Dans les temps les plus reculés le commerce était exercé par des marchands forains ou ambulants, qui faisaient connaître leur présence dans les villes où ils passaient par le son d’un instrument quelconque alors en usage, ou bien par la voix d’un crieur annonçant leur arrivée et les marchandises qu’ils avaient à vendre. Réglementé au moins depuis 1220, le droit de criage fut plus tard étendu aux annonces officielles : décès, animaux égarés, jours des confréries...
Hérodote nous apprend que c’est en Lydie que les premières boutiques furent ouvertes par des marchands en résidence fixe. Ils avaient alors des crieurs à leur porte pour attirer les acheteurs, ainsi que cela se pratiquait encore à Paris au XIXe siècle dans les bazars ou dans les ventes et liquidations installées provisoirement au rez-de-chaussée des maisons nouvellement bâties.
Autrefois, à Rome, le crieur public était appelé Præco. Employé dans beaucoup de circonstances différentes, le Præco était chargé, devant une cour de justice, d’appeler le demandeur et le défendeur ; d’annoncer les noms des parties et de proclamer les sentences. Dans les comices, c’est lui qui convoquait les centuries, proclamait le résultat du vote de chaque centurie et les noms des élus. Dans les ventes, il annonçait les articles mis en adjudication et répétait les enchères ; dans les jeux publics, il avertissait le peuple de se rendre au théâtre et proclamait les noms des vainqueurs ; dans les assemblées, il maintenait l’ordre et le silence. Il criait aussi à son de trompe les objets perdus.
Avant qu’on ne les affichât, les lois étaient publiées, en France, par des crieurs et à son de trompe. Au Moyen Age, ces crieurs étaient des officiers publics formant une corporation régie, comme les autres, par des statuts particuliers et ayant dans Paris deux maîtres, un pour chaque rive de la Seine. Sur la gravure que nous donnons ci-dessous, et qui représente une vente à la criée, au Moyen Age, le subhastator, officier public, notaire ou commissaire, chargé de la vente, est assisté de deux crieurs (preco). L’un appelle le public en sonnant de la trompette, l’autre crie les enchères. La baguette que tient l’officier public lui servait à indiquer et à toucher l’enchérisseur auquel il venait d’adjuger.
Vente à la criée au Moyen Age |
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Les marchands, les bourgeois avaient recours aux crieurs pour répandre par la ville les avis qu’ils voulaient communiquer au public, car le criage était le seul moyen de publicité d’alors. Ainsi, on criait au son des clochettes, de la trompette et du tambourin, les denrées, les décès, les invitations aux obsèques, les ordonnances de police et les objets perdus.
Le premier titre qui parle des crieurs, est un édit de Philippe-Auguste de l’an 1220. D’après ce titre, il paraît que ce droit de criage avait été tenu par un nommé Simon de Poissy, que le roi en était en possession, et le donna aux marchands de la hanse de l’eau, mercatoribus nostris hansatis aquæ, avec pouvoir d’instituer ou destituer les crieurs à leur volonté : Poterunt clamatores ponere et amovere pro voluntatibus suis. Ces officiers étaient alors uniquement employés pour le commerce. Depuis ce premier titre, il s’est encore passé près de deux siècles pendant lesquels ils n’eurent point d’autre qualité que celle de crieurs de vin, clamatores vini.
Il en est fait mention sous ce titre dans les ordonnances de saint Louis, de l’an 1268, recueillies par Étienne Boileau, prévôt de Paris, pour l’établissement en communauté de tous les corps des arts et métiers de Paris ; cette ordonnance réglait la forme de la réception de ces officiers à l’Hôtel de Ville ; comment ils devaient crier le prix des vins ; ce que les taverniers leur devaient payer ; elle mentionnait que leurs salaires pour les vins étrangers et de liqueurs, étaient plus forts, parce qu’ils étaient obligés d’aller en faire les cris devant les maisons royales. C’étaient eux qui étaient aussi chargés de porter aux taverniers les mesures, après qu’elles avaient été étalonnées à l’Hôtel de Ville ; ils avaient l’inspection sur les fraudes qui s’y pouvaient commettre, et en faisaient leurs rapports.
Les rois usaient quelquefois du droit de bon vin, pour celui qui provenait des clos de leurs domaines situés à Paris. Cela faisait fermer toutes les tavernes, et les crieurs étaient obligés d’aller ensemble crier tous les jours, le soir et le matin, le vin du Roy. Les prévôt des marchands et échevins connaissaient de tout ce qui concernait ces jurés-crieurs.
