Ce n’est pas seulement dans les armes que nos ancêtres se sont rendus célèbres : leur réputation en politesse est un des plus beaux de leurs nombreux titres de gloire. Selon l’écrivain-éditeur François-Lubin Passard, cet art remonte aux origines de notre histoire, et notre renommée en la matière, aux Gaulois.
Voltaire a dit : « César, Agathias et d’autres disent que, de tous les barbares, le Gaulois était le plus poli. » Par barbares, il faut ici entendre étrangers. Les Romains appelaient barbares tous les peuples qui leur étaient étrangers, ce mot n’ayant pris sa signification actuelle que lors de la destruction de l’empire romain. Quant à la dénomination de Gaulois utilisée par Voltaire, il faut entendre à la fois les Gaulois et les Celtes : il convient d’insister sur ce point, César les ayant confondus ensemble, et tous les historiens depuis lui. Alexandre Dumas appelle la Celtique la partie la plus gauloise de la Gaule, ce qui veut dire que c’est plus particulièrement là, dans la Celtique, que régnait ce qu’on est convenu d’appeler l’esprit et le caractère gaulois.
Selon Passard, qui écrit au milieu du XIXe siècle, le mot Gaulois est identique à Belge, que tous les historiens disent signifier guerrier ; et à cause de cette identité, Gaulois signifie également guerrier. On lit dans le tome Ier de l’Histoire de France d’Henri Martin : « Dans le courant du IVe siècle avant J.-C., une puissante confédération de Kimris, les Belges, qui occupaient la rive droite du Rhin, franchirent ce fleuve comme avaient fait autrefois les compagnons de Hu, et envahirent le nord de la Gaule jusqu’aux Vosges, à la Marne et à la Seine. » A propos du mot Belge, Henri Martin ajoute en note : « Belg, Bolg, Volg, Belgiaidd, de bel, guerre, même radical que le bellum (belliqueux), Bellona des Latins. »
Le B, le G et le W permutant ensemble dans les langues celto-gaéliques, nos ancêtres, les Gaëls, improprement appelés Gaulois, se sont nommés, suivant la contrée qu’ils habitaient ou la forme qu’ils adoptaient tantôt Baëls, tantôt Gaëls, et tantôt Waëls, et c’est ainsi que Baël a donné naissance à baëlliqueux ou belliqueux (guerrier) ; Gaël a donné naissance à gallu qui, en gallo-kimrique (gallois de la principauté de Galles, en Angleterre), signifie bravoure, courage, et à galant qui, en anglais, signifie à la fois brave, courageux et galant ; Waël a donné naissance à waëllant ou vaillant qui, en français, signifie brave et courageux, et à ses dérivés waëllance ou vaillance, waëlleur ou valeur, etc.
Nous allons voir que nos illustres ancêtres paraissent avoir également donné leur nom à la gaëlanterie ou galanterie, non dans le sens défavorable que l’on prête quelquefois à ce mot, mais dans celui de courtoisie, d’aménité, de politesse et de bon ton.
On vient de voir qu’en anglais galant signifie à la fois brave, courageux et galant ; si nous suivons ce mot dans les différentes acceptions que nous lui donnons en français, on reconnaîtra que sa synonymie chez nous est peu éloignée de sa synonymie anglaise. Nous disons homme brave pour homme courageux et vaillant ; puis, en retournant la phrase, brave homme pour honnête homme, homme de bien, homme d’honneur, galant homme ; puis, en renversant encore ces deux derniers mots, homme galant pour homme de mœurs légères.
Ainsi le doute ne peut donc pas exister : outre que nos ancêtres ont donné leur nom à la bravoure, au courage, à la vaillance, ils l’ont aussi donné à la galanterie, c’est-à-dire à la courtoisie, à la politesse, au bon ton, etc. Et ce qui nous confirme dans cette opinion, c’est qu’à l’étranger on dit communément et sous forme proverbiale, d’un homme aimable, courtois et poli, empressé près des dames, qu’il est galant comme un Français, ce qui ne nous semble pas signifier autre chose que Gaulois (gaëlant) comme un Français.
Si on nous disait que c’est là une redondance, une superfétation, nous répondrions que les géographes disent bien la Gaule Belgique, lorsque Belgique signifie Gaule, et que c’est la Belgique qui est la Gaule propre, et non la Celtique qui n’était pas même gauloise, comme les savants l’ont cru et répété à tort depuis deux mille ans. Celte redondance, cette superfétation est même en quelque sorte une preuve ou au moins une forte présomption que la même chose a dû se produire pour gaël, gaëlant ou galant comme un Français.
La politesse française est si bien un héritage qui nous vient de nos ancêtres les Gaulois, que ce ne fut qu’au temps des croisades, lorsque la férocité des Francs se fut adoucie par le croisement avec le sang gaulois, que la noblesse française acquit cette réputation de courtoisie, de politesse et de galanterie qui lui a valu une si grande renommée dans le monde.
