C’est à l’âge de 31 ans qu’il devient inspecteur général des Monuments historiques, fonction lui permettant, tout en effectuant de nombreux voyages pour recenser les monuments remarquables, de poursuivre des travaux littéraires auxquels il devait d’avoir déjà acquis une solide réputation
Son grand-père paternel était avocat au parlement de Normandie et fut intendant du maréchal de Broglie ; le fils de cet intendant fut le père de l’écrivain et il se nommait Léonor Mérimée. Il était peintre, ancien élève de David et d’une réputation fort honorable qui le conduisit au secrétariat général de l’École des Beaux-Arts. Ce Léonor écrivit des ouvrages de technique picturale, et mourut en 1836. Anna Moreau, la mère de Prosper, était peu fortunée. Elle était encore toute jeune fille, et même pensionnaire, lorsqu’elle fut rencontrée par Léonor Mérimée, qui, lui, avait déjà la quarantaine et allait lui donner des leçons de dessin. La différence d’âge entre les parents de Prosper était donc grande. Du côté de sa mère, il est l’arrière petit-fils de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, illustre écrivain auteur de nombreux contes, parmi lesquels on compte La Belle et la Bête.
C’est le 27 ou 28 septembre 1803 que le futur écrivain naquit. Il fut un enfant faible et maladif de qui l’on pensa souvent qu’il ne vivrait point. Il dut à cet état autant qu’aux dispositions attentives de ses parents d’être extrêmement choyé. Il y avait d’abord chez les Mérimée le goût des arts et de la lecture. La famille était cultivée et, à la maison, on lisait avec plaisir les conteurs du précédent siècle. Notez tout de suite que ce sont ces conteurs que l’on y choisissait, ces conteurs libertins, un peu secs, conviés cependant à la galanterie, tels que Laclos, Prévost, Crébillon le fils, car cela n’est peut-être pas sans influence sur la future carrière de Mérimée.
Il y a au sujet de l’enfance de Prosper une anecdote que l’on doit à Taine, dont Sainte-Beuve s’est servi et qui n’est d’ailleurs pas certaine. Prosper avait cinq ans ; ayant été puni et poussé hors de la pièce où sa mère se tenait, il se mit à pleurer. Lorsqu’on lui permit de rentrer, sa figure avait pris un tel aspect de désespoir pour une si petite cause que l’on rit. C’est à dater de ce jour que l’enfant aurait pris et tenu la résolution de toujours refouler ses sentiments.
Prosper Mérimée à l’âge de cinq ans, d’après un portrait peint par sa mère en 1808 |
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Dans sa famille, on cultivait l’anglomanie qui était déjà à la mode et qui allait bientôt devenir plus obsédante encore ; il faut dire aussi que M<sup<me Mérimée était voltairienne, assez railleuse et fort antireligieuse. Plusieurs personnes ont gardé des souvenirs concordants de cette Mme Mérimée, surtout dans son âge avancé. L’impératrice Eugénie l’avait connue comme une « curieuse vieille dame, aussi originale dans ses manières et dans son costume que dans ses opinions ». La famille Buloz l’a connue une vieille dame soignée, nette, qui aimait à s’entourer de chats et de bibelots déjà un peu rococos à l’époque. Elle portait des fanfreluches et des bonnets à dentelles et tuyautés. Sa conversation devait être pleine de politesse en même temps qu’émaillée d’esprit railleur.
En 1815, Prosper avait douze ans et il n’est pas apparent que les événements politiques et militaires tragiques de cette année-là aient laissé en lui une bien forte empreinte : tout juste, semble-t-il, quelques traits vifs et précis, des traits de détail. La famille n’ouvrait guère ses fenêtres sur l’extérieur. L’éducation de Mérimée fut donc une éducation familiale. Toutefois, le jeune homme suivit les cours du lycée Henri IV où il fit de bonnes études, sans succès notoires. Même, pour son instruction littéraire, il est certain que Mérimée préféra les goûts que montraient ses parents, à ceux qui étaient encore plus particulièrement en vogue parmi la jeunesse d’alors : cette jeunesse se délectait toujours aux œuvres sensibles ou larmoyantes de la fin du XVIIIe siècle.
