Sous les premiers rois de France, ceux de la dynastie mérovingienne (du Ve au VIIIe siècle), la chevelure, pour les hommes comme pour les femmes, était un signe de noblesse et de liberté, les filles et les épouses de serfs et de paysans tenant, quant à elles, courts leurs cheveux. Et tandis que jusqu’au XIIIe siècle, les dames nobles, laïques comme religieuses, portaient le voile, leur coiffure se montra constamment sévère, sans changement de forme bien caractérisé jusqu’à la fin du XIVe siècle : c’est alors que bonnets et coiffures d’envergure peu à peu s’imposent.
Voilà ce que nous apprennent les auteurs contemporains et les écrivains qui ont traité de cette matière. Henri van Cuyk, évêque de Ruremonde (Pays-Bas), dans son livre De vetusto rasurae clericalis more (De l’ancienne manière de raser les religieux) (1575) ; Prosper Stellaerts, dans Trois livres de dissertations sur les couronnes et tonsures des Païens, des Juifs et des Chrétiens (1625) ; Jean van Arntzen, Antoine Antoine Hotman (XVIe siècle), Adrien Junius et Pierrius Valerius (ce dernier se fit le défenseur, en 1531, de la barbe des ecclésiastiques), ne laissent aucun doute à cet égard, pas plus que dom Augustin Fangé, bénédictin auteur de Mémoires pour servir à l’histoire de la barbe de l’homme (1774).
Grégoire de Tours (539-594) dit en outre que les reines et les princesses, ses contemporaines, portaient les cheveux longs, nattés, et retombant sur les épaules à l’instar des Gauloises dont elles descendaient et auxquelles saint Grégoire de Nazianze (329-390), qui s’adressait à celles d’entre elles qui suivaient la foi catholique, reprochait leurs nattes sans nombre et parfumées de cosmétiques précieux. Mais les filles de ces délicates coquettes étaient bien loin de les imiter en ce dernier point ; car la seule pommade que connussent les premières reines de France, depuis Clotilde (épouse de Clovis) jusqu’au temps de Charlemagne (fin du VIIIe siècle), était de la graisse d’animaux ou du beurre fait avec du lait de cavale.
Quand une dame de haute lignée coupait ses chevaux, c’était pour faire vœu d’humilité, renoncer aux vanités du monde, entrer dans un cloître, et se consacrer à la vie religieuse. En outre, le voile caractérise la coiffure des femmes jusqu’au XIIIe siècle inclusivement ; tantôt il est maintenu par la couronne, tantôt il est jeté sur la tête et sur les épaules, tantôt il enveloppe la tête, se tend sur le front, se replie sous le menton, et forme, par ce moyen, une sorte de bavolet.
Coiffure du IXe siècle, d’après la Bible de Charles le Chauve |
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Le voile était donc en même temps la coiffure des femmes qui ne s’étaient point consacrées au cloître et de celles qui avaient coupé leurs cheveux pour passer le reste de leurs jours sous les voûtes silencieuses d’un monastère. Il est même probable qu’à cette époque il n’existait point de costume particulier affecté aux ordres religieux, et que ces costumes ne sont devenus particuliers qu’en ne subissant pas de modifications, tandis que le caprice diversifiait la coupe des vêtements des laïques. Les nonnes n’imitèrent point ces modifications « mondaines » et continuèrent à porter les costumes avec leur forme primitive, et à disposer le voile sur leur tête de la même manière et avec la même rigoureuse simplicité.
A cette époque, pour les laïques comme pour les religieuses, le voile était donc tantôt blanc, de pourpre ou d’azur, comme on le voit dans une Bible de Charles le Chauve (IXe siècle). Il se glisse mystérieusement sur les cheveux qui ne paraissent point nattes, mais au contraire relevés derrière les oreilles et sans aucun nœud, sans aucun lien. Ce voile, peint dans la Bible dont on parle, est bleu, parsemé de points d’or, fort ample, et d’une étoffe épaisse et même un peu rude.
