LA FRANCE PITTORESQUE
Il faut faire la croix à la cheminée
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Publié le vendredi 29 mars 2024, par Redaction
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Se dit à la vue d’un événement agréable et inattendu, par exemple, à l’arrivée d’un ami qu’on n’a pas vu depuis longtemps
 

Hasardons quelques conjectures sur l’origine d’une expression au sujet de laquelle la littérature garde le silence. Les anciens marquaient d’une pierre blanche les jours heureux, et d’une noire les malheureux. C’est ce que fait entendre ce premier vers de la seconde satire de Perse, auteur latin du Ier siècle de notre ère : Hunc, Macrine, diem numera meliore lapillo (Marque d’un blanc caillou ce beau jour, Macrinus)

Horace dit plus clairement qu’on marquait avec de la craie ce qui était louable, et avec du charbon les objets de haine. C’est dans ce sens que le poète Horace, livre 2, satire 3, s’interroge au sujet des deux fils d’Arrius qui ne mangeaient que des rossignols : Quorsum abeant ? Sani ut creta, an carbone notandi ? (Faut-il les noter avec de la craie ou avec du charbon ?)

Les Romains ont pu nous transmettre cet usage, dont il ne nous est resté ensuite que l’expression. Cela est d’autant plus probable qu’autrefois on écrivait croye pour craie. L’équivoque de croye avec croix aura pu corrompre le proverbe, qui était peut-être énoncé ainsi : Il faut mettre la croye à la cheminée.

Il faut faire la croix à la cheminée
Il faut faire la croix à la cheminée. © Crédit illustration : Araghorn

Ou si l’on veut, nos pères, en suivant l’usage de leurs vainqueurs, auront préféré en qualité de Chrétiens, la marque d’une croix à toute autre figure. Cette croix, devant être blanche, comme signe d’un événement heureux, on ne pouvait la tracer que sur un endroit noir ; ce qui a fait choisir la cheminée.

Au reste, une figure tracée avec la craie n’a pas toujours été chez nous prise en bonne part. Au temps de la chevalerie, les chevaliers s’en servaient pour noter d’infamie les portes des dames qui méritaient leur censure. Au rapport du chevalier de la Tour, messire Geoffroy « disait que quand il chevauchait par les champs, et qu’il voyait le château ou manoir de quelque dame, il demandait toujours à qui il était : et quand on lui disait, il est à celle, si la dame était blâmée de son honneur, il se fût avant tort (il se fût plutôt détourné) d’une demi-lieue, qu’il ne fût venu jusque devant la porte ; et là prenait un petit de croye qu’il portait et notait cette porte, et y faisait un signet, et s’en venait. Et aussi au contraire, quand il passait devant l’hôtel de quelque dame ou damoiselle de bonne renommée, s’il n’avait trop hâte, il la venait voir et huchait : Ma bonne amie, je prie à Dieu qu’en ce bien et en cet honneur il vous veuille maintenir au nombre des bonnes ».

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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