En France, avant la réforme métrique, les mesures variaient pour ainsi dire à l’infini, souvent sous le même nom, d’une province à l’autre, d’une localité à l’autre, et dans plusieurs localités selon les marchandises. Il y avait plus de cinquante espèces de livres ; on complait par centaines les mesures servant à évaluer la surface des champs, les variétés de tonneaux pour le vin et les autres boissons ; en quelques endroits, la dimension de l’Aune variait selon les tissus, le poids de la Livre selon les denrées.
Dans toutes les provinces on retrouvait encore l’usage de ces diverses mesures à la fin du XIXe siècle. Nous prenons la France pour exemple, nous pourrions prendre la plupart des autres pays. L’uniformité des poids et mesures, vers laquelle la France a fait, à la fin du XVIIIe siècle, un si grand pas, fut un des besoins ressentis par les populations depuis des siècles ; et si la réforme date, pour ainsi dire, d’hier, les abus qui l’ont tant fait désirer sont bien anciens dans nos annales.
Aux états-généraux de 1560, on demandait au gouvernement d’ordonner qu’il n’y eût pour toute la France qu’un seul poids, qu’une seule mesure. Il fut répondu « que la charge de réduire les mêmes marchandises à même poids et mêmes mesures avait été donnée à personnages d’expérience et probité, du travail et labeur desquels on espérait que les Français se ressentiraient en bref. » Ou cette Commission ne fut pas nommée, ou son travail n’aboutit à rien, car, aux premiers états de Blois, en 1570, on retrouve dans le cahier du Tiers-État (art. 413 ) ce vœu : « que par toute la France, il n’y ait qu’une aune, un poids, une mesure, un pied, une verge, une pinte, une jauge de tous vaisseaux de vin ; pour toutes denrées, une mesure ; et, pour ce faire, établir certain échantillon d’une mesure et d’un poids, lequel sera distribué pour chaque province. »
Aux seconds états de Blois, en 1588, même vœu (art. 269), motivé sur « l’assurance du trafic et du commerce, et pour retrancher les abus qui se commettent à cause de la diversité des mesures. » Il intervint, en effet, à cette époque, diverses ordonnances dans le sens de l’uniformité ; mais aucune décision n’eut la portée d’une réforme un peu radicale pour les poids et mesures. En ce qui concerne les monnaies, l’uniformité et l’unité se sont produites successivement avec la transformation du pouvoir féodal et son absorption par le pouvoir royal.
Réformes antérieurs au système métrique
Plusieurs seigneurs féodaux furent jaloux de frapper monnaie, et diverses espèces de livres s’étaient introduites dans la circulation. Philippe le Bel (1285-1314) les prohiba toutes, à l’exception des monnaies tournois et parisis, frappées l’une à Tours, l’autre à Paris, qui eurent cours jusqu’en 1667 (sous Louis XIV), époque à laquelle la monnaie parisis, qui valait un quart en sus (20 sous parisis valaient 25 sous tournois), fut supprimée et l’unité monétaire établie pour toute la France.
Une pareille réforme pour les poids et pour les mesures ne put s’établir pendant le XVIIe et le XVIIIe siècle : les astronomes s’occupèrent à diverses reprises, mais presque en vain, de cette question. Ils avaient besoin d’une unité de mesure qui fût basée sur une donnée fixe. On ne savait au juste quelle était et quelle devait être la dimension de la toise de six pieds de roi ou de Paris. L’étalon de la toise adoptée par Charlemagne n’est point arrivé jusqu’à nous, et il paraît qu’on l’a plusieurs fois remplacé par d’autres étalons, dont les longueurs ont été mal prises. En 1668, on porta remède à cette confusion ; mais on a peu de détails sur cette réforme de la toise dite des maçons.
