Personne ne pouvait se vanter, dans le troupeau des fidèles de Charlemagne, d’avoir un cœur plus haut et plus fier, de commander avec plus de noblesse, de menacer d’un regard plus foudroyant. Cependant, avec un goût parfait, avec un instinct profond de la véritable grandeur, il recherchait toujours la simplicité.
Selon Éginhard (770-840), auteur de la première biographie de Charlemagne et personnalité ayant participé de la renaissance intellectuelle du IXe siècle, l’Empereur « n’aimait pas les costumes des autres peuples, si beaux qu’ils fussent, il ne voulait jamais en porter aucun, si ce n’est, une première fois, à Rome, à la demande du pape Adrien, et une seconde fois, à la prière de Léon, son successeur, quand il se laissa revêtir de la longue tunique, de la chlamyde et de la chaussure romaine. »
Quand les grands de sa cour, jaloux, comme des barbares ou comme des enfants, de revêtir des costumes aux vives couleurs, paraissaient devant lui chargés d’ornements inusités, il les raillait, ou leur adressait, lorsqu’il n’était pas en humeur de rire, de sévères réprimandes. Auteur des Gesta Karoli Magni (Des faits et faits de Charles le Grand), le moine Notker de Saint-Gall raconte à ce propos une assez plaisante aventure.
Charlemagne. Gravure extraite de Costumes français depuis Clovis jusqu’à nos jours, Tome 1 paru en 1835
Vainqueur des Lombards, Charles avait établi ses quartiers dans la ville d’Aquilée, et se reposait en ce plaisant séjour, en attendant une occasion nouvelle d’exercer la vigueur de son bras. Un dimanche, après la célébration de la messe, il dit à ses fidèles : « Ne nous laissons pas engourdir dans l’oisiveté, et, sans rentrer au logis, vêtus comme nous le sommes, partons pour la chasse. » Cela dit, il monte à cheval et court vers la plaine. Chacun s’empresse de le suivre ; une invitation faite sur ce ton, c’était un ordre. Le ciel était voilé par un épais brouillard ; une pluie fine et froide descendait vers la terre, ajoutant encore à la tristesse des bois dépouillés de leur feuillage.
Charles avait, le matin, jeté sur ses épaules une peau de brebis, qui, déjà soumise à bien d’autres épreuves, ne valait plus même, suivant le moine de Saint-Gall, le misérable rochet de saint Martin. Quant aux gens de sa cour, ils étaient parés de riches vêtements, que des marchands vénitiens leur avaient récemment apportés et vendus dans la ville de Pavie. Les uns étalaient somptueusement sur leur poitrine des étoffes de soie, que rehaussaient, en manière de broderies, des plumes aux mille couleurs, enlevées à la queue des paons et à la gorge des oiseaux de Phénicie. Les autres avaient des habits teints dans la pourpre de Tyr et bordés avec des franges d’écorce de cèdre. D’autres enfin portaient des étoffes piquées et des fourrures en peau de loir.
On courut tout le jour à travers les plaines et les bois, et tout le jour la pluie tomba, pénétrant ces riches parures ; elles furent, en outre, fort maltraitées par les ronces, les épines, les branches des arbres, et souillées par le sang des bêtes fauves : si bien que nos chasseurs, rentrant dans la ville au retour de la nuit, n’étaient plus couverts que des honteux débris de leurs brillants costumes. Heureux d’avoir ainsi puni leur frivole ostentation, Charles voulut encore se divertir à leurs dépens. Il ordonna que, le lendemain, chacun parût au palais avec son habit de la veille.
Nul n’aurait osé manquer à ce rendez-vous. Ils se présentèrent, confus de leur triste équipage. Charles, les voyant tous réunis autour de lui, dit en riant au serviteur de sa chambre : « Va-t’en frotter dans tes mains notre habit de chasse, et hâte-toi de nous le rapporter. » Ce fut une besogne bientôt faite, et Charles put, en montrant sa peau de brebis toujours propre au service, plaisanter à son aise le luxe en guenilles de ses comtes et de ses marquis.
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