Né à Amiens le 18 octobre 1741, Laclos entra à l’âge de 18 ans dans le corps royal d’artillerie, et il y servait avec distinction, lorsqu’il fit paraître en 1782 le roman si scandaleusement fameux des Liaisons dangereuses, qui fut lu avec une extraordinaire avidité par les hommes et les femmes de cette société et de cette bonne compagnie qu’il peignait sous de si effroyables couleurs.
L’auteur d’un tel livre devait être plus qu’un autre pénétré de la nécessité d’une réforme politique et sociale en France, aussi n’est-on pas étonné de le voir, en 1790 et 1791, rédacteur du Journal des amis de la constitution. Il laissa parmi les personnes qui le connurent particulièrement, la réputation d’un aimable et excellent homme, et dans le monde celle d’un homme très immoral. La première lui vient de ses actions ; la seconde de son livre. Les uns l’ont accusé d’avoir peint des mœurs qui étaient les siennes, et lui-même avait autorisé ce bruit en faisant entendre avec trop de légèreté, qu’il avait en effet retracé quelques-unes de ses aventures galantes dans le récit de celles de son héros principal.
Une illustration de l’édition de 1796 des Liaisons dangereuses |
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Le comte de Valmont, l’un des deux personnages nobles manipulateurs et libertins du siècle des Lumières mis en scène par Laclos dans son ouvrage, est le type de la scélératesse aimable, et de cette sorte de dépravation de tous les sentiments naturels et honnêtes, à laquelle un cachet particulier d’audace, a fait donner en France le nom de rouerie. Ceux qui se sont portés les défenseurs du caractère de Laclos ont, au contraire, soutenu que son ouvrage était tout entier une fiction dans le cadre de laquelle entrait la peinture des mœurs trop avérées, et de faits odieux qui ne manquaient pas d’analogie dans l’histoire privée et publique de l’époque ; mais qu’on ne pouvait attribuer à l’auteur que cette complicité d’imagination dont il serait absurde de faire un reproche aux écrivains, puisqu’il s’ensuivrait que l’on ne peut inventer un scélérat ou un crime sans être plus ou moins accusé d’avoir été le modèle en même temps que le peintre.
Cette réponse ne détruit pourtant pas deux objections capitales : la première, c’est que Laclos, compagnon du duc d’Orléans, avait vécu au milieu de la société qu’il représentait ; et la seconde, qu’il transpire dans son livre une certaine délectation d’immoralité dont il est impossible qu’il ne résulte pas un argument très fort contre la pureté des intentions de l’auteur.
Certains lecteurs estimeront que c’est une mauvaise morale que de donner tant de grâces à un scélérat qu’en a le comte de Valmont, et qu’un coup d’épée qui arrive à la fin du roman ne suffit nullement pour punir de si criminelles violations de tout ce qu’il faut recommander le plus à la conscience humaine : le respect de l’innocence. L’horrible marquise de Merteuil, second héros de l’ouvrage de Laclos, est plus sévèrement traitée ; mais ici l’auteur pouvait s’être bien moins livré à son imagination que confié à ses souvenirs ; on sent à chaque trait qu’il a étudié d’après nature cet affreux personnage ; et d’ailleurs c’est chose assez connue, que tous ceux qui figurent dans les Liaisons dangereuses, ont vécu et porté un nom dans le monde d’alors.
Au surplus, Laclos, né avec beaucoup d’imagination et d’esprit, a probablement été du grand nombre de ceux qui, séduits et entraînés dans leur jeunesse par des sophismes de cette incroyance systématique aux choses honnêtes qui caractérisa la bonne société, vers la fin de la monarchie, furent ramenés, par le temps et l’expérience, à d’autres sentiments et d’autres idées.
L’ouvrage, qui à l’époque de sa publication ne fut pas interdit mais le sera plus tard, en 1823, cessant ensuite d’être dangereux au milieu des mœurs de la France nouvelle, relégué au rang de simple monument curieux du temps qui l’inspira et qui le vit naître.
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