Sous le règne du roi Louis XI vivait à Paris, vers l’an 1450, un individu nommé Pierre le Tonnelier, exerçant la profession de bonnetier et ayant boutique en face le Palais de Justice. Son commerce était prospère, car il vendait non seulement en France, mais aussi dans les pays voisins et pour cela voyageait lui-même, laissant à sa femme la surveillance de la maison de commerce, pendant ses absences. Mais en 1481 et à l’occasion d’une commande réalisée pour le duc de Bretagne François II, il est incarcéré cependant qu’il séjourne à Nantes, suspecté d’avoir été le complice du roi Louis XI dans une tentative d’empoisonnement du duc par bonnets interposés...
Il visitait la Bretagne une ou deux fois par an, pour prendre des commandes et pour livrer les bonnets qu’il avait fabriqués pendant le reste de l’année. Il ne visitait point Nantes, mais s’arrêtait à Rennes, où il avait de bons clients, notamment un certain Michel le Doulx. Il apprit que plus tard celui-ci était devenu garde-robier du duc de Bretagne, François II ; du moins il se faisait passer pour tel, en réalité, le véritable garde-robier du duc était le trésorier Pierre Landais ; mais celui-ci, qui ne négligeait aucun profit, lui avait affermé pour vingt ans les fonctions pour lesquelles il était rémunéré lui-même.
Vers l’an 1475 ou 76, au cours d’un voyage qu’il fit à Rennes, le Doulx chargea le bonnetier d’une commande pour le duc François II. Il hésita beaucoup à s’en charger, mais le Doulx insista tellement qu’il accepta. « Je vais, dit celui-ci, vous donner le patron des bonnets. que vous aurez à faire ; car, ajouta-t-il, le duc a la tête si grosse que l’on rencontre peu de gens en ayant une semblable. Il les faut donc très grands et aussi très profonds. » Il en commanda quatre douzaines, et l’on tomba d’accord sur le prix de huit écus et vingt-quatre targes la douzaine.
Le duc de Bretagne François II en prière (vitrail des Cordeliers de Nantes) |
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« Vous en ferez, lui dit le Doulx, trois douzaines de noirs et une douzaine de rouges ; les bonnets noirs sont pour le jour, les bonnets rouges sont pour la nuit ; mais n’oubliez pas de les faire très grands, car le duc a l’habitude de les retrousser de deux ou trois grands doigts. Ayez soin surtout que les bonnets pour la nuit soient plus profonds que les noirs, Monseigneur le duc de Bretagne, ajouta-t-il, a l’habitude de les mettre directement sur la tête, sans interposer aucun linge entre celle-ci et le bonnet. » Le Doulx lui commanda, en même temps, une livre de poudre de violette : « Car, dit-il, c’est le parfum préféré de Monseigneur le duc de Bretagne, qui en soupoudre ses bonnets ; il veut que tout à l’entour de lui sente bon et bien fort. »
Tous les ans, chaque fois que le bonnetier venait à Rennes, le Doulx lui passait semblable commande pour le duc. Le bonnetier vint même jusqu’à Nantes, en l’an 1479, pour livrer les bonnets. L’année suivante, il revint pour son commerce, mais sans apporter de bonnets pour le duc de Bretagne, n’ayant reçu aucun ordre d’exécution de la part de le Doulx. Celui-ci fit cette fois une commande plus importante que d’habitude : il lui en demanda une demi-grosse, soit six douzaines, insistant surtout, pour qu’ils soient livrés le plus tôt possible.
Le bonnetier les fit donc confectionner par sa maison de Paris, d’où il repartit dès le mois de mai de l’année suivante (1481), à destination de Rennes, où il trouva le Doulx qui, après avoir vu les bonnets et les ayant trouvés de son goût, le pria d’aller les porter lui-même à Nantes. Il partit aussitôt, emportant les bonnets du duc de Bretagne et en même temps une demi-douzaine d’autres bonnets confectionnés pour le roi d’Espagne, qui lui avaient été commandés à son précédent voyage par un marchand espagnol, nommé Jehan de Ferrière, qui était établi à Nantes.
