Chaque siècle, chaque province de l’ancienne France eurent leurs prénoms de prédilection ; les mœurs, les coutumes et les usages diffèrent en effet non seulement avec les époques, mais encore avec les diverses régions d’un même pays. Un fait historique, un évènement quelconque, souvent sans importance, suffirent quelquefois pour en mettre certains en vogue, l’enregistrement officiel des prénoms étant instauré avec l’apparition des registres de baptême en 1539.
Jadis, lorsque dans une petite ville ou un village, une personne notable, fort connue ou mise en évidence par des fonctions publiques, découvrait et donnait à l’un de ses enfants un prénom, inusité jusque-là, facile à prononcer et flattant agréablement l’oreille, dix ans après, le sixième ou le cinquième des enfants de ses concitoyens, nés depuis cette époque, avaient reçu ce nom, devenu promptement populaire.
Chaque enfant recevait au baptême un seul prénom, au commencement du XVe siècle, conformément à un antique usage, qui se transmit de génération en génération et se perpétua jusqu’à nous, principalement dans les classes populaires des villes, les villages et les fermes, où les anciennes coutumes furent observées longtemps, où les vieilles formes de langage et les expressions démodées furent conservées quelquefois pendant plusieurs siècles.
Du XVIe siècle à la Révolution, l’influence de la littérature, des pièces de théâtre, des romans, s’est fait sentir sur le choix des prénoms d’une manière plus sensible que de nos jours. Après le succès retentissant de l’admirable pièce de Racine intitulée Esther (1689), le prénom Esther fut extrêmement recherché. Un nombre incroyable d’enfants porta désormais ce nom ; des dames de la cour poussèrent même leur enthousiasme jusqu’à quitter leur propre prénom pour usurper le nom de la nièce de Mardochée. Athalie, prénom issu de la pièce éponyme de Racine publiée en 1691, fut également assez longtemps en vogue.
Jamais le choix d’un prénom n’a été livré au hasard, sauf dans des cas exceptionnels, comme celui d’un enfant trouvé. Sous l’Ancien Régime, les prénoms étaient appelés noms de baptême. Depuis l’établissement du christianisme, chaque nouveau-né recevait, lors de son baptême, un nom. Si ce n’était pas celui de son parrain, le prêtre veillait soigneusement à ce que le père de l’enfant choisisse le nom d’un saint. L’Église fit tous ses efforts pour que les fidèles suivissent ponctuellement cette règle souvent éludée par la noblesse grâce à la connivence du clergé, et qu’elle entrât complètement dans les mœurs.
Au XVe siècle, la bourgeoisie et principalement le peuple se conformaient à cette prescription avec une assez grande régularité. Toutefois un abus se produisit fréquemment ; on substitua volontiers, pendant les premières années ou durant l’adolescence de l’enfant, un autre prénom à celui du baptême, qui était répudié dès qu’il avait cessé de plaire. Les registres de baptême n’étaient pas encore connus. L’ordonnance les instituant fut rendue par François Ier à Villers-Cotterêts en août 1539, à la fois dans l’intérêt des familles et pour remédier aux graves désordres de la collation des bénéfices ecclésiastiques, qui dégénéraient parfois en scandales.
Les registres de mariages et ceux de décès furent créés seulement en 1579 par l’ordonnance de Blois avec établissement de trois publications pour les mariages. Les curés des paroisses furent chargés de tenir tous ces registres. Soit insouciance, soit ignorance, ils remplirent assez mal la mission qui leur avait été confiée : erreurs sur les personnes, confusion de noms, renseignements insuffisants, surcharges, signatures omises, pas de témoins, blancs, ratures...
A la suite de la Réforme, les ministres protestants avaient pris l’habitude de constater l’état civil de leurs coreligionnaires ; leurs registres furent déposés aux greffes des bailliages et des sénéchaussées lors de la révocation de l’édit de Nantes. Aux termes de l’article 7 du titre II de la constitution de 1791 et de la loi du 20 septembre 1792, les officiers des municipalités furent désormais officiers de l’état civil ; il leur fut ordonné de ne faire aucune distinction de religion.
Mais, les officiers municipaux d’un grand nombre de communes rurales étant absolument illettrés, ou peu instruits, on retrouve au moins pendant vingt ans encore, le même désordre qu’autrefois dans la rédaction des actes, où furent inscrits quelque temps les noms les plus ridicules, plus tard reniés formellement : Nationale-Pique, Révolution, Carotte, Flore, Olive, Liberté, Raison, Humanité...
Antérieurement à l’ordonnance de Villers-Cotterêts, on rencontre quelques registres, sur lesquels les curés transcrivaient parfois un court résumé des principaux évènements qui se succédaient autour d’eux. Les plus anciens registres, connus en France, sont ceux de Châteaudun, remontant à 1478. A Paris les registres de mariages ont été tenus dès 1515 pour la petite paroisse de Saint-Jean-en-Grève, ceux de baptême en 1525 pour les paroisses de Saint-André-des-Arcs et Saint-Jacques de la Boucherie, et ceux de décès dès 1527 pour les paroisses Saint-Josse et Saint-Landry. A Lyon et à Rouen les registres de naissances apparaissent en 1555 (paroisse Sainte-Croix) et en 1535 (paroisse Saint-Gervais). Le premier recueil de mortuaires de Marseille appartenait à l’église Saint-Martin ; il fut commencé en 1532.
La naissance, le mariage et la mort, les trois principaux événements de la vie, n’étant pas constatés, au XVe siècle, la majorité des Français ne pouvait établir leur état que par la possession ; les usurpations ou les substitutions de noms et de prénoms étaient aisées. Pour les « personnes de qualité » ou les grandes familles, les obituaires — registre renfermant le nom des morts et la date anniversaire de leur sépulture afin de célébrer des offices religieux pour le repos de leur âme —, les nécrologes et divers documents tels que les chartes et les registres domestiques, permettaient de suppléer partiellement à l’absence des actes de l’état civil.
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