évocation la plus vivante et la plus informée de l’œuvre et de la vie du grand poète. Voici un extrait du chapitre en retraçant les derniers jours...
Alfred de Musset avait toujours aimé la peinture. Tout à la fin, il voulut se donner une suprême fête, revoir au Louvre, sans témoin, ses Italiens préférés, qui furent à sa ressemblance, amis de l’élégance noble, passionnés, poètes, fastueux embellisseurs, épris d’émotions de choix.
De M. de Nieverkerke, alors directeur des musées, il obtint cette faveur de pouvoir errer, seul, toute une soirée, un flambeau à la main, le long de la grande galerie, de saluer une dernière fois, sorties de l’ombre à son approche, les émouvantes figures du Vinci, du Titien, du Corrège, de Paris Bordone et de Palma le vieux, les anges foudroyés du Tintoret, les chatoyantes compagnies qui se pressent aux palais de Véronèse, toutes ces idéales créatures de silence et de mystère, souriantes à travers les siècles, et dont un poète a plaisir à imaginer les belles âmes, à la correspondance des visages.
Quel dialogue institué entre ces mortes et ce demi-vivant qui s’apprête à. bientôt les rejoindre ?... Ici, il faut rêver à notre tour, essayer de réinventer ces précieux échanges : le poète n’ayant point parlé de cette pathétique promenade, faite seul au pays des ombres. Le beau thème que ce poème informulé, musique à soi-même, perdue !
Nul témoin ne l’accompagna. On sait seulement qu’il fut heureux. Dernier bonheur, qui intéresse également l’âme et l’esprit de ce rêveur passionné, ami du grand, et que son imagination porte aux cimes.
Là-dessus, il pourra mourir.
Seul. Mourir seul. Après avoir passé une soirée auprès de lui, souffrant, son frère, le croyant mieux, s’était absenté. Alfred, a besoin de repos. « Dormir ! Enfin je vais dormir ! » C’est le dernier mot qu’il prononcera. Le cœur cessa de battre dans la nuit. Pauvre cœur, qui a tant battu, et qui pour la première fois, en effet, va connaître la paix ! L’âme en dormant s’est échappée.
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