Il arriva dans cette ville la veille de la Pentecôte, et c’est seulement le lundi qu’il put voir le Doulx pour lui remettre les bonnets. Celui-ci lui dit qu’il n’avait point d’argent pour le payer, mais qu’il se proposait de vendre un collier d’or à un marchand de Paris, nommé Jehan Barbedor, lequel était aussi geôlier, qui le paierait sur le prix qu’il en retirerait. Le bonnetier accepta la proposition et attendit en vain toute la journée du lundi et celle du lendemain qu’on lui remit le collier.
Pendant son séjour à Nantes, il logeait sur la Fosse, dans l’hôtel d’un bourgeois de cette ville, nommé Lucas de Richebourg. Le mercredi suivant, dans la matinée, il était encore couché dans la chambre qu’il occupait avec son jeune serviteur, Raymond Dupuis, lorsqu’on frappa à sa porte. Quel ne fut pas son étonnement de voir six archers, qu’accompagnait le Prévôt des Maréchaux ! On s’empara du jeune Dupuis et on le laissa lui-même enfermé pendant toute la journée, sous la garde de deux archers. Il demanda à ses gardes pourquoi on l’arrêtait, mais ceux-ci lui répondirent qu’ils n’en savaient rien.
Ce fut seulement lorsque la nuit fut venue, pour ne pas éveiller l’attention du peuple, qu’on vint le chercher. Huit archers le conduisirent dans une tour de la ville, située près la porte Saint-Nicolas, et qui servait de prison. Aussitôt on lui mit les fers et on le plaça sous la surveillance de deux archers, qui ne le quittèrent ni jour ni nuit. Ses gardiens l’avertirent que les fers qu’on lui mettait étaient solides, car « ils sont faits, dirent-ils, comme carcans et qui y mettrait lime ou ferrement, le feu y prendrait. »
Il resta ainsi pendant plus d’un mois sans qu’il put savoir pourquoi il était maintenu prisonnier, lorsque le 29 juin, qui était jour de la Saint-Pierre, plusieurs personnes entrèrent dans sa prison pour lui faire subir un premier interrogatoire. C’était le Prévôt des Maréchaux de Nantes et les Sénéchaux de Vannes et de Ploërmel, assistés d’un secrétaire. Ils lui demandèrent où avaient été confectionnés les bonnets qu’il avait livrés à le Doulx. Il répondit qu’il les avait faits et fait faire dans sa maison de Paris, où ils avaient été teints en même temps que tous ceux qu’il avait vendus partout ailleurs. On lui demanda de donner le nom des teinturiers, il répondit qu’ils étaient deux : l’un nommé Henri Langlois, l’autre Séverin Canaye
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L’interrogatoire, cette fois, ne fut pas poussé plus loin, mais les jours suivants le Prévôt revint le voir et lui fit savoir qu’il était accusé d’une chose très grave, sans préciser toutefois de quoi il s’agissait ; il l’avisa néanmoins qu’il était de son intérêt de ne rien cacher de la vérité. Le bonnetier resta ainsi dans la même situation et dans la même incertitude pendant trois mois, sans avoir pu savoir ce que l’on avait fait de son jeune serviteur.
Au bout de ce temps, il fut à nouveau interrogé par le Prévôt et les mêmes sénéchaux que la première fois, accompagnés toujours de leur secrétaire et aussi d’un homme grand, maigre et brun, qu’on lui dit être le Procureur Général. On lui fit alors savoir qu’il était accusé d’avoir voulu empoisonner le duc de Bretagne, au moyen des bonnets qu’il lui avait livrés, en y mettant de mauvaise poudre ; ils l’engagèrent, dans son intérêt, à tout avouer, l’avertissant que s’il ne disait pas la vérité, on userait à son égard de toute la rigueur que comportait la situation. Le bonnetier, qui n’avait rien à se reprocher, leur dit que puisqu’ils avaient les bonnets en leur possession, il leur était loisible de les faire visiter aussi bien que la poudre de violette et qu’il leur serait facile de se convaincre que le tout était normal ; qu’il consentait, d’ailleurs, à être puni s’il en était autrement.
