Aujourd’hui qu’il suffit de jeter une lettre dans une boîte après l’avoir affranchie, pour que cette lettre passant de main en main soit fidèlement et rapidement portée jusqu’au bout du monde, on peine à comprendre que pendant de nombreux siècles nous ayons pu vivre en France sans avoir la poste aux lettres, créée en 1602 par Henri IV et ouvrant aux particuliers le transport du courrier, un siècle et demi après la mise en oeuvre par Louis XI de la poste aux chevaux réservée à l’acheminement des missives d’État.
Sans doute de tout temps, dans les pays civilisés, il y a eu un semblant de service des postes. Xénophon nous apprend que Cyrus le Jeune (Ve siècle avant J.-C.) avait fait établir dans son royaume des gîtes ou mansions, pourvus de chevaux ou de courriers chargés de transporter les lettres et les ordres du chef de l’État.
Les Romains avaient appliqué chez eux ce système. Sous Auguste (27 av. J.-C.-19 ap. J.-C.), il y avait le long des principales routes des stations dans lesquelles se trouvaient constamment des jeunes gens habiles à la course et qui étaient chargés de transporter les ordres de l’empereur. Plus tard, on remplaça ces piétons par des cavaliers, mais pour user de ces chevaux, il fallait avoir une autorisation qu’on ne délivrait que lorsqu’il s’agissait d’une affaire intéressant l’État.
En France, sous Charlemagne, nous voyons apparaître pour la première fois quelque chose qui ressemble à la poste. Des veredarii en l’an 807 parcourent les principales routes de t’empire. Mais ces veredarii semblent avoir disparu à la mort de ce grand monarque, et il faudra attendre l’arrivée de Louis XI sur le trône de France, pour voir réorganiser la poste aux lettres.
Cependant, durant ces six siècles qui séparent Charlemagne de Louis XI, il y eut en France une certaine organisation postale qui était due à l’Université. Paris était alors la seule ville ou il y eût une Université. De tous les coins de province et même de l’étranger, les jeunes gens avides d’instruction arrivaient à Paris pour y suivre les leçons des maîtres célèbres de l’époque. Mais il ne suffisait pas de se rendre à Paris (ce qui à cette époque constituait déjà une difficulté), il fallait, une fois dans la capitale, pouvoir demeurer en relation avec sa famille, lui envoyer des nouvelles, en recevoir des subsides. L’Université comprit cette nécessité et elle établit un service de messagers destinés à transporter les étudiants, leurs bagages, leurs lettres et leur argent.
Peu à peu les Parisiens s’habituèrent à profiter des occasions hebdomadaires ou mensuelles que ces messagers leur offraient, de telle sorte que les messagers de l’Université ne tardèrent pas, grâce au privilège dont ils jouissaient, à réaliser des bénéfices considérables.
En 1461, Louis XI monte sur le trône de France. Ce roi rusé, vindicatif, défiant, ne pouvait confier aux messagers de l’Université les secrets de sa politique, et comme il voulait « savoir tout ce qui se passe chez lui et le savoir avant tout autre », il se décida à organiser un service des postes uniquement affecté aux besoins de l’État, c’est à dire de la personne du roi. Le 19 juin 1464 paraît te fameux édit de Doullens, considéré comme la première loi postale française.
Louis XI déclare :
« Que sa volonté et plaisir est que, dès à présent et dores en avant, soient mises et établies espéciallement sur les grands chemins de son dict roïaulme, de quatre en quatre lieues, personnes séables et qui feront serment de bien et loïaument servir le roy, pour tenir et entretenir quatre ou cinq chevaux de légère taille, bien enharnachez et propres à courir le galop durant le chemin de leur traitte ; (...)
« Le roy veut qu’il y ait un office intitulé : Conseiller grand maître des coureurs de France. Pour faire le dict établissement, luy sera baillée bonne commission.
« Les autres personnes qu’il établira de traitte en traitte seront appelées : maistres tenant les chevaux courants pour le service du roy.
