LA FRANCE PITTORESQUE
Fantômes et revenants
du château d’Hardivillers (Oise) :
histoire d’une mystification
(D’après « Dictionnaire infernal, ou Bibliothèque universelle
sur les êtres, les personnages, les livres, les faits et les choses
qui tiennent aux apparitions, etc. » (Tome 1), édition de 1825)
Publié le vendredi 1er novembre 2024, par Redaction
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Du temps de la jeunesse de Louis XV, et chaque année vers la Toussaint, se manifestait à Hardivillers, terre de Picardie aux environs de Breteuil (Oise), un esprit que l’on disait être à l’origine d’un bruit effroyable, de hurlements épouvantables, le tout agrémenté de flammes qui faisaient paraître le château en feu. De nombreux témoins affirmaient avoir observé, vaquant à leurs occupations, d’anciens occupants des lieux, tant et si bien que le maître du château résolut de lever le voile sur un mystère préjudiciable aux bénéfices qu’il pouvait tirer de l’affermage.
 

Personne n’osait demeurer en cet endroit, hormis les fermiers, avec qui cet esprit était apprivoisé. Si quelque malheureux passant y couchait une nuit, il était si bien étrillé qu’il en portait les marques pendant plus de six mois. Les paysans des alentours voyaient mille fantômes qui ajoutaient à l’effroi.

Tantôt quelqu’un avait aperçu en l’air une douzaine d’esprits au-dessus du château ; ils étaient tous de feu et dansaient un branle à la paysanne ; une autre fois on avait trouvé dans une prairie des présidents et des conseillers en robes rouges, assis et jugeant à mort un gentilhomme du pays qui avait eu la tête tranchée il y avait bien cent ans. Un autre avait rencontré la nuit un gentilhomme, parent du maître du château, qui se promenait avec la femme d’un autre gentilhomme des environs ; on nommait la dame ; on ajoutait même qu’elle s’était laissé cajoler, et qu’ensuite elle et son galant avaient disparu.

Château d'Hardivillers (après sa reconstruction peu avant la Révolution)
Château d’Hardivillers (après sa reconstruction peu avant la Révolution)

Ainsi plusieurs personnes avaient vu, ou tout au moins ouï dire des merveilles du château d’Hardivillers. Cette farce dura plus de quatre ou cinq ans, et fit grand tort au maître du château qui était contraint d’affermer sa terre à très vil prix. Aussi résolut-il enfin de faire cesser la lutinerie, persuadé par beaucoup de circonstances qu’il y avait de l’artifice de quelqu’un en tout cela, et se rendit-il sur place vers la Toussaint. Il coucha dans son château, et fit demeurer dans sa chambre deux gentilshommes de ses amis, bien résolus, au premier bruit ou à la première apparition, de tirer dessus avec de bons pistolets.

Les esprits fuirent apparemment ces préparatifs, puisque pas un d’eux ne parut : ils se contentèrent de remuer des chaînes dans une chambre au-dessus de celle du propriétaire des lieux, au bruit desquelles sa femme et ses enfants accoururent, se jetant à genoux pour l’empêcher de monter dans cette pièce. « Ha ! monseigneur, lui criaient-ils, qu’est-ce que la force humaine contre des gens de l’autre monde ? Monsieur de Fécaucourt, avant vous, a voulu tenter la même entreprise, il en est revenu avec un bras tout disloqué ; Monsieur de Warselles pensait aussi faire le brave, il s’est trouvé accablé sous des bottes de foin, et le lendemain il en fut bien malade. »

Enfin ils alléguèrent tant de pareils exemples au président, que ses amis ne voulurent pas qu’il s’exposât à ce que l’esprit pourrait faire pour sa défense, ils en prirent seuls la commission : ils montèrent tous deux à cette grande et vaste chambre où se faisait le bruit, le pistolet dans une main et la chandelle dans l’autre ; ils ne voyaient d’abord qu’une épaisse fumée que quelques flammes redoublaient en s’élevant par intervalles. Ils attendirent un moment, et lorsque la fumée s’éclaircit, l’esprit parut confusément au milieu. C’est un grand diable tout noir qui faisait des gambades, et qu’un autre mélange de flammes et de fumée déroba encore à leur vue. II avait des cornes, une longue queue ; son aspect épouvantable diminua un peu l’audace de l’un des deux champions : « Il y a là quelque chose de surnaturel, dit-il à son compagnon ; retirons-nous. — Non, non, répondit l’autre ; ce n’est que de la fumée de poudre à canon, et l’esprit ne fait son métier qu’à demi de n’avoir pas encore soufflé nos chandelles. »

II avança à ces mots, poursuivit le spectre, le fixa pour lui lâcher un coup de pistolet, ne le manqua pas ; mais il fut tout étonné qu’au lieu de tomber, ce fantôme se retourna et se mit devant lui. C’est alors qu’il commença lui-même à avoir un peu de frayeur, mais se rassura toutefois, persuadé que ce ne pouvait être un esprit. Et, voyant que le spectre ne l’osait atteindre et évitait de se laisser saisir, il résolut de l’attraper pour voir s’il était palpable ou s’il fondrait entre ses mains.

Ruines du château d'Hardivillers au début du XXe siècle
Ruines du château d’Hardivillers au début du XXe siècle

L’esprit étant trop pressé, sortit de la chambre et descendit par un petit escalier qui était dans une tour ; le gentilhomme descendit après lui, ne le perdant point de vue, traversa cours et jardins, et fit autant de tours qu’en fit le spectre, tant qu’enfin ce fantôme étant parvenu à une grange qu’il trouva ouverte, se jeta dedans, et s’y voyant enfermé, aima mieux disparaître que de se laisser prendre, fondant contre le mur même où le gentilhomme pensait l’arrêter.

L’ayant vu ainsi disparaître, il appela du monde et se fit apporter de quoi enfoncer la porte de l’endroit où le spectre s’était évanoui ; il découvrit que c’était une trappe qu’on fermait au verrou après qu’on y était passé. II y descendit, trouva le fantôme sur de bons matelas qui l’empêchaient de se blesser quand il s’y jetait la tête la première. Il l’en fit sortir, et on reconnut sous son masque du diable le fermier du château. Ce qui rendait l’esprit à l’épreuve du pistolet était une peau de buffle ajustée à son corps. Le fourbe avoua toutes ses souplesses, et en fut quitte pour payer à son maître les arrérages de cinq années, sur le pied de ce que la terre était affermée avant les apparitions.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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