Le Procureur Général lui dit que le duc était bien informé et qu’il n’ignorait pas que les bonnets étaient empoisonnés ; il savait qu’il avait agi ainsi sur les ordres du roi de France. Il l’engagea à en faire l’aveu, s’il ne voulait pas être mis à la question, ajoutant que s’il confessait librement ce qu’il en était, le duc lui pardonnerait tout et lui donnerait même de l’argent, tant et « tellement que lui ni les siens n’auraient jamais pauvreté. » Le bonnetier répondit qu’il ne pouvait avouer ce qui n’était pas, puisqu’il n’avait jamais parlé au roi ni à aucune personne venant de sa part. On le menaça de le faire jeter à la rivière s’il n’avouait pas ; il persista à répondre qu’il ne pouvait se déclarer coupable d’un crime dont il était innocent et ajouta même qu’il renonçait à toutes grâces et pardons qu’on pourrait lui faire, ainsi qu’au bénéfice de sa cléricature (car il était clerc en même temps que marchand).
Au cours de l’interrogatoire, l’un des sénéchaux (celui de Ploërmel) lui dit qu’il était possible que le roi ne lui ait pas parlé lui-même, mais qu’il l’ait fait faire par le sieur de Lude, ce que le bonnetier nia comme il avait toujours fait. Avant la fin de l’interrogatoire, on lui demanda s’il voulait faire le serment sur le « Corpus Domini » et sur les reliques de Saint-Hervé, qu’il n’avait rien mis ni fait mettre dans lesdits bonnets et qu’il ne lui avait jamais été ordonné de les empoisonner ; on lui demanda aussi s’il consentait à les essayer. Il répondit qu’il était prêt à faire le serment qu’on lui demandait aussi bien qu’à essayer les bonnets. Ce fut cette dernière mesure qui fut prise.
Le lendemain, on lui amena un barbier qui lui rasa complètement la tête, puis, quelques instants après, un sergent apporta un des bonnets pour l’en coiffer ; mais comme ce bonnet était tout décousu, fripé et en mauvais état, il craignit que ses juges ne l’aient eux-mêmes empoisonné. Il pria donc le sergent de dire au Prévôt qu’il voulait lui parler avant de coiffer le bonnet. Celui-ci s’étant présenté, il lui fit part de ses craintes, disant qu’il ne consentirait à le mettre que si on lui affirmait qu’on y avait fait aucun mal.
Ayant eu l’assurance du Prévôt que les bonnets qu’on lui mettrait seraient tels qu’il les avait envoyés, il consentit à les mettre. Auparavant, le Prévôt lui amena un chapelain pour le confesser, lui disant que s’il mourait en essayant les bonnets, il ferait porter son corps au Bouffay et lui ferait trancher la tête comme à un criminel. Le pauvre bonnetier fut donc coiffé d’un premier bonnet qu’il garda pendant un jour et demi, tant nuit que jour. On lui en fit essayer ainsi vingt-neuf, ne retirant l’un que pour le coiffer d’un autre, toujours étroitement surveillé, nuit et jour, et ainsi pendant plus d’un mois. Durant cette épreuve, le Prévôt, les Sénéchaux ou le Procureur Général vinrent le visiter souvent, lui faisant toujours des promesses ou des menaces, suivant qu’il reconnaîtrait ou nierait avoir voulu empoisonner le duc par ordre de Louis XI.
Au commencement de décembre, vers l’époque de la Saint-Nicolas d’hiver, alors qu’il avait essayé déjà dix-neuf bonnets, il fut extrait de la prison où il était détenu depuis son arrestation et conduit, pendant la nuit, au logis du Prévôt, où il fut de nouveau enferré. Là, il fut constamment surveillé par le Prévôt lui-même, qui ne cessait de le contraindre d’avouer, bien qu’en mesure de se rendre compte, par l’épreuve qu’il lui faisait subir, qu’il n’y avait aucun poison dans les bonnets. Le bonnetier fit même remarquer à ses juges qu’ils devaient savoir à quoi s’en tenir sur l’innocuité des bonnets, parce qu’ils s’en étaient servis eux-mêmes, ainsi que leur secrétaire, qu’il avait vu coiffé d’un bonnet noir.
On ne lui répondait rien. Cependant, depuis qu’il était détenu à l’hôtel du Prévôt, celui-ci lui proposa à trois ou quatre reprises de le délivrer, s’il voulait lui donner cinq cents écus ; il refusa, disant que l’argent qu’il possédait lui était nécessaire pour son commerce, qu’au surplus, il demandait seulement qu’on lui rendît justice.