Léonor Mérimée, le peintre, vit en son fils des dispositions réelles pour la peinture ; comme beaucoup d’artistes, il s’empressa donc de détourner son fils de ce genre de dispositions. Il décida que ce fils ferait son droit et serait un avocat. Prosper Mérimée fit donc son droit, mais il ne devint pas avocat. Ses années d’études juridiques lui fournirent d’abord l’occasion de s’amuser, ensuite celle de nouer des relations littéraires qui devaient l’accompagner dans la vie. Ses premiers amis furent Jean-Jacques Ampère et Albert Stapfer. Michelet était déjà son camarade de lycée, quoique de quatre ans plus âgé.
De cette époque où Mérimée fut étudiant, on cite déjà quelques énormes plaisanteries qu’il imagina ; il paraît notamment qu’il mystifia le naturaliste Cuvier dans sa manie de collectionneur d’autographes. La mystification a été l’un des goûts prononcés de toute la vie de Mérimée. Il faut dire que ses mystifications mondaines ne furent pas toujours d’un goût aussi réussi que sa mystification littéraire de Clara Gazul. Toutefois il faut reconnaître ce caractère comme l’un des plus singuliers de la figure de Mérimée.
Ce doit être par Albert Stapfer que Mérimée pénétra dans les salons et dans les réunions littéraires. Stapfer le conduisit chez son propre père où fréquentait Stendhal. On peut penser que cette première rencontre noua en Mérimée les premiers fils de sa future carrière d’écrivain. Le groupe où Mérimée excella fut un groupe romantique, en qui il convient cependant de voir tout autre chose que le groupe du romantisme lyrique d’où sortaient déjà les Hugo, les Vigny et leurs amis. Les participants étaient plus souvent capables de créer des idées que de grandes œuvres. Entre eux, l’on discutait beaucoup et il est constant que la distinction et la culture des esprits qui s’y trouvaient réunis ou rattachés étaient de nature à proposer des idées originales et même fécondes. Ces hommes, ce sont Delécluze, Ampère, Vitet, Rémusat, Leclercq, Duvergier de Hauranne ; ils trouvaient un appui dans le Globe de Dubois. Les uns et les autres avaient une ardeur et aucun ne s’empêchait à contraindre l’expression de ses sentiments. En réalité, ils furent surtout, du moins à cette époque, des animateurs. Leur réussite fut de fournir à Mérimée une nourriture. Au milieu d’eux, Mérimée était le plus silencieux ; il écoutait, il prenait des choses ; il en laissait bien d’autres ; en lui-même il remettait au point. Généralement on pensait qu’il n’avait guère de chaleur ou que peu d’idées. A la vérité, les idées se formaient en lui.
La pensée littéraire qui dominait le groupe était la création d’un drame en prose française, qui fût un drame historique, dont le sujet fût pris dans les siècles qui précédèrent le XVIIe et dont la forme eût celle de larges tableaux successifs. Prosper Mérimée, à cette époque-là, cultivait la forme dramatique. Son premier ouvrage fut le Théâtre de Clara Gazul (1825). C’était une mystification de très haut goût où le nom de l’auteur vrai ne paraissait pas. Ce qui paraissait en revanche, c’était une vie imaginaire de l’imaginaire Clara ; c’était même un portrait de Clara, fait d’après la propre tête de Mérimée, par Delécluze. Précisons que ce fut le 12 avril 1825 que Delécluze dessina ce portrait.
Les pièces qui composent ce recueil ont le goût du « proverbe », dont l’époque était férue. Leur vivacité, leur couleur sont plaisantes leur raillerie est souvent mordante et affleure quelquefois le cynisme. L’on peut distinguer dans les deux Inès Mendo tout le germe du futur romantisme dramatique d’Hernani. La date de Clara Gazul est une date du romantisme.
Bien des gens avaient saisi la supercherie, même en dehors des proches amis du mystificateur. Cependant Mérimée récidiva en donnant, en 1827, la Guzla pour la traduction d’authentiques chants illyriens. Il y eut des slavophiles pour affirmer qu’ils connaissaient l’original de ces chants qui, à leur goût, passait de loin la traduction. Dès cette époque, Prosper Mérimée jouissait d’une réputation étendue. Ses premiers ouvrages, livres de jeunesse cependant, n’avaient point laissé son nom dans l’ombre, malgré leur anonymat sournois, peut-être à cause de cet anonymat et plus certainement à cause de leur originale valeur. Ajoutons encore, au nombre de ses premières publications, La Famille Carjaval (1828) et la Chronique du règne de Charles IX (1829) qui fut un vrai succès.