Outre le droit des crieurs, qui était de quatre deniers par jour, il était encore dû un certain droit au prévôt des marchands et échevins pour l’ouverture ou la fermeture de chaque cellier, ou taverne, selon l’importance du commerce qui s’y faisait. Les taverniers prétendirent n’être tenus de l’un ni de l’autre de ces droits : cela donna lieu à une instance au Parlement, et par arrêt du mois de mars 1274, les taverniers furent condamnés à les payer immédiatement. Ce ne fut que sous le règne de Charles VI, par une ordonnance du mois de février 1415, que l’on ajouta aux fonctions des jurez-crieurs de vins, celle d’annoncer par cris les morts, à condition que chacun d’eux n’en crierait qu’un par jour, afin qu’ils pussent être employés chacun à leur tour ; il fut aussi ordonné qu’aucune autre personne qu’eux ne s’entremettrait de fournir robes, manteaux et chapeaux pour obsèques ou funérailles, sous peine d’amende arbitraire.
À la crème, par François Boucher |
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On leur attribua, en même temps, le droit de crier les jours des confréries, les enfants et les animaux perdus ou égarés, et jusqu’aux légumes et autres productions de la terre qui étaient à vendre, à l’exception du bois et du foin, à condition qu’ils ne pourraient crier aucun enfant au-dessous de l’âge de huit ans, sans permission de justice.
C’est alors qu’ils commencèrent à être qualifiés jurés-crieurs de corps et de vins, et, pour cette fonction aux obsèques ou funérailles, ces mêmes lettres leur attribuèrent les salaires qui leur devaient être payés. Les jurés-crieurs furent depuis érigés en titre d’offices royaux, au nombre de 30, par lettres patentes du mois de septembre 1641. Ils furent augmentés de 20 au mois de janvier 1670, et incorporés aux anciens par déclaration du 20 février de la même année. Il y eut de semblables offices créés dans toutes les villes du royaume par différents édits.
Au XIIIe et au XIVe siècle, presque tous les marchands criaient leurs marchandises dans la ville, et allaient les offrir de porte en porte, car bien peu d’entre eux étaient assez riches pour posséder des boutiques ; au XVIe siècle, les cris diminuent et les marchands commencent à s’établir ; chaque métier se confine dans un quartier spécial. Ils ne faisaient par là que suivre les traditions anciennes. Beaucoup de ces réunions de marchands ont donné leur nom aux quartiers qu’ils habitaient, tels que le quai des Orfèvres, la rue aux Ours. Construite au XIIIe siècle, la rue aux Ours était habitée par les rôtisseurs les plus renommés de Paris ; ils excellaient surtout dans la manière de préparer les oies, alors le régal de l’artisan et du bourgeois. C’était du reste à peu près le seul rôti qu’ils vendaient, d’où leur venait le nom des rôtisseurs oyers ou oyeurs. La rue où l’on voyait sans cesse tourner leurs broches chargées de ce mets succulent fut appelée rue aux Oues, c’est-à-dire aux Oies, et lorsqu’elle cessa d’être exclusivement habitée par les Oyers, elle prit par corruption le nom de rue aux Ours, explique Paul Lacroix dans Mœurs et usages du Moyen Age.
Guillaume de Villeneuve, qui vivait au XIVe siècle, a donné dans une pièce de vers intitulée le Dit des Crieries de Paris, les différents cris des marchands ambulants, car à cette époque, non seulement on vendait sur la voie publique des légumes ou des denrées alimentaires, mais on y colportait aussi les vêtements, le vin, l’huile, la chandelle.
Harengs saurs ! D’après les Cris de Paris du XVe siècle |
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Le droit de faire publier n’appartenait dans chaque ville qu’au juge qui avait la juridiction ordinaire et de territoire. C’est pour cela que l’on nommait, dans chaque ville, « banlieue » l’étendue dans laquelle le juge ordinaire avait droit de faire faire les publications et afficher les ordonnances. Lors même que dans une ville il y avait plusieurs juges ordinaires, ce droit de faire publier n’appartenait qu’au premier et principal magistrat de la ville, comme une suite et dépendance de la police. Le prévôt de Paris en était en possession de temps immémorial. De là vient que l’officier uniquement chargé des publications, et les deux trompettes qui devaient l’accompagner, étaient officiers de la juridiction et soumis à sa discipline. L’institution de ces officiers est très ancienne ; on ne peut exactement en fixer l’origine. Il est seulement certain qu’ils étaient en exercice dès l’an 1396. Les proclamations s’appelaient simplement en ce temps du nom de Cris : d’où vient le nom de juré-crieur que portait cet officier.
Lorsque la Révolution de 1789 éclate, les fonctions de juré-crieur, à Paris, ne consistèrent plus guère, comme autrefois à Rome, qu’à présider aux funérailles. On ne leur avait réservé que le droit de fournir aux obsèques les tentures, manteaux et habits de deuil, comme jadis ; ils devaient « quérir et rapporter les robes, manteaux et chaperons pour les funérailles. » Dès lors, les fonctions de crieurs publics furent confondues avec celles des afficheurs et des colporteurs.
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