Au sein de la montagne bourbonnaise retentissait encore, à la fin du XIXe siècle, le burloir, sorte d’oliphant destiné à guider les troupeaux, à inviter la population à se rassembler pour l’annonce d’une nouvelle, ou encore à faire le charivari aux veuves et veufs convolant en nouvelles noces ; du côté de Moulins et de ses environs, on avait coutume de s’offrir le premier jour de l’An, un petit coq façonné avec de la pâte de farine, bien doré et symbolisant le bonheur que l’on se souhaitait mutuellement.
La montagne bourbonnaise, le dernier soubresaut des révolutions géologiques qui tourmentèrent l’Auvergne et le Forez, se divise en deux parties bien distinctes que sépare la Besbre (Barbara), ce torrent qu’une ondée suffit pour faire mugir ; au sud le Moutoucel, chauve et dénudé (Monte-au-Ciel), est le royaume des Pions, ceux dont la patrie est bien plus loin que d’où le soleil se lève, et qui ne craignent rien, sinon que : l’tounar d’Gieu l’a-z-’acraze ! et à l’est, la Madeleine, dont les flancs boisés forment l’immense forêt de l’Assise.
C’est au canton du Mayet-de-Montagne qu’appartiennent ces pays pittoresques, où les traditions et les légendes se sont conservées comme le menhir sur lequel saint Martin a scellé la croix. C’est là que se retrouvent les fontaines et les bois sacrés, le cercle de pierres (Ré-mur-Seint), le Ré-de-Sol, le mont Lune, les pierres du Jo, la pierre et la grotte des Fées, la pierre du Jour, les palets de Gargantua, la croix du Sun.
Chaque village possède ses traditions, et chaque pierre conserve ses légendes ; les fées y sont dans leur empire, la montagne bourbonnaise est encore toute mystérieuse ; lo fadas se cachent dans les bois et dans les rochers. C’est que dans cette contrée couverte de neige pendant plus de six mois, les montagnards ont conservé leurs mœurs d’autrefois, et leur foi vive et ardente.
Le pays est pauvre et l’herbe courte, et quand le pâtre veut rassembler son troupeau dispersé pour redescendre à la chaumière, il ne pourrait crier assez fort, mais il a façonné un instrument sur le modèle d’un ancien tout vermoulu, c’est une trompe de plus d’un pied de long et de la grosseur du bras : il a creusé avec son couteau une branche courbe de fayard (hêtre), il l’a percée avec un fer rouge, et avec ce même fer il a tracé un monogramme, sa propriété, et des ornements ; avec cette trompe qu’il nomme burloir il appelle ses animaux habitués à sa voix, et, lentement, ils descendent ces pics et ces pentes rapides aux accents du chant traditionnel « La saint Jean ».
Le burloir sert aussi à transmettre la voix d’une montagne à l’autre, et à plus d’une grande lieue du pays (6 kilomètres), on appelle son voisin du village. Les maisons sont groupées par village et chacun d’eux porte son nom : Chez Pion, Chez Girardière. Mais le principal office du burloir est d’appeler aux offices de la Semaine-Sainte les habitants de la commune que les cloches muettes de l’église n’avertissent plus ; les gars montent au clocher, et sur un thème convenu, ils annoncent ensemble l’heure des offices.
Par extension, le burloir sert aussi à un très singulier usage, notamment quand une veuve semble se remarier un peu tôt : le charivari des burloirs ne manque pas de poursuivre le couple trop empressé de la mairie au domicile conjugal, et il est plus de minuit que ce concert baroque n’est pas terminé. D’autres fois, les mauvaises actions d’un habitant sont révélées par les sons graves des burloirs.
Plus anciennement, l’on employait le burloir pour annoncer le rassemblement de la population au chef-lieu du village pour la lecture des édits royaux, ou pour avertir d’un danger, car le son des cloches était insuffisant, tandis que celui des burloirs se fait entendre à de très grandes distances.
Cet instrument ne devait pas être autre chose que la tradition de l’oliphant dont il affecte la forme. C’est surtout à la Pruyne, l’une des dernières communes perdues dans la montagne bourbonnaise, que le burloir est le plus généralement employé.
Les coqs en pâte
« Heureux comme un coq en pâte » était encore voici un siècle une expression familière du Bourbonnais, et de Moulins en particulier. Comme partout, le jour de l’an était un jour de joie surtout pour les enfants qui n’avaient rien à donner et tout à recevoir, et dans chaque famille on s’abordait le matin en échangeant de bons souhaits. Chacun s’offrait réciproquement un petit coq façonné avec de la pâte de farine, bien cuit et surtout bien doré, la tête haute et la queue bien troussée. Il était posé sur deux petits morceaux de bois fendu qui lui servaient de pattes.
Des marchands spéciaux promenaient depuis le jour de Noël ces petits coqs en pâte, dans un large plat de vieille faïence bleutée, avec de jolis rinceaux ; les gros coqs valaient six liards en monnaie du temps, et les petits, deux liards seulement. Au milieu du XIXe siècle, le nombre des marchands était réduit à deux et ils suffisaient, le père Paradis et son gars, à satisfaire les gens de la ville, tandis qu’autrefois il y avait un marchand à chaque coin de rue et sur toutes les places : leur quartier général était à la Bonne-Dame de Délivrance.
N’était-ce point une allusion aux souhaits de bonheur que chacun échangeait, ce symbole du bonheur : « Heureux comme un coq en pâte ! » Dans les dernières années du XIXe siècle, on pouvait voir de petits animaux accompagnant le coq, pétris de la même pâte, et leurs pattes façonnées du même bois. Nous ne pouvons mieux comparer ces petits coqs et ces animaux qu’à ceux que façonnaient dans l’antiquité les céramistes gaulois dans leurs officines de Toulon et de Saint-Pourçain-sur-Besbre (Allier), simultanément avec les dieux Lares. Leur ressemblance est frappante avec ces jouets primitifs fondus en bronze et découverts en Scanie, en Etrurie, et qui appartiennent à l’âge du bronze ; le rapprochement en est aussi frappant que singulier.
L’usage de s’offrir le coq en pâte au jour de l’an est fort ancien. Nous n’avons pas la prétention de reculer cet usage jusqu’aux temps perdus de l’histoire, mais il doit remonter à une haute antiquité. Ce n’était pas un jouet du jour, ni de spontanéité, que le coq en pâte que l’on s’offrait au jour de l’an, mais c’était la tradition d’une bien vieille coutume qui, sans être particulière à la ville de Moulins et à ses environs, pourrait bien se retrouver dans la vieille Gaule.
Tous les historiens de l’antiquité nous rapportent qu’en ce jour de Guy-l’an-neuf, chacun s’offrait des présents, des jouets, etc. Grivaud de la Vincelle, dans son grand ouvrage des Arts et Métiers, donne à la planche CXX la figure d’un petit coq semblable. Dans les inscriptions de Gruter (125-2), on trouve le coq brûlé en holocauste « Holocausto gallo ». Le coq était immolé aux dieux Lares, gardiens du foyer (Montfaucon). Caylus donna un petit bronze représentant un volatile en bronze de un pouce et demi de hauteur (Recueil, tome I, planche XCX, n° V). Et dans le tome II, la planche XCII, n° V, représente un petit coq en bronze, muni d’un anneau de suspension, puis sur la même planche sont représentés plusieurs petits animaux portant le même anneau sur le dos.
Copyright © LA FRANCE PITTORESQUE
Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.