Si vous voulez que je pleure, commencez par pleurer vous-même (HORACE, Art poétique, v. 102)
C’est-à-dire : si vous voulez m’émouvoir, commencez par être ému vous-même. Ce n’est qu’en éprouvant vivement un sentiment qu’on parvient à le faire partager aux autres.
Ce précepte d’Horace est dicté par la raison même. Il n’y a que l’âme qui puisse parler à l’âme. Tous les grands maîtres ont donné ce précepte ; mais Cicéron et Quintilien l’ont développé avec beaucoup de force. « Il est difficile, dit Cicéron, d’exciter l’indignation de votre juge, s’il ne s’aperçoit pas que vous êtes réellement indigné ; de lui inspirer de la haine pour votre ennemi, s’il ne remarque pas en vous une haine valable ; de le remplir de commisération et de pitié si vos pensées, vos expressions, le son de votre voix, votre physionomie et vos larmes n’attestent pas votre douleur. Comme les matières les plus combustibles ont besoin d’étre approchées du feu pour s’embraser, ainsi les hommes les plus disposés à l’émotion ont besoin d’être enflammés par l’orateur... »
Quintilien n’est ni moins vif, ni moins pressant. « Voulons-nous, dit-il, exciter les passions avec force, revêtons-nous, s’il faut ainsi dire, de l’intérieur de ceux qui souffrent véritablement. Soyons animés des mêmes mouvements, et que toujours notre discours parte d’une disposition de cœur telle que nous la voulons faire prendre aux autres. Pense-t-on, en effet, que l’auditeur puisse s’attrister d’une chose qu’il me verra lui raconter avec indifférence ; ou qu’il se mette en fureur lorsque moi qui l’y excite, je ne sens rien de semblable ; ou qu’il verse des larmes, quand je plaiderai devant lui avec des yeux secs ? Cela ne se peut : on n’est échauffé que par le feu... et nulle chose ne donne à une autre la couleur qu’elle n’a point elle-même. Il faut donc que ce qui doit faire impression sur nos auditeurs, en fasse premièrement sur nous, et que nous soyons touchés avant de songer à toucher les autres. »
Boileau traduit ainsi la pensée d’Horace :
Que devant Troie en flamme, Hécube désolée Ne vienne pas pousser une plainte ampoulée, Ni sans raison décrire en quel affreux pays, Par sept bouches l’Euxin reçoit le Tanaïs. Tous ces pompeux amas d’expressions frivoles Sont d’un déclamateur amoureux de paroles ; Il faut dans la douleur que vous vous abaissiez : Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez. |
« Le si vis me flere d’Horace n’est pas seulement applicable aux larmes, mais encore à ce sentiment passionné, l’amour, qui tourne aisément au niais, au chimérique ou à la grimace, et qu’il faut éprouver pour le bien peindre. » (DE PONTMARTIN)
« Ovide ne joue pas la mélancolie ; il ne grimace pas faute de savoir pleurer. Ces inconsolables faiseurs d’élégies, qui vivent au milieu des plaisirs, ces poètes abîmés de douleur après un bon repas au coin d’un bon feu, ne causent d’émotions à personne : Si vis me flere ! Mais Ovide est bien véritablement malheureux ; ce sont d’amères larmes qui sillonnent son visage d’homme. » (CUVILLIER-FLEURY)
« Si vous riez, je ris ; si vous pleurez, je pleure ; si vous êtes brutal, grossier, insolent, vous allumez la colère de mon cœur. C’est ce que dit Horace, qui en tire une leçon pour les poètes : Si vis me flere, dolendum est. » (Pierre LEROUX)
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