Lieu sans issue, impasse
Les mots réputés malséants perdent entièrement ce caractère lorsqu’ils entrent en composition dans d’autres mots que l’usage a consacrés tout d’une pièce et que personne ne songe à disséquer. Les mots cul-de-sac, cul-de-lampe, cul-de-basse-fosse, cul-de-jatte, cul-de-four, et plusieurs de ce genre, disent bien ce qu’ils veulent dire, et à ce titre ils sont bons.
On les prononce partout, en toute occasion, sans exciter ni étonnement ni murmure, et ils ne peuvent être considérés comme inconvenants que par une fausse et maladroite pruderie. Tout cela soit dit à propos de cul-de-sac et des mouvements d’indignation de Voltaire : « Comment a-t-on pu, dit-il, donner le mot de cul-de-sac à l’angiportus des Romains ? Les Italiens en ont pris le nom d’angiporto, pour signifier strada senza uscita. On lui donnait autrefois le nom d’impasse, qui est expressif et sonore. C’est une grossièreté énorme que le mot cul-de-sac ait prévalu. »
Et comme Voltaire répétait souvent les choses qu’il avait sur le cœur, il n’a pas laissé échapper une seule occasion de flétrir ce pauvre mot : « J’en dis autant à le Breton, imprimeur de l’Almanach royal, je ne lui payerai point l’almanach qu’il m’a vendu cette année. Il a eu la grossièreté de dire que M. le président... M. le conseiller... demeure dans le cul-de-sac de Ménard, dans le cul-de-sac des Blancs-Manteaux. Jusqu’à quand les welches croupiront-ils dans leur ancienne barbarie ? Comment peut-on dire qu’un grave président demeure dans un cul ?... Fi ! monsieur le Breton, corrigez-vous, servez-vous du mot impasse, qui est le mot propre ; l’expression ancienne est impasse.
« Nous avons renoncé à des expressions absolument nécessaires, dont les Anglais se sont heureusement enrichis. Une rue, un chemin sans issue, s’exprimaient si bien par non-passe, impasse, que les Anglais ont imité ; et nous sommes réduits au mot bas et impertinent de cul-de-sac, qui revient si souvent, et qui déshonore la langue française. »
On lit enfin dans la Correspondance littéraire de Grimm, à la date du 17 août 1763 : « Vous remarquerez que le grand apôtre veut qu’on dise Auguste à la place de ce gothique et barbare août, qu’on prononce aussi oût. C’est ainsi qu’il veut qu’on substitue le mot d’impasse à celui de cul-de-sac. En écrivant il y a quelques années, à feu l’abbé Duresnel, par la poste, il mit sur l’adresse : A M. l’abbé Duresnel, de l’Académie française, dans l’impasse de Saint-Pierre, et non dans le cul-de-sac, attendu que rien ne ressemble moins à un cul ni à un sac qu’une rue qui n’a point d’issue. »
Ce qui résulte de plus clair de toutes ces récriminations et de bien d’autres, car l’auteur de la Pucelle ne s’en est pas tenu là, c’est que ceux qui ont partagé son avis sur la grossièreté du mot cul-de-sac n’en auraient peut-être jamais été choqués s’il n’avait pas fait tant de bruit pour si peu. Le philologue François Génin (1803-1856) s’exprime ainsi : « La métaphore peut manquer de noblesse (quoique, après tout, l’habitude efface le relief de ces locutions), mais elle ne manque pas de justesse, puisque le sac se tient assis sur son fond, et qu’une personne obstinée à traverser une impasse n’en viendrait non plus à bout qu’une personne obstinée à sortir d’un sac par le fond. »
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