Usage de six nouvelles unités de mesure et leur équivalence avec les mesures anciennes (estampe de 1800) |
|
Comme l’ancien plan assignait 12 pieds à la largeur de l’arcade du vieux Louvre du côté de la rue Fromenteau, on trouva qu’il fallait réduire la toise en usage de 5 lignes et on fit une toise en fer qu’on fixa au bas du grand escalier du Châtelet, pour servir de régulateur au commerce et à la justice. Cette toise n’offrit bientôt plus un étalon précis. Soixante-cinq ans après, Godin ayant vérifié la toise qui devait être employée à la mesure de l’arc du méridien, au Pérou, celle-ci servit à de La Condamine pour mesurer cet arc, et fut adoptée (1766), sur sa proposition, comme étalon des mesures françaises, et, la même année, il fut construit 80 toises semblables à la toise dite du Pérou, qui furent envoyées aux procureurs généraux des parlements et aux astronomes étrangers.
Dans le XVIIIe siècle, la réforme des poids et mesures était donc réclamée à la fois par les savants et par les populations : les uns allant à la recherche d’une précision qui manquait aux anciens étalons, les autres pour mettre fin à des abus de toute espèce.
Naissance du système métrique
Le vœu d’une réforme des poids et mesures se trouva de nouveau exprimé avec force dans plusieurs cahiers remis aux députés par le Tiers-État aux états généraux convoqués en 1789, et, le 8 mai 1790, sur la proposition de l’abbé Talleyrand, formulant un des divers desiderata de l’opinion publique, l’Assemblée Constituante rendit un décret d’après lequel le roi de France devait engager le roi d’Angleterre à adjoindre à une Commission d’académiciens français un pareil nombre de membres de la Société royale de Londres, pour déterminer l’unité fondamentale d’un système de mesures nouvelles que les deux nations s’engageraient à propager dans tous les États civilisés. Le gouvernement anglais, qui avait encore sur le cœur l’intervention de la France dans les affaires d’Amérique, ne répondit pas à l’appel de l’Assemblée Constituante.
La France se mit donc seule à l’œuvre ; une Commission de l’Académie des sciences composée de Borda, Lagrange, Monge et Condorcet, fut chargée de formuler un système de poids et mesures conforme aux besoins du siècle et aux données de la science. Cette Commission fit une première ébauche d’un nouveau système, adopta pour unité fondamentale et pour base du système la dix-millionième partie du quart de la circonférence de la terre et lui donna le nom de mètre. Delambre et Méchain furent chargés de mesurer sur la méridienne de Paris, la partie comprise entre Dunkerque et Barcelone.
Par suite des événements politiques, Condorcet fut fatalement englobé dans la proscription des Girondins, suivie de la Terreur, laquelle sacrifia, entre autres victimes, l’illustre Lavoisier ; Monge fut appelé à diriger la fabrication des canons, et une nouvelle Commission, composée de Brisson, Borda, Lagrange, Laplace, Berthollet et Prony, reprit le travail de la première. Cette Commission, pressée par le gouvernement, proposa, en se basant sur les mesures et les calculs de l’abbé Lacaille, de fixer provisoirement la longueur du mètre à 443 lignes, 44. La Convention, impatiente d’opérer une réforme, consacra cette valeur par le décret du 2 août 1793, et adopta un premier ensemble de poids et mesures, également formulé par la Commission scientifique.
Système métrique primitif
Dans ce système, les mots Déci, Centi, Milli furent adoptés pour les sous-multiples des unités ; mais les mesures n’avaient pas toutes les noms qu’elles ont eus depuis, et le principe de la nomenclature n’était pas tout à fait aussi complet et aussi régulier que celui qui fut adopté définitivement. Voici, en effet, quelle était alors la série des nouvelles mesures : le millaire correspondait au kilomètre ; le cade au mètre cube ; le cadil ou pinte au litre ; le gravet au gramme ; le grave au kilogramme ; le bar ou millier à la tonne.
