LA FRANCE PITTORESQUE
Esprit (L’) de conversation :
spécialité française déclinante ?
(D’après « Le Petit Journal : supplément du dimanche », paru en 1902)
Publié le dimanche 3 septembre 2017, par Redaction
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Dans un hebdomadaire de 1902, un chroniqueur signant sous le nom d’Ann Seph, entretient ses lecteurs de l’esprit de conversation français, avançant que ce dernier dépend beaucoup des époques : le début du XXe siècle ne lui est, selon elle, guère favorable.
 

D’abord, les gens sont toujours pressés et ne trouvent plus le temps de s’asseoir pour causer longuement. On entre dans un salon, on en sort au bout d’un quart d’heure, que voulez-vous qu’on se dise en quelques minutes ? On se borne à quelques questions banales réciproques sur la santé des gens, questions de pure forme, dont on n’écoute la réponse ni de part, ni d’autre, assez souvent.

Et puis, les journaux sont pour beaucoup dans la perte de cette forme de l’esprit français. Autrefois, quand chacun n’avait pas à sa disposition une demi-douzaine de publications quotidiennes et périodiques, on parlait, à ceux qui n’étaient pas informés, de ce qu’on avait vu, su, entendu, appris par hasard ou par des moyens à soi. Aujourd’hui, personne n’ignore le crime épouvantable, l’opération chirurgicale, le grand mariage, ni ce qui se passe dans les cours étrangères, ni les catastrophes qui arrivent dans les quatre coins de l’univers.

On ne peut guère, non plus, donner son appréciation sur un livre, un opéra, une comédie, un acteur, un tableau, après le critique autorisé ; du reste, en notre temps, personne n’oserait en parler avant lui.

Les belles au parc Monceau

Les belles au parc Monceau. Peinture d’Henri Brispot (1908)

Ceci a donc à peu près tué cela. Il est vrai que, dans quelques salons, on divague à perte de vue sur les œuvres décadentes et incompréhensibles ; sur l’art nouveau encore. Ailleurs, on ne vit que pour les sports, les exercices violents du dehors. Cela vaut mieux certainement que les racontars méchants, les bêtes railleries, les médisances et les calomnies locales ; les sots petits potins qui circulent dans le cercle où l’on vit.

Mais, pourtant, bien des gens n’entendent pas un mot du charabia sublime de quelques jeunes auteurs modernes, et ne comprennent rien aux hardiesses et aux folies de quelques artistes vingtième siècle. Tout le monde, d’autre part, ne se livre pas au polo, au golf, à la chasse, etc. ; on commence à se lasser un peu du cyclisme et de l’automobilisme ; l’enthousiasme délirant dos premiers temps se calme un peu.

Il y a encore « les œuvres ». Ceux qui en font partie discutent à perte de vue sur la matière. Mais alors quelle figure font les gens qui n’y ont pas donné leur adhésion ? Il faut bien qu’ils restent muets, eussent-ils tout l’esprit, toute l’imagination du monde.

Cela me rappelle une visite chez une dame qui revenait de Saint-Estimé-les-Bains, poursuit Ann Seph. Il y avait dans son salon des personnes qui étaient allées aux mêmes eaux, qui y avaient rencontré les mêmes gens. La conversation ne roula absolument que sur ces eaux et sur ces gens, et les autres dames présentes, qui ne connaissaient ni les unes ni les autres, furent réduites au silence tout le temps qu’elles eurent la patience de rester là.

Une maîtresse de maison, qui voudrait réveiller l’esprit de conversation, ne devrait pas laisser la causerie s’éterniser sur un sujet exclusif. Elle pourrait s’arranger pour que chacun eût un tour de parole. Ainsi on entendrait peut-être un mot spirituel ; une pensée originale, une idée amusante pourraient se faire connaître. Ce serait d’ailleurs, affaire de simple politesse, ce serait offrir l’hospitalité non seulement à la personne physique, mais aussi à son esprit.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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