« Auxquels maistres est deffendu de bailler aulcuns chevaux à qui que ce soyt et de quelque qualité qu’il puisse estre, sans le mandement du roy et du dict grand maistre, à peine de la vie... D’autant que le dit seigneur ne veut et n’entend que la commodité du dict établissement ne soit pour aultre que son service. »
En effet, pendant de longues années la poste ne fonctionne que pour le service des rois, qui tous cherchent à miner le monopole exercé par l’Université. Mais petit à petit l’institution s’élargit. On ne s’était tout d’abord préoccupé que du transport des ordres du roi. Bientôt il faudra s’occuper d’organiser le transport des lettres des particuliers, et de transporter également les voyageurs et les marchandises.
Vers le milieu du XVIe siècle, apparaissent les coches publics pour le transport des voyageurs. En 1594, Henri IV nomme un certain Pierre Thireul commissaire général et surintendant des coches publics du royaume. Dans ce même siècle nous voyons encore naître la corporation des rouliers, qui ne peuvent transporter que des ballots pesant plus de 5 livres. Henri IV, le 8 mai 1597, établit « des relais de chevaux de louage de traite en traite sur les grands chemins, traverses et le long des rivières pour servir à voyager, porter malles et toutes sortes de bagages comme aussi pour servir au tirage des voitures par eux. »
Henri IV comprend que la poste ne doit pas se contenter de transporter les dépêches du roi, mais qu’elle doit encore servir à transporter les lettres des particuliers. En 1602, il autorise tous les citoyens à jouir des bienfaits de cette institution. C’était un progrès énorme qui allait en produire un autre non moins considérable, celui du rendement des postes.
Sous Richelieu, en effet, on se préoccupe sérieusement pour la première fois de cette question du rendement pécuniaire de la poste. On commence à pressentir que de cette institution peut sortir une source féconde de revenus : que non seulement elle couvrira ses frais, mais qu’un jour elle pourrait bien enrichir ses maîtres. Le 16 octobre 1637, d’Alméras, général des postes, ordonne à tout destinataire « de lettres et de paquets » de payer « sans contestation ni réplique » la somme indiquée par l’administration. C’est l’origine de la taxe fixe ; jusque-là la taxe avait un peu varié suivant le bon plaisir ou la générosité des destinataires.
Le 1er janvier 1778, les revenus des postes sont régis pour le compte du roi et le bail est passé à raison de un million huit cent mille livres. En août 1787, la poste aux chevaux et la poste aux lettres sont réunies. A la Révolution le monopole de la poste passe du roi à la République et devient une branche du service public. Mais l’Etat donne le transport à l’entreprise, moyennant le monopole des relais au profit des entrepreneurs et quelques autres avantages de moindre importance. En 1793, aux plus mauvais jours de la tourmente révolutionnaire, les maîtres de poste obtiennent la restauration des lettres-privilèges.
Eu 1798, le législateur est encore plus formel, il décide que : « Nul autre que les maîtres de poste, munis d’une commission spéciale, ne pourra établir des relais particuliers, relayer ou conduire à titre de louage, des voyageurs d’un relais à un autre, à peine d’être contraint de payer, par forme d’indemnité, le prix de la course au profit des maîtres de poste. »
La loi des 15-25 ventôse an XIII (mars 1805) porte que tout entrepreneur de voitures publiques et de messageries qui ne se servira pas des chevaux de la poste, sera tenu de payer, par poste et par cheval attelé à chacune de ses voitures, vingt-cinq centimes au maître des relais dont il n’emploiera pas les chevaux. C’est l’âge d’or des maîtres de poste dont quelques-uns, sous ce régime, réalisent des fortunes considérables.
Mais bientôt les chemins de fer apparaissent, la malle-poste est obligée de céder la place à la locomotive. Les maîtres de poste, qui voient leurs relais successivement supprimés comme inutiles, ne peuvent se résoudre à se voir ruiner. Ils protestent, et s’appuyant sur la loi du 19 frimaire an XII (11 décembre 1803), réclament le paiement d’une indemnité, ou tout au moins le remboursement du prix auquel ils ont acheté leur charge ; mais le gouvernement refuse de faire droit à leur demande, et le 23 janvier 1874, les maîtres de poste perdent définitivement leur procès devant le conseil d’État. A partir de ce jour la poste aux chevaux cessa de vivre en France.
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