Jadis célèbre, ce nom est aujourd’hui presque ignoré de nos contemporains qui n’ont pas connu les triomphes de l’artiste éminente qui le porta. Italienne de naissance, celle qui voit le jour en 1827 et est une des premières à aborder la carrière d’artiste violoniste, à une époque où cet instrument paraît devoir rester pour toujours le monopole du sexe masculin, suit ses premiers cours en France et s’adonne à une carrière européenne à laquelle elle met un terme peu avant de fêter ses 30 ans, rendant son dernier souffle à Paris près d’un demi-siècle plus tard.
Thérésa Milanollo (ou Teresa) naquit à Savigliano, dans le Piémont, le 28 août 1827. Son père, mécanicien, fabriquait principalement des moulinets à soie pour le besoin des habitants de son pays ; il employait ses loisirs à réparer de vieilles boîtes de violon qu’il achetait à bon compte chez les brocanteurs des environs.
La vocation de sa fille Thérésa, l’aînée des trois enfants issus de son mariage, se manifesta de bonne heure, et elle répondit un jour, à peine âgée de quatre ans, quand son père lui demanda si elle avait bien prié à l’église : « Non, papa, je n’ai fait qu’écouter le violon. » A partir de ce moment, l’enfant ne cessa de supplier qu’on lui donnât un violon, et son père finit par lui en fabriquer un lui-même en bois blanc. Il mit sa fille entre les mains du maître du village, Giovanni Ferrero, et comme elle progressa rapidement, il se décida à l’envoyer à Turin, où il la fit entrer au Conservatoire de la ville.
Thérésa Milanollo en 1850 |
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Après un début plein de promesses, alors que l’enfant n’avait que huit ans, son père se décida à quitter ses occupations et son pays, pour se vouer exclusivement à l’éducation artistique de son enfant prodige. Il se rendit à Paris, et mit Thérésa entre les mains du violoniste Lafont. L’enfant avait neuf ans, quand son professeur, enchanté de ses rapides progrès, la fit entendre à l’Opéra-Comique, et l’emmena dans sa tournée de concerts en Belgique et en Hollande.
De là, on se rendit en Angleterre, où Thérésa se fit entendre plusieurs fois aux célèbres concerts de Covent Garden. Son père, alors, accepta pour elle seule une tournée de concerts dans différentes villes du pays de Galles, où elle eut un immense succès, tout en se prodiguant au détriment de sa santé, car on la fit jouer quarante fois dans l’espace d’un seul mois.
Malgré cette vie errante, Thérésa ne cessa de travailler pour se perfectionner dans son art. Elle se voua, en outre, à l’éducation de sa jeune sœur Maria, née en 1832, dont elle fut le seul professeur, et qu’elle présenta pour la première fois au public à Boulogne-sur-Mer, lors de son retour d’Angleterre, en 1838. Le public enthousiaste acclama frénétiquement ces jeunes prodiges, dont l’aînée avait onze ans. la cadette six ans à peine.
Dès son retour à Paris, M. Milanollo confia sa fille à Habeneck, célèbre professeur du Conservatoire, le priant de vouloir bien diriger ses études, et celui-ci, séduit par le jeu plein de charme et de sentiment de son élève, résolut de la faire entendre dans un de ses concerts nouvellement fondés, aujourd’hui connu sous le nom des concerts du Conservatoire.
L’enfant joua avec une telle maestria à la répétition générale, qu’elle fut autorisée à se présenter devant le public au lendemain même, le 18 avril 1841. L’enthousiasme des auditeurs et des artistes de l’orchestre ne connut pas de bornes, et les critiques les plus influents, Berlioz entre autres, décernèrent les éloges les plus flatteurs à cette enfant prodige, lui prédisant le plus bel avenir.
Le roi Louis-Philippe, désireux d’entendre les jeunes artistes sœurs, les reçut dans sa résidence d’été à Neuilly, le 3 juin 1841. Il leur fit les compliments les plus sincères sur leur talent, sur la grâce et la modestie avec lesquelles elles s’étaient présentées devant lui.
Dès l’année suivante, Thérésa entreprit, en compagnie de sa sœur, une nouvelle tournée à travers les principales villes de l’Europe. Bientôt on ne parla plus que des « sœurs Milanollo » dans les cercles aristocratiques de Bruxelles, de Liège, de Berlin et de Londres. Souvent elles furent obligées d’ajouter deux, trois concerts à ceux convenus d’avance, tant l’affluence du public était débordante et enthousiaste.
