Faute échappée à la langue
Un homme d’esprit avait réuni à sa table quelques amis, parmi lesquels se trouvait un gros financier fort vain et fort ignorant, deux choses qui marchent souvent de compagnie. Au milieu du repas, un valet maladroit apporta sur un plateau d’argent une langue de veau à la sauce ; maladroit, en effet, car en posant le mets sur la table, il répandit une partie de la sauce sur l’habit de son maître. En homme bien élevé, celui-ci cacha le reproche sous un bon mot : « Messieurs, dit-il, c’est un lapsus linguae. »
Et tous les convives d’applaudir. Notre financier, qui ne comprit de ce trait que les applaudissements, le retint fidèlement, bien résolu d’en faire usage à l’occasion. Un jour donc qu’il traitait à son tour, il fit à son domestique la recommandation expresse de l’inonder de sauce : il pensait, comme Henri IV, que l’honneur d’un bon mot vaut bien un habit.
Or, parmi les plats offerts par notre amphitryon, figurait un magnifique gigot de pré-salé. « Voici le moment » se dit le valet. Au même instant, une cascade d’un jus peu limpide tomba sur le financier. « Bah ! bah ! s’écria notre homme, c’est un lapsus linguae. » Chacun se regarda, étonné, car personne ne comprit. L’amphitryon n’était pas content, ce dit-on.
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