Elle porte un nom aux sonorités russes. La Tsarskaya est une huître creuse de prestige, choyée dans les parcs Saint-Kerber, à Cancale, en Ille-et-Vilaine. Servie sur les tables des grands restaurants, elle est exportée dans le monde entier.
Quelques heures plus tôt, la pluie lavait encore à grosses gouttes la côte cancalaise. Et puis, soudain, une accalmie à l’heure de la marée descendante. Le moment propice pour descendre dans les parcs ostréicoles, au pied de la cale. Le spectacle est saisissant. Dans un vaste paysage où le ciel se confond avec la mer, les ostréiculteurs vêtus de leurs cuissardes s’affairent. Ils retournent les poches d’huîtres, pieds dans la vase. Au loin, le Mont-Saint-Michel se devine, noyé dans la brume.
Une fois que la mer se retire, la baie du Mont-Saint-Michel, connue pour ses impressionnants marnages, devient en effet le lieu de travail de ceux qu’on appelle les jardiniers de la mer. Comme François-Joseph Pichot, cogérant des Parcs de Saint-Kerber, 20 salariés. Son entreprise commercialise une huître creuse spéciale la Tsarskaya, depuis 2005.
Saveur douce et iodée
Exportée dans 70 pays, elle est servie sur les meilleures tables. Elle est appréciée des connaisseurs, en particulier en Italie, à Hong-Kong et au Moyen-Orient. Plus charnue que ses congénères, son taux de chair oscille entre 15 et 16 contre 8 à 9 % pour une huître commune. Au fil du temps, elle est devenue l’emblème de l’entreprise et assure entre 20 à 25 % de son chiffre d’affaires. Elle a été baptisée Tsarskaya (la tsarine), en référence aux tsars de Russie qui importaient des huîtres dès le XIXe siècle.
Qu’a t-elle de si particulier pour plaire aux meilleurs palais ? « C’est la seule huître à avoir deux hauteurs de goût, indique Stéphan Alleaume, associé de François-Joseph Pichot. On retrouve d’abord la saveur iodée, typique de la baie du Mont-Saint-Michel. Puis, quand on croque la chair, elle est douce et presque sucrée avec des notes de lait d’amande. »
Pour obtenir ce coquillage d’exception, vendu au bas mot 40 % plus cher, il faut de l’huile de coude et du temps. Trois bonnes années, voire quatre, peuvent s’écouler entre le semis des naissains et l’expédition. La Tsarskaya grandit à l’est de la baie dans une zone où l’eau brasse beaucoup. « Ça les empêche de pousser trop vite. Elles font ainsi plus de chair », explique François-Joseph Pichot.
Un long parcours
Pendant 18 mois, les jeunes huîtres vont vivre la plupart du temps immergées. Puis, elles seront triées. Les plus belles, environ 40 % de la totalité, deviendront des Tsarskaya. Elles poursuivront leur croissance dans un secteur où la mer découvre plus souvent. La coquille va alors durcir et se remplir de chair.
18 mois passeront encore. Enfin, en prévision des fêtes de fin d’année, les bivalves seront mis en réserve « à terre ». Ils s’affineront sur des parcs proches de la côte. Durant tout ce cycle, les ostréiculteurs retournent régulièrement les poches qui peuvent peser jusqu’à 20 kg. Un travail harassant. Marc Le Her, un des salariés de la société, garde pourtant le sourire. Né à Morlaix, il est issu d’une famille d’ostréiculteur. « Mon arrière-grand-père produisait des huîtres plates dans les années 50. » Il apprécie d’être en contact permanent avec la mer. « J’aime travailler en plein air. »
François-Joseph Pichot a repris l’entreprise familiale en 2003. Son grand-père s’était lancé dans la vente de pains de glace, avant de se reconvertir dans la culture des huîtres après-guerre. « Mes parents ont pris sa succession le 1er mai 1968. » Les exportations démarrent dans les années 70. « Mon père a voyagé partout dans le monde, sans parler anglais ! »
Aujourd’hui, les Parcs Saint-Kerber exportent 90 % de leur production. Cinq langues sont parlées dans les bureaux de la société. François-Joseph Pichot, quant à lui, ne se lassera jamais du spectacle toujours changeant qu’offre la baie du Mont-Saint-Michel. « Je ne suis pas blasé. Quand les matins d’hiver, le ciel devient rouge écarlate, c’est magnifique. »
Isabelle Lê
Ouest France
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