Elle fut étroitement liée à Voltaire qui louait ses talents d’écrivain et lui fit une dédicace en vers insérée dans La comtesse de Savoie qu’elle publia en 1713
On n’a que fort peu de détails sur la vie de madame, de Fontaines. Elle naquit en 1660, se nommait Marie-Louise-Charlotte de Pelard de Givry. Son père, gouverneur de Metz, avait plaidé auprès du conseil du roi la cause des Juifs jusqu’alors persécutés, et obtenu qu’on leur accordât le droit d’exercer paisiblement leur industrie et leur culte. Les Juifs reconnaissants avaient fait accepter au marquis de Givry une pension considérable qui, après sa mort, devait passer à ses enfants. Mademoiselle de Givry épousa le comte de Fontaines, dont elle eut un fils et une fille qui, devenue madame de Fontanges, fut dame d’honneur de la princesse de Conti.
On trouve dans les OEuvres posthumes du président Hénault, une note qui la concerne, et qui n’est point à l’avantage de Mme de Fontaines. Suivant cette note, celle-ci, qui fut galante toute sa vie, avait retiré chez elle Colin de Blamont, compositeur assez agréable de ce temps-là, lequel était d’une fort jolie figure : il n’est pas dit qu’elle l’eût pris pour faire de la musique avec elle. Le président Hénault ne se contente pas d’accuser ses mœurs ; il lui ravit encore la propriété de ses ouvrages. « Elle se piquait de composer, dit-il, et elle avait donné sous son nom deux romans, La comtesse de Savoie, et Aménophis, dont la Chapelle et Ferrand étaient les auteurs. »
Comment admettre, comment réfuter cette allégation dénuée de preuve ? Si Ferrand ou la Chapelle, est le véritable auteur de la touchante nouvelle de La comtesse de Savoie, pourquoi ne connaît-on de l’un que quelques épigrammes plus licencieuses encore que bien tournées ? Pourquoi, surtout, l’autre a-t-il fait les insipides Amours de Catulle et de Tibulle ?
Gravure en frontispice d’une réédition de 1864 de La comtesse de Savoie |
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Voltaire, qui paraît avoir eu une liaison assez étroite avec madame de Fontaines, était loin sans doute de croire que ses romans ne fussent pas d’elle : autrement il ne se serait pas donné le ridicule de les critiquer avant l’impression et de les louer après, comme le prouvent des vers suivants qu’il adressa à l’auteur en 1713, au moment où parut La comtesse de Savoie. Ces vers sont très flatteurs, et même ils le sont trop. La Fayette et Segrais, couple sublime et tendre, viennent des Champs-Élysées à Paris pour entendre Sapho (nom donné par Voltaire à madame de Fontaines) :
A vos genoux tous deux humiliés, Tous deux vaincus et pourtant pleins de joie, Ils mirent leur Zaïde aux pieds De la comtesse de Savoie. |
On trouvera sans doute que, dans cette pièce, la dose de la louange est un peu forte. Il y a tout lieu de penser, d’après la facilité très négligée avec laquelle ces vers sont faits, qu’ils n’étaient pas destinés à sortir des mains de celle qui les avait inspirés. Quoi qu’il en soit, s’ils exagèrent le talent de madame de Fontaines, d’un autre côté, ils rendent de sa conduite un témoignage peu suspect, qui s’accorde mal avec la perfide note du président Hénault.
L’endroit le plus remarquable de cette petite pièce est peut-être le vers qui la termine :
Adieu ; malgré mes épilogues, Puissiez-vous pourtant tous les ans, Me lire deux ou trois romans, Et taxer quatre synagogues. |
Pour entendre ce vers, il faut expliquer que le père de Mme de Fontaines avait aidé les juifs de Metz dans le projet d’y établir une synagogue, et que l’on était dans l’usage constant de faire payer chèrement ce type de service. Ils avaient exercé en retour envers les chrétiens des usures criantes, et le gouvernement les en avait punis par des taxes dont une partie était employée au dédommagement des particuliers lésés. C’est évidemment au parti de M. de Givry tira, dans cette circonstance, de ses bons offices, que Voltaire fait allusion dans son vers ; il est assez singulier qu’il ait jugé à propos de le rappeler à sa fille.