Le dimanche d’avant Noël, le Prévôt vint le trouver pour lui annoncer cette fois qu’il serait délivré, mais à la condition qu’il jurerait sur les évangiles de ne jamais parler au roi, ni à qui que ce soit de ce qui lui avait été dit et fait. Il en fit le serment comme il lui était demandé, sous la réserve toutefois qu’il n’en fut pas contraint par « gehynne », c’est-à-dire sous la menace des moyens qu’on employait à cette époque pour obtenir des aveux.
Le Prévôt fit ensuite venir la femme du bonnetier, qui s’était rendue à Nantes, quand elle avait connu la situation critique de son mari, et il lui fit prêter le même serment qu’à celui-ci. Il en fit autant pour le jeune serviteur, Raymond Dupuis, auquel il dit que s’il dévoilait quoi que ce soit de ce qu’il avait vu, il lui ferait trancher la tête. II fit ensuite enfermer dans une chambre de son hôtel, le bonnetier et sa femme jusqu’au lundi matin, où il les fit mettre dehors et conduire au-delà des faubourgs de la ville.
Toutefois, avant de les mettre en liberté, ses juges s’étant rappelé qu’il était clerc, voulurent le déférer à l’Official, pour se décharger de lui et aussi parce que son arrestation et sa détention avaient eu lieu sans forme de justice, mais il leur dit qu’il ne voulait pas invoquer son privilège de clerc et qu’il renonçait à user de son droit d’être jugé par l’Official, parce qu’il était complètement innocent des faits qu’on lui reprochait et qu’il avait hâte de retourner à ses affaires. On se décida donc à le mettre dehors, mais le Prévôt garda, tant pour lui que pour les sénéchaux, une partie des bonnets qu’il’ avait apportés et ne lui rendit que ceux qui étaient sales ou en mauvais état.
Sa détention avait duré plus de cinq mois et demi. Quand il fut hors de la ville avec sa femme et son serviteur, ils prirent le chemin du retour, se promettant bien de ne jamais remettre les pieds en Bretagne, avant que cette province ne fut entre l’es mains du roi. Arrivé à Angers, se sentant plus en sûreté sur le sol français que sur le sol breton, le bonnetier s’empressa d’aller trouver les échevins de cette ville pour leur conter sa mésaventure. Il estimait que le serment qu’il avait fait de ne rien dévoiler, lui ayant été arraché par contrainte, il pouvait, sans forfaire à l’honneur, porter appel contre le duc de Bretagne et ses officiers, à raison des actes injustes dont il avait été victime.
Il déclara donc son appellation devant le maire et les échevins d’Angers, qui le firent comparaître devant eux le 28 décembre 1481. Or, à cette époque, tous les historiens l’ont proclamé, François II était « dénué de son entendement », suivant l’expression dont ils se servaient. Il vivait retiré dans une chambre du château de la Tour Neuve, sans voir personne sinon son trésorier, Pierre Landais, qui était le maître de la Bretagne. Il ne faut pas oublier, non plus, que le Doulx, qui joua l’un des principaux rôles dans cette affaire, était le représentant de Landais dans les fonctions de garde-robier qui lui avaient été attribuées avec celles de trésorier.
Le bonnetier nous apprend ainsi que le jour de la Conception de Notre-Dame, c’est-à-dire le 8 décembre 1481, alors qu’il était prisonnier à l’hôtel du Prévôt des Maréchaux, à l’issue de la messe qu’il entendit en même temps que le barbier du Chancelier de Bretagne et du curé de « Saint-Lezaire » — c’est sans doute de Saint-Nazaire dont il veut parler, le greffier ayant probablement mal compris lorsque le bonnetier faisait sa déposition —, celui-ci lui dit qu’il avait très grand peur d’être ramené en Basse-Bretagne, car il avait déjà été longtemps détenu prisonnier au château d’Auray, dont le trésorier Pierre Landais était capitaine. Il savait que deux marchands de Normandie y étaient retenus prisonniers, par ordre de celui-ci, depuis cinq ans, sans que personne sache où ils étaient.
On sait, en effet, que c’est dans ce château que Landais fit conduire sa victime, le Chancelier Chauvin, avant de l’envoyer mourir des suites de ses mauvais traitements, dans un cachot du château de l’Ermine, à Vannes. Le bonnetier nous apprend que le curé de Saint-Lezaire parvint à s’échapper et put se réfugier dans la Cathédrale de Nantes, qui était un lieu inviolable ; il connut ce détail par un de ses gardiens.