Coiffure du Xe siècle, d’après le portail de l’église Notre-Dame de Corbeil |
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Au Xe siècle, c’est encore le voile et la couronne : seulement le voile est disposé avec un soin particulier ; les plis étagés élégamment montre les cheveux relevés en petites nattes de chaque côté des tempes ; la couronne, merveilleusement ouvragée, semble composée de pierreries et de perles. une statue du portail de Notre-Dame de Corbeil, que l’on croit représenter Clotilde (dessin ci-dessus), femme de Clovis Ier, mais à laquelle l’artiste a évidemment donné le costume du Xe siècle, présente toutes les caractères qui viennent d’être décrits.
On ne remarque aucune changement grave jusqu’à la fin du XIe siècle, c’est-à-dire jusqu’au règne de Louis VI le Gros (1108). A cette époque, le voile forme un noeud de chaque côté des tempes et s’harmonise avec plus de recherche et plus de goût à la couronne qui devient plus simple, comme on le voit dans le portrait de Blanche, cette fière et impérieuse épouse du roi Robert (dessin ci-dessous).
Au XIIe siècle, une arcade en pierres, qui semble dater de la seconde croisade et qui servait d’encadrement à une armoire contenant les reliques de l’abbaye de Vendôme, près de Chartres, dans la Beauce, montre le voile formant une calotte serrée qui dessine rigoureusement la tête. Ce voile est court et ne laisse voir, en aucune façon, les cheveux sans doute coupés ; car à cette époque, soit par mode, soit par dévotion, quelques dames de haute lignée se coupèrent les cheveux. Ainsi l’on voit dans un sceau de 1270, Jeanne, comtesse de Toulouse, en robe, en manteau, et la tête entièrement rasée.
Coiffure du XIIe siècle, d’après une arcade de l’abbaye de Vendôme |
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Si toutes les nobles dames du XIIIe siècle n’imitèrent point une mode si peu gracieuse, il n’en est pas moins certain que dès lors disparurent les longues nattes, les couronnes et les voiles, pour faire place à une sorte de toque et de bonnet qui présente un caractère oriental et qui est une imitation évidente des coiffures dont les chevaliers français avaient admiré la grâce voluptueuse en combattant les sectateurs de Mahomet.
Un manuscrit provenant de l’abbaye de Saint-Germain, reproduit un de ces turbans à plis tendus et desquels descend un bandeau à la manière juive, qui passe sous le menton et laisse échapper derrière, de longs anneaux de cheveux (dessin ci-contre). Le bonnet de Marguerite de Provence présente à peu près les mêmes formes ; seulement il paraît plus haut, se penche en arrière et est diapré de cordonnets bleus qui se détachent sur un fond brun. Enfin le bandeau ne serre pas le menton, mais flotte avec élégance sur le cou qu’il cache à demi.
Coiffure du XIIIe siècle, d’après un manuscrit provenant de l’abbaye de Saint-Germain |
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Jusqu’ici, on le voit, la coiffure des femmes nobles s’est montrée constamment sévère, sans changement de forme bien caractérisé, et plus propre à une vie modeste, austère et d’intérieur, qu’à une existence brillante et de plaisirs. Elles passaient leurs journées à des travaux d’aiguille. Pour écouter le châtelain leur conter quelque histoire édifiante ou un troubadour venant dire quelque ballade ou quelque virelai, la noble dame s’enveloppait de son voile, afin de cacher aux regards profanes du ménestrel des traits qu’il n’était donné d’admirer qu’à son époux. Ces rares visites de pèlerins chantants ou d’hôtes illustres qui venaient demander l’hospitalité ne se renouvelaient que de loin à loin.