Ce sont les œuvres de la préparation de l’écrivain. L’on y note, dans l’ensemble, une habileté fort développée, une vive intuition des tournures étrangères, un goût très sûr dans ses pointes de hardiesse. L’activité d’écrivain de Prosper Mérimée était grande. A côté, il menait une vie mondaine presque agitée, partagée entre ce que l’on nomme précisément le monde et ce que l’on devait appeler trente ans plus tard le demi-monde. Mérimée aimait vivement les femmes et il faut être certain qu’il fut féru d’un grand nombre d’elles et selon des manières fort différentes. Il eut des penchants pour des femmes du monde, pour des jeunes filles, pour des actrices, pour d’autres. Maintes fois ces passions furent si rapides qu’il ne prit ou ne trouva pas décemment le temps de les faire connaître aux intéressées.
Il cultiva les longues liaisons, les passions ardentes et sans lendemain, les galanteries sans conséquences, l’amitié amoureuse, l’amitié féminine et, on le sait bien, la correspondance tendre avec des inconnues qui ne le sont plus de nous, mais le demeurèrent longtemps de lui. Ce papillonnage dura jusqu’à la veille de sa mort. Et il faut admirer les nuances que cet homme du monde savait utiliser pour accorder le ton dont il parlait à l’une ou à l’autre de ces femmes à la condition diverse de celles-ci. Il avait en cela une autre délicatesse que Beyle.
Prosper Mérimée, que l’on a dit un cœur sec, souffrit pourtant des peines du cœur, au moins deux fois dans sa vie : vers 1830 et vers 1852. Et l’on a pu noter que cet homme qui aimait les femmes n’en a mis que de méchantes, de dures, de rouées dans sa littérature. La vie agitée de Mérimée, remplie de visites mondaines, de préoccupations féminines, d’occupations littéraires, de fêtes fort libres en compagnie de la jeunesse dorée, ne lui épargna point de graves crises de dépression. C’est en proie à l’une d’elles qu’il partit pour son premier voyage en Espagne en 1830. Et l’on sait quel fervent de la péninsule fut Mérimée.
C’est aussi qu’il savait voyager ; assez peu sensible peut-être aux aspects naturels, il était en revanche fort attentif aux arts et surtout aux mœurs des pays qu’il visitait, cherchant, en excellent cosmopolite, à fondre passagèrement ses habitudes et son esprit dans ceux et celles des pays étrangers. Les chroniques qu’en 1830 il adressa d’Espagne à la Revue de Paris en sont un vif témoignage. Ses nouvelles et ses contes en demeurent des témoignages plus répandus. A l’étranger, Mérimée recherchait tout de suite une société choisie ou curieuse où il pût être admis dans un bon rang.
C’est ainsi que, dès son premier séjour à Madrid, il se lia avec Mme de Montijo qui avait alors deux toutes petites filles dont l’une, Eugénie, devait être, vingt-deux ans plus tard, l’Impératrice des Français. L’écrivain s’amusa à faire jouer cette petite prédestinée et il lui apprit, sinon l’écriture, du moins les premiers éléments du français. Prosper Mérimée était donc en Espagne pendant qu’à Paris on faisait une révolution. Lorsqu’il revint en France, il trouva les Orléans à la place des Bourbons et le duc de Broglie dans les chemins du pouvoir. La famille des Broglie était liée à celle des Mérimée. Les idées de Mérimée étaient orléanistes.
Comme cet homme n’avait jamais assez de multiples à sa vie, il voulut bien, outre ce qu’il était déjà, devenir un fonctionnaire. Le comte d’Argout était ministre de la Marine : Mérimée fut son chef de cabinet. Le comte passa au Commerce, puis à l’Intérieur. Comme il n’y a aucune raison, si le ministre est aussi compétent dans un ordre que dans l’autre, pour qu’il n’en aille pas tout de même du chef de cabinet, Mérimée dirigea le cabinet du Commerce après celui de la Marine et celui de l’Intérieur après celui du Commerce. Cette gymnastique, qui d’ailleurs rompt admirablement une activité, dut faire merveille chez Mérimée en qui l’aptitude à s’adapter à tout était prodigieuse.
