Occupant un point septentrional du Gers, le village d’Avensac, situé non loin de la route conduisant de Montauban à Auch, était encore chaque année, au XIXe siècle, le théâtre, au jour fixe de Saint-Jean-Baptiste, d’un singulier rassemblement : la fontaine Saint-Jean était l’objet d’assauts d’un nombre considérable d’hommes et de femmes de tous les âges désireux d’en approcher l’eau curative.
Au côté méridional de l’église d’Avensac, se trouve, près d’un petit bosquet, une fontaine bâtie en arceaux et absolument ouverte ; cette fontaine, selon la tradition populaire, est à sec la veille de la Saint-Jean de chaque année, et les eaux débordent au moment même où le soleil lui jette son premier regard. Or, dans ce moment-là, tous ceux qui ont foi à la mystérieuse vertu qu’on attribue à cette eau, doivent être rendus sur les lieux ; car, au lever du soleil, le curé sort de l’église, précédé de tout ce que la localité renferme, ce jour-là, d’étrangers, une longue procession se forme ; les jeunes filles, presque toutes habillées de blanc, portent des croix et des bannières, et arrivées à la fontaine, l’entourent. Le prêtre seul s’avance et bénit la procession, après quoi il rentre dans l’église, mais accompagné cette fois de très peu de monde.
On ne peut avoir qu’une idée très imparfaite de la précipitation avec laquelle la multitude se jette vers cette fontaine après que le prêtre s’est retiré ; on se presse, on se heurte, on se repousse, on se bat : c’est un tumulte qui ne peut même pas finir quand l’eau manque, ce qui arrive nécessairement, tant les amateurs sont nombreux. Tous ceux qui ont pu remplir leur vase, passent dans le bosquet et là se livrent à la friction générale de leur corps.
C’est un spectacle peu commun, car il n’est d’ordinaire pas une circonstance dans la vie où ceux qui, dans ce bosquet, vont s’offrir mutuellement le spectacle de leur nudité, n’éprouvent quelque gêne ; mais il suffit ici de la grande confiance que chacun a en la vertu de cette eau, pour que nul n’appréhende de dévoiler ses infirmités ; les femmes même semblent ne point s’occuper de la présence des hommes. On conçoit, du reste, pour conclure, que cette eau froide, jetée sur un corps mis en état de transpiration par le tumulte que nous avons signalé plus haut, ne peut produire qu’un bien fort incertain et un mal extrêmement probable.
Quoi qu’il en soit, tout ne se termine pas là. A côté de la fontaine s’élève une croix de chêne, absolument neuve, vu le renouvellement annuel ; cette croix est, dans l’espace de demi-heure, mise en lambeaux, de telle sorte qu’il n’en reste plus rien à la place ; on s’y jette dessus avec tant de précipitation, qu’il arrive assez communément des accidents avec les couteaux et haches dont on se sert pour briser cette croix ; chacun en emporte dans sa poche le plus de morceaux qu’il lui est possible. Ce bois est employé, dans le courant de l’année, à faire de la tisane à ceux que l’on présume affectés d’ensorcelage.
Cette fête d’Avensac est basée sur les croyances superstitieuses. Son unique but est d’obtenir la guérison, tant de maux physiques que des affections morales, et l’homme de cette contrée méridionale attribue, encore au XIXe siècle, tous les maux qui lui adviennent à une malveillance occulte et au sortilège. Peut-être cette coutume puise-t-elle ses origines dans un temps où régnait le polythéisme. La situation topographique d’Avensac mérite à cet égard de s’y attarder.
Ce village se trouve en effet placé sur la voie romaine qui traversait le village des anciens Lactorates, et ce qui prouve que les lieux où il se trouve posé eurent quelque importance passée, c’est que l’on découvre encore, non loin de la fontaine Saint-Jean, quelques ruines éparses qui établissent d’une manière certaine l’existence d’un ancien temple, dont on peut, avec un peu d’étude, fixer la dédicace. Il se trouve d’ailleurs très rapproché d’Hams, autre village conservant encore quelques traces précieuses de certains monuments druidiques.
On peut donc soutenir, avec quelque certitude, que lorsque la Gaule était province romaine, le polythéisme était en grande vigueur à l’endroit où se trouve actuellement Avensac, puisqu’il y avait des temples ; et si l’on considère les croyances superstitieuses comme dérivant de la religion païenne, soit par le maintien indispensable de certains usages qu’il fallut adapter à la religion naissante, afin de ne pas heurter trop violemment le dogme encore permanent, soit par la difficulté qu’eurent les primitifs apôtres à enraciner le christianisme, il est tentant de retrouver dans le polythéisme l’origine de cette coutume.
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