Mais au XIVe siècle une vive réaction se fit sentir dans les mœurs françaises, et changea d’une manière brillante les costumes et la coiffure des femmes. La branche des Valois, parvenue au trône, amena peu à peu la paix, et le luxe, enfant brillant de la paix ; ce fut surtout sons le règne de Charles V (1364-1380) que se fit ressentir une influence si heureuse ; elle ne fit qu’augmenter dès lors. On ne voit plus le voile d’étoffe d’or dont s’affublaient Béatrix de Bourgogne, femme de Robert, dernier fils de saint Louis, et Marie de Hainaut, femme de Louis Ier, duc de Bourbon et petit-fils de saint Louis, mais bien des bonnets de formes variées jusqu’à l’infini, et qui reçoivent le nom d’escoffion.
Tantôt c’était une espèce de turban plat, à gros bourrelet, chamarré de diverses couleurs ou étincelant de toute sorte de pierreries ; ce bourrelet se divisait en deux parties bien distinctes et semblables qui s’unissaient au milieu du front et laissaient à découvert le sommet de la tête et les cheveux. D’autres fois cette coiffure se modifiait par un bandeau qui prenait sous le menton ; alors les bourrelets étaient moins volumineux, supportaient la couronne et recouvraient toute la tête, sans laisser voir autrement les cheveux que sur le front, où ils s’étalaient en deux légers bandeaux.
Le voile n’était pas même incompatible avec cette coiffure à bourrelets ; seulement en place de se jeter sur la tête et de la couvrir entièrement, comme il était d’usage de le faire aux siècles précédents, ce voile, d’une étoffe légère et diaphane, s’attachait à la couronne, retombait sur le cou sans cacher le visage, et se terminait par une broderie découpée et plus ou moins riche.
Chez les personnes austères, surtout lorsqu’elles sortaient, soit à cheval, soit en litière, le voile d’étoffe épaisse était encore en usage. Alors il se nouait à peu près de la même manière qu’au XIe siècle. Un nœud l’attachait derrière la tête, couvrait l’oreille, mais laissait voir les boucles ou les nattes des cheveux, et jetait ses plus autour du cou, qu’il couvrait hermétiquement.
Ce fut vers la fin du XIVe siècle, sous le règne de la reine Isabeau de Bavière, que l’on imagina une mode qui fit grand bruit et qui se perpétua jusque vers le milieu du siècle suivant. C’était une coiffure élevée en pointe, et du sommet de laquelle pendait un long voile qui flottait comme la banderole d’un vaisseau. Cette coiffure pyramidale, qu’on appelait des hennins, était d’une hauteur si prodigieuse qu’une petite femme semblait un colosse, et que de loin on l’eût prise pour le clocher d’une chapelle. Les prédicateurs s’élevaient contre une mode dont le premier inconvénient, disaient-ils, était de nuire à la dignité corporelle des maris, qui, « près de leurs femmes, n’étaient plus que de petits buissons perdus dans une forêt de cèdres », rapporte Addisson dans son Spectateur moderne.
Dès lors, la coiffe ne quitta plus de la tête des dames, et dans quelques peintures du temps qui représentent des femmes au bain et sans aucun vêtement, l’artiste leur a conservé la coiffe. Déjà d’ailleurs, depuis longtemps, on avait sacrifié les cheveux de derrière pour ne conserver que les nattes du devant de la tête. Un portrait de Jeanne de Bourbon, femme de Charles V, montre une longue natte devant chaque oreille et par-derrière des cheveux taillés si courts qu’ils ne cachent point la nuque.
On comprendrait difficilement celte singulière mode de se couper ras les cheveux, adoptée par les femmes, si l’on n’y voyait pas d’abord une imitation exagérée de la coutume qu’ont les Orientaux d’avoir la tête rasée. Les historiens du temps ajoutent qu’une maladie de tête survenue à la reine Isabeau de Bavière, et qui fit tomber tous ses cheveux, engagea les femmes de sa cour à se priver ainsi de la plus charmante parure qu’elles avaient reçue de la nature. Une fois adoptée par la cour, cette mode se répandit dans toute la bourgeoisie ; aucune femme ne voulut plus porter les cheveux longs dont elle était si fière et si heureuse naguère.