Le ministre employa cette activité. En 1882, Mérimée fut envoyé en Angleterre pour y étudier notamment le mécanisme des élections. La lettre qu’il adressa au comte d’Argout sur cette question et sur quelques autres de la vie politique à Londres, est un morceau remarquable. Précédemment Mérimée avait déjà été à Londres avec des amis souvent ensuite il y retourna. Et l’on sait bien qu’il fut un fin connaisseur des choses anglaises ; son anglomanie naturelle ou apprise l’y portait d’ailleurs. Ses amitiés anglaises furent parmi celles qu’il préféra. Et l’on n’ignore point quelle correspondance suivie, intéressante, variée et amusante, il entretint avec les personnes distinguées que furent les Childe, Sutton Sharpe, Panizzi.
Le comte d’Argout étant tombé du pouvoir, son chef de cabinet, Mérimée, fut nommé inspecteur des Monuments historiques. Rien ne semblait l’avoir prédestiné à ces fonctions, mais il était un homme de l’intelligence la plus souple et la mieux aiguisée. Ces nouvelles fonctions obligèrent l’écrivain à de nombreux voyages, le résultat de plusieurs étant consigné dans ses Notes d’un voyage dans le midi de la France (1835), dans l’Ouest (1836), en Auvergne (1838), en Corse (1840). Plusieurs rapports et articles archéologiques furent également publiés. En 1835, dans une lettre à Léonce de Lavergne, Mérimée écrit, parlant d’une commission dont il était membre et que Guizot avait instituée : « Nous voulons aussi entreprendre un petit travail qui sera tout bonnement le catalogue de tous les monuments et de toutes les antiquités de la France. »
On imagine aisément le temps que ces travaux durent prendre à Mérimée tant en voyages qu’en rédaction et certainement en études spéciales. Si l’on observe les autres activités de sa vie, l’on connaît cependant que, durant ces années-là, loin de ralentir, elles paraissent décupler. C’est en effet l’époque où Mérimée est certainement le plus « dandy ». L’inspecteur des Monuments mène une folle fête avec Horace de Viel-Castel, Alfred de Musset et d’autres ; vous ne pensez pas que, s’il monte à minuit sur les tours de Notre-Dame, c’est pour inspecter les gargouilles : c’est en fait pour boire de l’orangeade sur la plate-forme supérieure. Il fréquente les salons de Mme de Boigne, de la marquise de Castellane. En 1831, il a commencé avec une « inconnue », Jenny Dacquin, cette correspondance nombreuse et suivie qui l’absorbera jusqu’au matin même de sa mort.
Entre 1840 et 1845, Prosper Mérimée écrit la série de ses nouvelles qui comptent ses chefs-d’œuvre, des chefs-d’œuvre, au premier rang desquels Colomba (1840) et Carmen (1845). Le temps de la Monarchie de Juillet fut littérairement la grande époque de Mérimée et, pour l’homme en général, une quinzaine d’années d’activité prodigieuse. L’année 1845 marque cependant le terme de la carrière littéraire. Dans ses dernières années, Prosper Mérimée écrira encore quelques nouvelles qui ne sont inférieures que de peu à celles qui sont les moins bonnes de la grande période ; ce sera pour l’agrément d’une société.
En 1843, Mérimée est membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, en 1844 de l’Académie française. Il s’était préparé à ces élections, qu’il n’obtint d’ailleurs que péniblement, par des travaux d’aspect sévère sur l’histoire romaine. C’est comme l’auteur de ces travaux-là qu’il fut choisi par ces deux classes de l’Institut. On peut croire que plusieurs académiciens ignoraient Colomba et surtout Clara Gazul. Après cela, Mérimée se donne tout entier à ses rapports et comptes rendus archéologiques.
En 1848, il est déprimé. Une nouvelle révolution est venue, qui a chassé les Orléans qu’il aimait ; il est fort dégoûté de la politique dont l’avenir lui semble sombre. Il se croit à un 17 brumaire où il n’y aurait pas de Bonaparte pour le 18. Le prince-président Louis-Napoléon le laisse en grande défiance et il le tient assez pour un médiocre qui ferait le pantin. Le coup d’État du 2 décembre 1851 arrive et le trouve sceptique. Il essuie en outre une grosse peine, perdant sa mère en 1852. Enfin, il est empêtré dans une mauvaise affaire : l’affaire Libri. On se rappelle cette histoire que l’on crut obscure et qui doit être claire. Libri était un membre de l’Institut, chargé de croix, de titres et d’honneurs, mais qui volait tranquillement dans les bibliothèques dont il devait inspecter les dépôts. Il fut découvert et condamné par défaut, ayant pris la fuite avec ses larcins. De Londres, il criait comme un diable que les faussaires étaient ses accusateurs et qu’il était innocent. On trouve encore dans les vieux papiers les brochures innombrables qu’il commettait. Mérimée était son ami et il était un ami solide. Il le défendit si fort qu’il emporta, à son tour, une condamnation. A cette époque, il purgeait sa prison où il étudiait le russe.
