Il y a 100 ans, l’absinthe, boisson sulfureuse rendue célèbre par des artistes du XIXe siècle tels que Van Gogh ou Verlaine, fut interdite car elle était accusée de « rendre fou » : aujourd’hui, la « Fée verte » connaît une nouvelle vie
Dans l’esprit des gens, « l’absinthe est encore la boisson interdite qui rend fou : il y aura toujours un mystère autour de cette boisson », prédit Fabrice Herard, organisateur des Absinthiades de Pontarlier (Doubs), une manifestation dédiée à l’absinthe. Muse du peintre Van Gogh et du poète Verlaine dont Émile Zola a décrit les ravages dans « L’Assommoir », l’absinthe est la boisson des artistes du XIXe siècle.
Mais dans les années 1900, cet alcool distillé né en Suisse au XVIIIe siècle et tirant entre 45 et 72 degrés est accusée de provoquer de graves dégâts cérébraux, en raison de l’une des molécules de la plante d’absinthe, la thuyone. Le 16 mars 1915, l’absinthe est interdite en France.
« L’absinthe rendait fou parce que les gens en consommaient trop et à un degré trop fort », estime François Guy, propriétaire de la distillerie du même nom, crée en 1890 par son grand-père à Pontarlier (Doubs). « Aujourd’hui, des études montrent que la thuyone n’est pas néfaste, les effets pervers de l’absinthe étaient dus à l’alcool », souligne-t-il.
L’interdiction de la « Fée verte » provoque une catastrophe économique sur le secteur de Pontarlier, capitale française de ce spiritueux anisé. Dans les années 1900, cette petite ville située près de la Suisse compte 23 distilleries et 111 bistrots. Les distilleries font travailler près de 3000 personnes et produisent plus de 10 millions de litres livrés au monde entier. « À l’époque, 80% de l’activité de la ville dépendait de la production d’absinthe et pratiquement personne n’est arrivé à se reconvertir », explique François Guy.
En 1988, l’absinthe est de nouveau autorisée en France mais uniquement sous l’appellation « spiritueux à base de plantes d’absinthe », avec un taux de thuyone limité à 35 mg/L.
Un nouvel essor
Les premiers produits français à base de plantes d’absinthe, réapparaissent en 1999. La dénomination « absinthe » est ensuite ré-autorisée par la loi du 17 mai 2011, afin de contrer une tentative vaine de producteurs suisses de s’approprier cette appellation.
Depuis, l’absinthe connaît un nouvel essor. D’après la Fédération française des spiritueux, une quinzaine de distilleries en France produisent environ 800 000 litres d’absinthe par an. « On progresse petitement, mais on progresse », affirme François Guy dont la production d’absinthe est passée de 7200 litres en 2001 à 30 000 litres en 2014. Il espère « produire 100 000 litres dans les années à venir ».
Depuis qu’il a pris les rênes de l’entreprise familiale en 1983, ce grand bonhomme jovial n’a cessé de se battre pour la réhabilitation de cet alcool sulfureux, jusqu’à décrocher l’indication géographique (IG) « absinthe de Pontarlier », publiée au Journal officiel en juillet 2013. Son IG doit désormais être homologuée au niveau européen. Le distillateur approvisionne une vingtaine de restaurants et de bars à absinthe parisiens, où la « Fée verte » fait un retour en force auprès d’une clientèle plutôt aisée.
L’absinthe tire aussi son succès d’un rituel précis : goutte à goutte, l’eau tombe sur un sucre, posé sur une cuillère ajourée, qui vient troubler l’absinthe au fond du verre. « Chez moi, l’absinthe marche bien. Il y a beaucoup de touristes, beaucoup d’Américains, de Canadiens ou encore de Brésiliens qui viennent boire de l’absinthe », confie Mickey, gérant du bar rock le Cantada, à Paris. L’élixir des poètes connaît en effet un franc succès à l’étranger. « La vente d’absinthe va de mieux en mieux, on dépote ! », se réjouit Martial Philippi, le patron de l’Absinth Depot à Berlin. Selon ce passionné qui propose 300 absinthes différentes, « le mythe de la boisson interdite attire et fascine les gens de toutes les couches de société, comme cent ans en arrière ».
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