LA FRANCE PITTORESQUE
Deus, ecce Deus !
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Publié le mardi 19 avril 2016, par Redaction
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Le Dieu, voici le Dieu ! (VIRGILE, Énéide, liv. VI, v. 46)
 

A peine arrivé sur le rivage de l’Italie, de ce royaume qui lui est promis, Énée vient consulter la sibylle de Cumes. La prètrem d’Apollon lutte d’abord contre l’influence du dieu qui va parler par sa bouche, puis elle se laisse enfin entraîner par l’inspiration prophétique. Elle s’écrie : « Le Dieu vient, voici le Dieu ! » Et tandis qu’elle parle devant le sanctuaire, soudain ce ne sont plus sur son visage les mêmes traits, ce n’est plus dans son teint la même couleur ; ses cheveux en désordre se hérissent, son sein haletant se soulève, la fureur transporte ses farouches esprits, sa taille semble grandir, et, quand le dieu l’anime enfin de son souffle puissant, elle n’a plus rien de mortel dans la voix. C’est ainsi que l’esprit prophétique anime Joad quand il s’écrie : C’est lui-même ; il m’échauffe, il parle : mes yeux s’ouvrent, et les siècles obscurs devant moi se découvrent.

« Ne demandez pas à Rachel d’indiquer à l’avance ce qu’elle veut faire, elle n’en sait rien, elle ne peut rien prévoir ; il faut que le mouvement qui la retient ou qui l’emporte parte spontanément de son âme. Aussi bien, quand elle joue, acteurs et spectateurs sont-ils dans l’éveil et dans l’attente. Qui sait : cet éclair dans le regard, cette douleur dans la voix, ce grand geste qui vous frappe, peut-être ne les reverrez-vous plus jamais ainsi ! Elle est comme la pythonisse de Virgile, d’abord pâle, mourante, affaissée sur elle-même, assez mal faite, figure triviale, les bras pendants, le corps plié en deux, jeunesse sans fraîcheur et sans vigueur ; mais tout à coup, Deus, ecce Deus ! toute cette nature anéantie se relève et s’anime, le feu monte de l’âme au regard, le cœur bat violemment dans cette poitrine dilatée, le souffle en sort puissant, irrésistible ; toute la personne s’embellit outre mesure, et alors regardez-la ! » (J. JANIN)

« Telle est aussi cette fureur inspiratrice des grands acteurs : on ne peut jouer d’entraînement, si l’on ne possède pas ces cordes tendues et mobiles qui vibrent à l’unisson de l’âme et qui transportent les cœurs. Pour cet effet, une heureuse sensibilité est une condition admirable ; elle annonce l’élan poétique et allume le feu sacré, et, comme la Sibylle, on s’écrie : Deus, ecce Deus ! » (J.-J. VIREY)

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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