Il nous rapporte aussi, qu’au cours d’une conversation qu’il eut avec le barbier du Chancelier Chauvin, celui-ci lui raconta que Pierre Landais faisait détenir prisonnier le Chancelier et lui faisait endurer tous les maux qu’il pouvait ; il ajouta, en parlant de Pierre Landais, qu’il était « le plus mauvais homme du monde, qu’il était sorcier et innovateur et usait de mauvais art, qu’il avait fait empoisonner feu Philippe des Essarts et que les gens aie bien le disaient ainsi en secret, mais que personne n’en osait parler en publie, ajoutant que si le trésorier ne pouvait faire mourir le Chancelier par justice, il le ferait empoisonner. »
Le bonnetier ajouta au cours de sa déposition, que si le duc ou ses gens savaient que le curé de Saint-Lezaire et le barbier du Chancelier lui avaient révélé ces choses, il était certain qu’ils les feraient mourir. Il dit aussi que pendant qu’il fut enfermé dans la Tour Saint-Nicolas, on y emprisonna le sieur de la Musse, fils aîné du Chancelier Chauvin. Lorsqu’il était détenu à l’hôtel du Prévôt, il ne se passait pas de jour qu’on amenât à celui-ci des prisonniers, qui, pour la plupart, étaient des gens d’église. On attendait toujours la nuit pour les conduire, et cela, dans le but d’éviter d’attirer l’attention de la population, Tous ces prisonniers disaient que c’était le trésorier Landais qui les faisait arrêter.
Un des archers qui étaient chargés de garder le bonnetier, lui dit un jour que Pierre Landais était détesté de tout le peuple de Bretagne parce que « tous les maux qui s’y faisaient, c’était lui, qui les faisait faire ». Il apprit aussi que le duc de Bretagne défendait formellement à ses sujets (du moins l’ordre était donné en son nom) de prendre à leur service un sujet français, sous peine d’en répondre sur leur vie.
Un des gardes du bonnetier, nommé Jehan le Moyne, qui avait été auparavant au service de l’Amiral Coëtivi, lui dit que le clerc de le Doulx lui avait commandé de mettre dans le vin qu’on lui versait une poudre qu’il disait être de la poudre de violette. Cet archer s’étant refusé de le faire, lui fut retiré ; d’ailleurs, on lui changea ses gardes lorsqu’il fut transféré à l’hôtel du Prévôt.
Il ajouta qu’il soupçonnait fort qu’à partir de ce moment, Pierre Landais et Michel le Doulx, voyant que le procès ne tournait pas à leur avantage, essayèrent de le faire empoisonner, en faisant mettre dans la nourriture qu’on lui servait un produit malfaisant, car depuis qu’il était en liberté, il éprouvait des indispositions qu’il se ressentait jamais auparavant.
L’aventure du malheureux bonnetier n’avait pas été sans intéresser vivement Louis XI, car elle pouvait être pour lui une occasion de représailles contre le souverain de cette Bretagne qu’il avait hâte d’annexer au royaume de France. Aussi, non content de la seule déposition du bonnetier, recueillie par les échevins d’Angers, il ordonna à celui-ci de se présenter devant son grand Conseil, pour être entendu à nouveau sur les faits qu’il avait rapportés.
Il se présenta donc à Chinon, porteur d’une lettre signée par le roi fui-même, laquelle était ainsi libellée : « Monsieur le Chancelier, je vous envoye ce porteur qui a été longtemps détenu prisonnier pour moi en Bretagne, qui vous porte sa déposition qu’il a faite devant ceulx d’Angiers. Et pour ce, voyez ladite déposition devant tout mon Conseil, et le faite oyr derechief et advisez ce qui est à faire en ceste matière ; et adieu. Escript à Thouars le second jour de février. Et le despeschez le plustôt que faire se pourra ; car il n’a pas besoin de demourer longuement, veu la maladie de ses jambes, ainsi que le verrez. Ainsi signé : Loys. Et dessous : Robineau. »
Notre bonnetier fut donc entendu à nouveau par tous les Conseillers, sous la présidence du Chancelier de France à Chinon, le 5 février 1482. Il serait intéressant de savoir quelle suite fut donnée à cette affaire, car il ne semble pas que le rusé Louis XI ait laissé sans sanction un acte de son « beau neveu » le duc de Bretagne ou de son fidèle trésorier Pierre Landais, à l’égard desquels il nourrissait des sentiments peu amicaux.
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