Quand Therésa eut atteint sa dix-huitième année, elle estimait que le temps était venu où elle devait renoncer aux concertos pour violon seul, et s’attaquer aux célèbres quatuors de Beethoven, dont l’exécution est la véritable pierre de touche de tout artiste consciencieux et capable. Dans ce nouveau genre, elle se révéla non moins supérieure qu’elle ne l’avait été jusqu’ici comme soliste. Elle s’acquitta avec une entente très fine et très juste de son rôle de guide impeccable des autres exécutants, parmi lesquels Maria, malgré son jeune âge, tint brillamment sa place de second violon.
Hélas ces belles années d’études incessantes, jointes aux tournées de concerts des plus fructueuses a travers toute l’Europe, ne devaient guère avoir qu’une durée éphémère A peine la famille, qui jamais ne se séparait, avait-elle pu se créer, en 1847, un domicile fixe à Malzéville, près de Nancy, avec les produits des efforts incessants de ses enfants, que Maria, de cinq ans la cadette de Thérésa, tomba malade, prise d’un refroidissement qui dégénéra rapidement en phtisie galopante. La charmante artiste succomba le 21 octobre 1848, à peine âgée de seize ans, en plein épanouissement de son talent et de sa rare beauté.
La mort de sa sœur aimée plongea Thérésa dans un anéantissement douloureux, qui inspira les plus vives inquiétudes à sa famille. Afin de la sortir de cet état, son père l’obligea à reparaître devant le public, dans un concert de bienfaisance, au profit de l’Association des artistes musiciens. Très émue en paraissant sur l’estrade, elle faillit se trouver mal, mais son instinct d’artiste reprit vite le dessus, elle acheva son concert sous un tonnerre d’applaudissements décernés à la célèbre virtuose.
Les soeurs Milanollo, Thérésa et Maria |
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Puis, la vie errante, au gré de son père, recommença de plus belle jusqu’en 1857, où Thérésa épousa le capitaine du génie Théodore Parmentier, alors aide-de-camp du général Niel. Le capitaine, excellent musicien lui-même, admirait autant le talent remarquable de la jeune fille que son caractère foncièrement modeste et honnête. Et, bien que la position officielle de son fiancé obligeât Thérésa à quitter sa carrière d’artiste, elle n’hésita pas à y renoncer pour unir son sort à celui d’un ami aussi intelligent et dévoué.
D’ailleurs, son mariage, s’il devait interrompre sa vie publique, ne devait entraver en rien la continuation de sa vie d’artiste. Elle aimait à prêter son concours aux œuvres de bienfaisance, et jamais on ne fit en vain appel à sa charité inépuisable. Lorsqu’en 1878, son mari vint se fixer à Paris, elle ouvrit toute grande sa maison aux artistes en renom, parmi lesquels Saint-Saëns fut l’un des plus assidus, étant depuis longtemps en relations d’amitié avec le général. Durant bien des années, les lundis de Mme Parmentier eurent une certaine célébrité, et les intimes de ces réunions se souvenaient avec joie du jeu admirable de la maîtresse de maison, dont la perfection technique s’unissait à un style aussi pur et à un sentiment aussi délicat.
Sans se contenter d’interpréter les œuvres des grands maîtres, Thérésa se mit à composer elle-même, dans le goût de l’époque, des fantaisies sur des thèmes d’opéras ou des airs connus, parmi lesquelles nous citerons : Une fantaisie élégiaque pour piano et violon, un Ave Maria, chœur sans accompagnement, des variations humoristiques sur l’air de Malborough, une Litanie de la Vierge pour chœur mixte et orgue, etc.
Ayant elle-même connu la pauvreté au début de sa carrière, ayant pourvu dès l’âge de neuf ans à l’entretien de toute sa famille, Thérésa avait voué un culte particulier aux déshérités de la fortune. Partout où elle se faisait entendre, elle faisait la part des pauvres sur ses recettes. Avant de quitter les villes hospitalières où elle avait été accueillie, elle allait porter à l’autel de la Vierge, les fleurs que le public lui avait décernées avec tant de prodigalité.
Morte le 25octobre 1904, Thérésa avait conservé une âme simple et modeste malgré les triomphes qu’elle avait connus dès sa plus tendre jeunesse. C’est là ce qui explique pourquoi au début du XXe siècle, on ignorait déjà jusqu’au nom de cette grande et généreuse artiste. Le bruit, la réclame lui étaient profondément antipathiques, de même qu’à son mari, général de division en retraite.
Mais si elle passa relativement inaperçue au milieu de la foule indifférente, elle laissa dans le monde artistique et dans le cœur de ceux qui ont eu l’honneur de la connaître, le souvenir d’une femme essentiellement bonne et généreuse, dont le nom restera gravé dans le livre d’or des meilleurs instrumentistes du XIXe siècle.
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