La Harpe écrit dans le tome XIV de son Cours de littérature que Voltaire paraît avoir tiré le sujet de Tancrède de La comtesse de Savoie. Il en avait aussi tiré le sujet d’Artémire, tragédie jouée sans succès en 1720, et dont il ne reste que des fragments. Dans cette tragédie, un favori de Cassandre, roi de Macédoine, nommé Pallante, furieux de n’avoir pu faire partager à la reine Artémire l’amour coupable qu’il a conçu pour elle, envoie Ménas, un de ses amis, vers cette princesse, pour lui communiquer d’importants secrets : puis il se rend lui-même à l’appartement de la reine, y surprend Ménas, le poignarde, et persuade au roi que sa femme avait lié avec cet homme une intrigue criminelle. Cassandre ordonne la mort d’Artémire. Aux noms et à quelques légères circonstances près, voilà très exactement la trame ourdie contre la comtesse de Savoie par le comte de Pancallier.
Si La Harpe ne dit pas plus positivement que Voltaire a tiré du roman de madame de Fontaines le sujet de sa tragédie de Tancrède, c’est que ce sujet était déjà dans l’Arioste, où Voltaire pouvait l’avoir pris de première main ; mais une conduite presque entièrement pareille dans la tragédie et dans le roman ; des personnages en même nombre, et ayant à peu près les mêmes intérêts, les mêmes rapports entre eux ; beaucoup d’incidents communs aux deux ouvrages, tout atteste que ce n’est point l’épisode de Genèvre et Ariodant qui a fourni à Voltaire l’idée de sa pièce, dont toute la ressemblance avec cet épisode consiste dans le fond de l’action et nullement dans les détails. Le nom même du héros de la tragédie se trouve dans le roman, quoique à la vérité il ne soit pas porté par le personnage qui répond à l’amant d’Aménaïde.
Si madame de Fontaines a prêté aux autres, on ne peut pas assurer qu’elle ne leur avait point emprunté elle-même. Ce portrait de Mendoce, que le hasard fait tomber au pouvoir de la comtesse de Savoie, et dans lequel elle voit, « avec trouble et plaisir », celui qu’elle est destinée à avoir un jour pour amant et pour époux, pourrait bien être un peu la copie de cet autre portrait, dont on prédit à Zaïde qu’elle épousera l’original, que personne ne connaît encore, et qu’elle aime d’avance : enfin, la passion de la comtesse de Savoie pour un autre que son mari, les combats que le penchant et le devoir se livrent dans son âme, et les efforts qu’elle fait pour immoler l’un à l’autre, produisent des situations que madame de la Fayette avait déjà tracées dans La Princesse de Clèves.
Le XIe siècle est l’époque que madame de Fontaines a choisie pour y placer l’action de son roman. Elle y raconte, presque historiquement, les événements qui ont conduit Guillaume le Conquérant au trône d’Angleterre. Les autres personnages qu’elle introduit sont ou d’invention ou si peu connus, qu’elle a pu, sans inconvénient, leur prêter des aventures imaginaires. Elle a suivi en cela l’exemple que lui avait donné madame de La Fayette.
Elle ne l’a pas moins heureusement imitée dans tout le reste. Comme cet aimable écrivain, elle a dans le style et dans les idées beaucoup de clarté, de grâce et de naturel. Sa diction est même généralement plus pure, ce qui tient à l’époque où elle écrivait ; notre langue était fixée depuis assez longtemps par des hommes de génie, et l’envie de montrer plus de génie qu’eux ne l’avait point encore fait dénaturer.
Outre La comtesse de Savoie, madame de Fontaines a fait, comme on l’a déjà vu, un autre roman, intitulé Aménophis. Il eut, et avec raison, moins de succès que le premier. Les aventures y sont entassées les unes sur les autres, et quelquefois amenées par des moyens peu naturels ; mais il y a du mouvement, de l’intérêt, des descriptions agréables, des situations neuves et touchantes. Quoique le nombre et la rapidité des événements n’y laissent pas beaucoup de place aux développements de la passion et du cœur humain, on y rencontre des traits de sentiment et d’observation qui décèlent le talent de l’auteur en ce genre.
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