Le 6 mars 1792, et cependant qu’une députation de citoyennes de la ville de Paris était introduite à la barre de l’Assemblée législative, une demoiselle Pauline Léon, chocolatière parisienne, se présenta, et, au nom de 300 de ses émules en patriotisme, prononça le discours suivant, reproduit d’après le procès-verbal officiel
« Législateurs, des femmes patriotes se présentent devant vous pour réclamer le droit qu’à tout individu de pourvoir à la défense de sa vie et de sa liberté. Tout semble nous annoncer un choc violent et prochain ; nos pères, nos époux et nos frères seront peut-être les victimes de la fureur de nos ennemis [la guerre contre l’Autriche sera déclarée six semaines plus tard] : pourrait-on nous interdire la douceur de les venger ou de périr à leurs côtés ?
« Nous sommes citoyennes et le sort de la patrie ne saurait nous être indifférent. Vos prédécesseurs ont remis le dépôt de la constitution dans nos mains aussi bien que dans les vôtres ; eh ! comment conserver ce dépôt, si nous n’avons des armes pour le défendre des attaques de ses ennemis ?... Oui, ce sont des armes qu’il nous faut, et nous venons vous demander la permission de nous en procurer. Que notre faiblesse ne soit pas un obstacle ; le courage et l’intrépidité y suppléeront, et l’amour de la patrie, la haine des tyrans nous feront aisément braver tous les dangers.
« Ne croyez pas cependant que notre dessein soit d’abandonner les soins toujours chers à nos cœurs de nos familles et de nos maisons, pour courir à la rencontre de l‘ennemi. Non, nous voulons seulement être à même de nous défendre. Vous ne pouvez nous refuser, et la société ne peut nous ôter ce droit que la nature nous donne, à moins que l‘on ne prétende que la déclaration des droits n’a point d‘application pour les femmes, et qu’elles doivent se laisser égorger comme des agneaux, sans avoir le droit de se défendre ; car croit-on que les tyrans nous épargneraient ? Non, non, il se souviendraient des 5 et 6 octobre 1789.
Claire Lacombe, avec laquelle Pauline Léon fondera en 1793 la Société des républicaines révolutionnaires |
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« Mais, nous dira-t-on, les hommes sont armés pour vous défendre : d’accord, mais aussi répondrons-nous, pourquoi nous priver du droit de concourir à cette défense, et du plaisir de conserver leurs jours aux dépens des nôtres ? Connaissent-ils bien le nombre et la force de nos ennemis cachés ? N’auront-ils qu’un combat à donner ? Notre vie est-elle plus chère que la leur ? Et nos enfants ne sont-ils pas orphelins par la perte de leurs pères comme par celle de leurs mères ? Pourquoi donc n’emploierait-on pas pour terrasser l‘aristocratie et le despotisme toutes les ressources du civisme et du zèle le plus pur, de ce zèle que des hommes froids pourront bien qualifier de fanatisme et d’exagération, mais qui n’est que le résultat naturel d’un cœur brûlant de l‘amour du bien public ?
« Sans doute que les plus heureux succès couronneront la justice de notre cause ; eh bien ! alors nous aurons le bonheur d‘avoir contribué à la victoire. Mais, si par la ruse de nos ennemis ou la trahison de quelques-uns des nôtres, la victoire restait aux méchants, n’y aurait-il pas de la cruauté de nous condamner à attendre dans nos maisons une mort honteuse, et toutes les horreurs qui la précéderaient ; ou un malheur plus grand encore, celui de survivre à tout ce que nous avons de plus cher, à notre famille et a notre liberté ? (On applaudit.)
« Voici ce que nous espérons obtenir de votre justice et de votre équité.
1°. La permission de nous procurer des piques, des pistolets et des sabres, même des fusils, pour celles qui auraient la force de s‘en servir, en nous soumettant aux règlements de police.
2°. De nous rassembler les fêtes et dimanches au champ de la fédération, ou autres lieux convenables pour nous exercer à la manœuvre et au maniement desdites armes.
3°. De nommer pour nous commander des ci-devant gardes françaises, toujours en nous conformant aux règlements que la sagesse de M. le maire nous prescrirait pour le bon ordre et la tranquillité publique. (On applaudit.) »
Le président de l’Assemblée leur répondit :
« Mesdames, l’histoire atteste le courage et l’héroïsme des femmes françaises : plus d’une fois elles ont versé leur sang pour la patrie, et mérité les lauriers dont on couronne le front de ses plus généreux défenseurs. Il était digne des citoyennes d‘une ville qui a été le berceau de la liberté, de nous rappeler par un sublime dévouement les temps où des faits éclatants consacrèrent la gloire de votre sexe.
« L’Assemblée nationale, ou plutôt la nation entière, applaudit au sentiment qui vous conduit dans cette enceinte. Elle espère qu‘un si bel exemple fera rougir enfin ces hommes faibles, plus jaloux d’un honteux repos que de la liberté, qui s’abandonnent à l’apathie au milieu des dangers qui nous menacent. Si leur cœur a été assez lâche pour ne pas palpiter encore aux noms de patrie et de liberté, peut-être que subjugués par le plus doux sentiment de la nature, et entraînés par votre enthousiasme, ils brûleront enfin du feu sacré qui vous anime. Leur retour aux vertus civiques sera votre ouvrage, et c‘est un nouveau droit que vous aurez acquis à la reconnaissance publique. L’Assemblée nationale vous invite à sa séance (On applaudit). »
Un député du nom de Robecourt prit alors la parole :
« Messieurs, j’applaudis au patriotisme qui a conduit devant vous les généreuses citoyennes dont vous venez d’entendre la pétition ; j’applaudis à cet enthousiasme qui leur fait oublier la faiblesse de leur sexe pour voler au secours de la patrie en danger (Murmures).
« Mais, messieurs, serions-nous réduits à une telle extrémité que ce secours nous fût nécessaire ? Cent cinquante mille hommes armés ne présentent-ils pas une force plus que suffisante pour protéger efficacement la liberté et les propriétés, si elles étaient menacées ? (On rit).
« Gardons-nous d’intervertir l’ordre de la nature ; elle n’a point destiné les femmes à donner la mort : leurs mains délicates ne furent point faites pour manier le fer, ni pour agiter des piques homicides. Je demande donc qu’en faisant mention honorable de la pétition des citoyennes de Paris qui ont paru à la barre, et en en décrétant l’impression, l’assemblée passe à l’ordre du jour. »
Le capucin Chabot insista cependant, pour que la pétition de la chocolatière fût prise en considération, et demanda qu’elle fût renvoyée au comité militaire. Des voix diverses s’écrièrent alors : « Le renvoi au comité de l’ordinaire des finances ! Le renvoi au comité de liquidation ! » et ces cris humoristiques provoquèrent des rires prolongés. L’Assemblée législative passa à l’ordre du jour.
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