Surnommée l’aviatrice « la plus rapide du monde » en raison des brillants records de vitesse qu’elle avait battus, Hélène Boucher, âgée de 26 ans, servie par des dons rares de virtuosité et de courage joints à la plus charmante simplicité, venue à l’aviation par goût et passionnée de mécanique, se tue à Guyancourt lors de son entraînement presque quotidien
Dans son numéro du 1er décembre 1934, le journal Le Petit Parisien livre les circonstances de l’accident : Hélène Boucher, née à Paris le 23 mai 1908, s’était rendue au début de l’après-midi à l’aérodrome de Guyancourt pour y poursuivre les vols d’entraînement qu’elle effectuait depuis quelques jours. Et, ayant volé pendant deux heures, elle prenait, vers 16h10, un virage pour regagner le terrain d’aviation où elle se proposait d’atterrir.
A ce moment, selon le récit de spectateurs qui, à quelque distance, suivaient ses évolutions, l’appareil, qui était à une centaine de mètres de hauteur, sembla se trouver soudain en perte de vitesse. On le vit amorcer un « tonneau » ; puis le moteur pétarada. On eut l’impression que l’aviatrice venait de remettre tous les gaz dans l’intention de reprendre son appareil en mains et d’éviter la chute. Mais déjà l’avion glissait rapidement vers le sol en se retournant sur le dos et venait s’abattre dans le bois constitué par une propriété nommée « la Croix-du-Bois » et appartenant à M. Caillat, sur le territoire de Magny-les-Hameaux.
Aussitôt le chef mécanicien Richard, sautant dans une auto avec quelques aides, emportant une civière, gagnait l’entré de la propriété qui est inhabitée et, à travers les taillis coupés de vallonnements et de fossés, se mettait à la recherche de l’appareil. Il le découvrit enfin, dans la nuit qui tombait, à quelques mètres d’un grand chêne près duquel l’avion, en s’écrasant sur le sol, avait creusé un profond sillon. A 2 mètres du tronc du chêne, le train d’atterrissage gisait, arraché. Quelques pas plus loin, l’appareil, en morceaux, cassé en deux à la hauteur du siège, gisait, ayant une pale d’hélice cassée.
Et, écroulée dans son poste de pilotage, la jeune aviatrice, inerte, ensanglantée, ne donnait plus signe de vie. Ce fut un pauvre corps disloqué que l’on plaça, avec d’infinies précautions, sur la civière pour le transporter d’urgence à l’hôpital de Versailles. Les médecins s’empressèrent, mais leurs soins furent inutiles : Hélène Boucher avait succombé.
Dans ce même numéro du quotidien, Maurice Bourdet, rédacteur en chef de la radio généraliste Le Poste Parisien, brosse un rapide portrait de la célèbre aviatrice. Il explique que dès que la nouvelle se répandit, on se refusa d’abord à lui ajouter foi. Il semblait impossible, écrit-il, qu’Hélène Boucher nous quittât ainsi, à vingt-six ans, en pleine possession d’elle-même, mûre pour les beaux exploits qui l’attiraient comme un appât. Comment croire, ajoute-t-il, que certains êtres qui portent en eux une telle volonté de vivre puissent être mortels comme les autres ?
Timbre aux effigies des aviatrices Hélène Boucher et Maryse Hilsz émis en 1972 |
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Le visage d’Hélène Boucher composait tout un poème d’énergie et de défi, , qu’on la vît les cheveux au vent, sans les vains apprêts d’une coquetterie qu’elle ne recherchait pas, ou coiffée du casque de cuir, humant déjà le parfum de l’aventure et respirant le ciel... Femme, elle l’était par la grâce du sourire, le charme de l’accueil, la douceur de la voix, la courtoisie du propos. Mais on retrouvait bien vite en elle le pilote. Elle ne se sentait vraiment à l’aise que sur les aérodromes, dont l’atmosphère lui était celle d’un second foyer, où chacun l’aimait pour son courage et sa simplicité. Ce ne sont pas toujours deux vertus qui vont de pair...
Je la revois, poursuit Maurice Bourdet, près de son avion, à Vincennes, au moment de s’envoler pour disputer à Liesel Bach la palme acrobatique. Calme et joyeuse, elle interrogeait l’azur et son appareil à la fois. C’était, à chaque départ, la double conquête. Elle n’était pas de ceux qui ont pu faire de l’aviation une nécessité ou un devoir. Elle y croyait comme un plaisir autant qu’à une mission sacrée.
Sa vie en demeura la preuve. Elle passe en 1931 son brevet de pilote à Mont-de-Marsan. L’année suivante, elle devient pilote de transports publics. Elle n’attendra pas longtemps pour pénétrer dans la gloire par la grande porte. En août 1932, la voici recordwoman d’altitude. Elle était montée jusqu’à 5900 mètres. Quinze mois plus tard elle veut gagner Saïgon (actuelle Hô-Chi-Minh-Ville), échoue dans sa tentative.
Le Caudron C-450 d’Hélène Boucher |
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Elle ne se tient pas pour battue. Un magnifique voyage de retour lui vaut d’unanimes éloges. Au printemps de cette année, elle se rencontre avec Liesel Bach. En quatre semaines d’apprentissage, elle avait été consacrée virtuose de l’acrobatie. En août, enfin, elle bat les records du monde féminin et masculin de vitesse sur 100 et 1000 kilomètres et le record mondial de vitesse pure.
Il y a un mois (octobre 1934), écrit encore Maurice Bourdet, je la retrouvai à Lisbonne où elle était venue gracieusement participer au meeting organisé par Le Petit Parisien à la mémoire du capitaine d’Abreu. Son voyage avait été des plus rudes. Elle me l’évoquait avant-hier encore en riant. Mais l’avenir seul l’intéressait parce qu’on peut espérer toujours mieux. Elle ne croyait pas qu’à l’aviation on peut se contenter d’être soi-même. Hélène Boucher n’aura jamais cessé de chercher à se dépasser.
Elle meurt à vingt-six ans. C’est une étoile qu’on n’aurait jamais voulu voir descendre mais, puisque l’exigeait sa destinée, s’enfoncer dans le ciel et y disparaître, conclut le journaliste.
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