Ce système métrique primitif fut l’objet d’une remarquable Instruction publiée par la Commission temporaire des mesures, instituée par décret du 11 septembre 1793, en remplacement de la Commission de l’Académie des sciences, supprimée elle-même par décret du 14 août, comme toutes les autres Sociétés savantes, en vue d’une réorganisation.
Ce système devait être mis en vigueur à partir du 1er juillet 1794 ; mais le décret du 2 août 1793 ne fut pas appliqué, et, huit mois après les événements de thermidor, un nouveau décret organique (du 7 avril 1795) modifia le système primitif, en consacrant les mots de myria, kilo, hecto, déca pour les multiples ; les mots de déci, centi, milli furent conservés, ainsi que, par exception, les mots décime et centime, déjà reçus par des décrets antérieurs et vulgarisés dans le public par la monnaie de cuivre.
Quant à la mise en vigueur, cette loi l’ajournait encore, à cause du retard dans la fabrication des poids et mesures, et elle invitait « les citoyens à donner une preuve de leur attachement à l’unité et à l’indivisibilité de la République en s’en servant. » La même loi supprimait la Commission temporaire et instituait une Agence chargée d’activer la fabrication des mesures et les moyens d’en vulgariser l’usage.
Par suite des difficultés liées aux troubles de cette période, les travaux de la réforme métrique demeurèrent suspendus jusqu’en 1799, époque â laquelle on les reprit avec une extrême activité. La France fit appel à toutes les nations amies, et les engagea à envoyer des députés à une Commission française, composée de Borda, Brisson, Coulomb, Darcet, Delambre, Haüy, Lagrange, Laplace, Lefèvre-Gineau, Méchain et Prony. Une double Commission spéciale fut chargée de calculer la longueur du mètre d’après la méridienne ; une troisième prépara le kilogramme de platine (le moins oxydable des métaux), qui devait servir d’étalon ; et, le 22 juin 1799, la Commission générale des poids et mesures présenta, par l’organe de Trallès, le résumé de ses travaux au Corps législatif, ainsi que les prototypes du mètre et du kilogramme, qui furent placés chacun dans une boîte en fer, fermant à quatre clefs.
Système métrique définitif
La loi du 19 frimaire an VIII (10 décembre 1799) fixa définitivement la valeur du mètre à 443 lignes, 296. Mais le public ayant de la peine à se familiariser avec les mesures nouvelles, on imagina de tolérer l’application des noms anciens aux unités nouvelles. Une loi du 13 brumaire an IX 4 novembre 1800), un an avant l’établissement du système définitif, permettait d’appeler du nom de toise le mètre, qui n’en était pas tout à fait la moitié ; de lieue, le myriamètre, qui vaut deux lieues et demie ; de livre, le kilogramme, qui est un peu plus du double ; d’once, l’hectogramme, qui en est plus que le triple.
Le décret de 1812 permit d’employer pour les usages du commerce et sous les noms anciens des mesures qui n’étaient ni les nouvelles, ni les anciennes, mais qui se rapprochaient sensiblement des anciennes et dont, la valeur en mesures métriques était exprimée en nombres ronds. Ainsi la toise usuelle était exactement de 2 mètres au lieu de 1m949, valeur de l’ancienne ; l’aune usuelle était de 12 décimètres, au lieu de 1m188. Il n’était rien changé aux mesures agraires. Dans les mesures de capacité on réintégrait le boisseau, valant exactement 1/8 d’hectolitre, soit 12 litres et demi (12,5) au lieu de 13,008. Pour les poids, il était créé une livre pesant 500 grammes, au lieu de 489,505 grammes que valait l’ancienne.
L’usage de ces mesures soi-disant usuelles et les confusions introduites par le décret de 1812 entre ces mesures et les mesures métriques, cessa légalement le 1er janvier1840, en vertu de la loi du 4 juillet 1837. Dès lors, les seules mesures officielles, reconnues en justice, en cas de contestation, et dont l’usage se généralisait de plus en plus, furent celles qui constituaient le système métrique.
Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.