Le 1er janvier 1853, Napoléon III annonçait ses fiançailles avec Eugénie de Montijo, celle-là même que jadis Mérimée avait fait sauter, petite fille, sur ses genoux. Le mariage eut lieu le 29 janvier, après que Mérimée lui-même eut arrangé le contrat. Il ne pouvait plus être question pour le vieil ami de la nouvelle impératrice de bouder la nouvelle cour, ni pour la nouvelle cour de tenir éloigné le condamné de droit commun d’hier. Le 23 juin 1853, Prosper Mérimée était nommé sénateur d’Empire. Il conservait, presque à titre honorifique du reste, ses fonctions d’inspecteur des Monuments, mais sans en garder le traitement, sur sa propre demande.
L’attitude de Mérimée vis-à-vis de la cour impériale fut d’une correction absolue ; ses relations avec elle furent celles d’un ami plein de respect et du sentiment des convenances. Il était reçu aux Tuileries pour les réceptions officielles bien entendu, mais aussi à titre privé dans les petits appartements. Il était invité à Compiègne et à Biarritz plus tard. Auprès de l’impératrice, il animait le cercle intime et ne dédaignait même pas d’y faire le boute-en-train de quelques farces, d’y organiser de petites fêtes d’art ou de littérature. L’empereur, lorsqu’il imagina d’écrire sa Vie de César, demanda les conseils plutôt que les services de Mérimée qui connaissait bien la question.
Il est certain que Mérimée ne se courbait pas facilement. Il traitait l’empereur avec le cérémonial requis vis-à-vis d’un souverain, mais il ne le flagornait point et il gardait strictement son indépendance. Au Sénat, où il fut du reste un membre sans éclat et malheureux, il ne craignit point de s’opposer parfois au gouvernement. En 1854, l’empereur créa une commission qui avait pour fonction de préparer la publication de la correspondance générale de Napoléon Ier ; Mérimée en fit partie mais il n’était pas un admirateur passionné du premier de la dynastie ; il s’opposa aux désirs du prince Jérôme, président de la commission ; il eut des démêlés vifs avec le maréchal Vaillant : dix ans plus tard, la commission fut dissoute et remplacée par une autre où ne figuraient ni Mérimée, ni le maréchal, mais des gens plus souples, parmi lesquels Sainte-Beuve. On peut penser que l’échec de la première commission est dû en grande partie à l’indépendance de Mérimée.
Prosper Mérimée ne retira aucun avantage matériel de son amitié aux Tuileries. Bien au contraire, il lui sacrifia son activité littéraire. Il est bien vrai que ce n’est pas de 1862 que la veine de l’écrivain semble arrêtée, c’est de 1845 ; il est vrai que de plus en plus souvent Mérimée était malade, presque toujours soufrant, parfois cruellement. On ne peut toutefois pas affirmer que plus de liberté ne l’eût pas engagé à de nouveaux récits. ll est encore vrai que le caractère de Mérimée s’accommodait trop bien des servitudes de la société et du monde. Et il est vrai que Mérimée consacra, durant toute sa vie, beaucoup de temps au monde ; pendant le second Empire, ce temps pris sur les autres occupations devint plus grand encore.
Le 9 août 1870, Mérimée, écrasé par la défaite commençante contre la Prusse, se traîne auprès de l’impératrice-régente. Le 3 septembre, il va voir Thiers, son ancien ami, pour lui demander de sauver le régime en acceptant le pouvoir. Thiers obstinément reste froid. Le 4 septembre, l’émeute est dans Paris ; Mérimée mourant va occuper son siège au Sénat, parce que c’est sa place devant la révolution : la révolution se moque du Sénat qu’elle dédaigne pour ne s’en prendre qu’au Corps législatif et à l’Hôtel de Ville, réputés plus ingambes. Le 8 septembre, Mérimée s’en allait à Cannes où, depuis quelques années, il passait les hivers, d’où chaque fois il pensait ne pas revenir et où, quelques hivers plus tôt, il avait vu mourir son ami Victor Cousin. Le 23 septembre, il écrivait encore une lettre à Jenny Dacquin : deux heures après, il était mort.
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