Escoffion adourné, coiffure du XVe siècle |
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La coiffe ou escoffion, d’abord modeste et simple auxiliaire du hennin, finit par devenir peu à peu sa rivale et par partager avec lui la faveur de la mode. Au commencement du XVe siècle, sous le règne de Charles VII, la coiffe adournée comptait presque autant de partisans que le hennin ; à la fin du même siècle, c’est-à-dire sous Louis XI, le hennin avait tout à fait disparu devant l’escoffion triomphant.
Du reste, avant d’en venir là, le hennin avait subi de grandes modifications ; au lieu de se terminer par une vive solution de continuation, par des arêtes bien tranchées ou par un fond plat, l’étoffe qui le recouvrait se repliait à l’extrémité et retombait derrière en façon de voile, à peu près comme un bonnet de police déployé.
Quant aux époques intermédiaires, Walter Scott s’est chargé de nous en décrire les coiffures, et voici comment il le fait dans Quentin Durward, en parlant de la jeune comtesse Isabelle :
« Quentin, dit-il, reconnut promptement qu’une profusion de longues tresses de cheveux noirs, parmi lesquels, de même que les jeunes Ecossaises, elle avait « entrelacé, pour tout ornement, une légère guirlande de feuilles de lierre, formaient un voile autour d’une figure dont les traits réguliers et les yeux noirs pouvaient la faire comparer à Melpomène. »
Une fois devenue reine, la coiffe affectait mille formes diverses et se revêtit des couleurs les plus éclatantes : tantôt elle prenait juste la tête, tantôt elle se couvrait des plis d’un petit voile qui ne dépassait pas les oreilles ; tantôt, comme pour narguer son ancien rival le hennin, elle s’élevait en forme de mitre d’azur et d’or en laissant voir deux grosses nattes de cheveux, tandis que le hennin ne montrait autrefois qu’une simple petite natte, maigre même, qui se courbait au milieu du front et y formait un demi-cercle de même dimension. L’exemple de l’escoffion à voilette se trouve dans un portrait de Marguerite d’Anjou, peint en 1450.
Hennin ployant, coiffure du XVe siècle |
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C’est de cette époque triomphante de l’escoffion que date de nouveau la mode de porter les cheveux dans toute leur longueur et de les disposer de différentes façons sur le front et autour du visage. Les poètes et les trouvères de l’époque se remirent également à chanter et à vanter les blonds et les noirs cheveux de leurs dames se répandant sur leurs épaules comme un vrai manteau royal, expression naïve et pittoresque qu’Alfred de Musset s’est appropriée dans sa jolie ballade : Allez dormir, ma belle.
L’escoffion devenait tantôt une résille de soie de laquelle s’échappaient les cheveux en boucles ondoyantes, ou bien il dressait deux cornes triomphantes, en forme de croissant, et maintenues par un petit voile qui se nouait sous le menton. Ou bien l’escoffion entourait la tête d’une couronne d’écailles de vermeil et d’azur, laissant voir quelques anneaux de cheveux ; mais c’était là une coiffure plus bizarre que gracieuse, et que la cour ne voulut jamais adopter, « la laissant aux bourgeoises qui voulaient trancher de la noble dame et se croyaient charmantes parce que leurs couvre-chefs coûtaient de bons écus d’or », écrit Addisson.
A la même époque, c’est-à-dire vers 1467, Monstrelet dit que les dames et demoiselles renoncèrent aux cornes hautes et larges qui formaient leur coiffure et qu’elles mirent sur leurs têtes « bourrelets à manière de bonnets ronds qui s’amincissaient par-dessus de la hauteur de demi-aune ou de trois quarts de long. »
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