Depuis cette époque, la cour de France a toujours passé pour être la plus brillante et la plus polie de l’Europe. François Ier disait : « Une cour sans femmes est une couronne sans diamants. » Et Henri IV : « Je ne conçois pas qu’on manque de propreté et de politesse, puisqu’il ne faut qu’un verre d’eau pour être propre, et un coup de chapeau pour être poli. » Et Louis XVIII : « L’exactitude est la politesse des rois. »
L’époque la plus brillante de notre histoire, sous le rapport de la politesse, a été sans contredit celle du règne de Louis XIV. Nous croyons être agréable à nos lecteurs en plaçant sous leurs yeux l’anecdote suivante qui prouvera que celui qu’on a appelé le grand roi était fin connaisseur en cette matière. Voici ce qu’on raconte :
Louis XIV avait entendu vanter lord Stair comme un homme si bien élevé qu’il n’avait jamais commis la moindre impolitesse. Je le mettrai à l’épreuve, dit le monarque, qui s’y connaissait. A quelques jours de là, le roi invite lord Stair à une promenade ; la portière du carrosse ouverte : Montez, mylord, dit le prince. Mylord Stair obéit, il entre le premier. On ne se trompe pas, dit le roi, sur le caractère de cet homme-là ; un autre que lui eût fait des façons, et m’eût fort impoliment refusé par cérémonie.
C’est, qu’en effet la vraie politesse n’est point cérémonieuse, et les Turcs, qui, sous ce rapport, ne sont certainement pas des maîtres, disent cependant avec raison : « Les cérémonies peuvent être bonnes en enfer. » Nous disons dans le même sens : « Le cérémonial est la fumée de l’amitié. »
On ne doit pas oublier pourtant non plus que le sans-gêne, le sans-façon, est d’aussi mauvais ton que le cérémonial est prétentieux et éloigné de l’exquise politesse et du bon goût, et doit en rester banni. Bien des gens croient connaître la politesse lorsqu’ils n’en connaissent pas même les premiers éléments, qui, du reste, sont fort difficiles à connaître, si nous nous en rapportons au jugement de La Bruyère qui a dit : « L’on peut définir l’esprit de politesse, l’on ne peut en fixer la pratique ; elle suit l’usage et les coutumes reçues, elle est attachée aux temps, aux lieux, aux personnes, et n’est point la même dans les deux sexes ni dans les différentes conditions ; l’esprit tout seul ne la fait pas deviner, il fait qu’on la suit par imitation et que l’on s’y perfectionne. »
Citons à l’appui de cette opinion la leçon du bœuf, publiée au milieu du XIXe siècle :
« On dit de M. le comte de Nieuwerkerke qu’il est l’homme de ce siècle qui mesure le mieux ses gestes et ses discours au degré d’estime ou de considération qu’exige le rang de ses invités, et qu’il semble avoir reçu du prince de Talleyrand la leçon du bœuf. Mais qu’est-ce que la leçon du bœuf ?
« Un jour Talleyrand avait une douzaine de personnes à dîner. Le potage enlevé, il offre du bœuf à tous ses convives. Monsieur le duc, dit-il avec un air de déférence et en choisissant le meilleur morceau, aurai-je l’honneur de vous offrir du bœuf ? Monsieur le marquis, dit-il à un second avec un sourire plein de grâce, aurai-je le plaisir de vous offrir du bœuf ? Et à un troisième avec un signe d’affabilité familière : Cher comte, vous offrirai-je du bœuf ? À un quatrième avec bienveillance : Baron, acceptez-vous du bœuf ? À un cinquième non titré, noblesse de robe : Monsieur le conseiller, voulez-vous du bœuf ? Enfin, à un monsieur placé au bout de la table, le prince, montrant le plat de son couteau, cria, avec un mouvement de tête et un sourire bienveillant : Un peu de boeuf ? »
C’est l’Indépendance belge qui raconte cette histoire. Elle est bien jolie, dit, p. 38, l’Almanach du Voleur de 1860. Tout exagérée qu’elle est, cette anecdote n’indique pas moins qu’il y a des distinctions à faire, des nuances à observer et à saisir vis-à-vis des personnes avec lesquelles on peut se trouver en société, et cela suivant le rang que celles-ci occupent dans le monde.
Mais c’est surtout dans la conversation que l’homme du monde doit briller et c’est pour elle qu’il doit cultiver son esprit, car là il peut rencontrer des écueils contre lesquels il pourrait aller se briser. La Bruyère a dit : « Il faut très peu de fonds pour la politesse dans les manières ; il en faut beaucoup pour celle de l’esprit. » Cette pensée est confirmée par la suivante de Chateaubriand, qui a dit : « La conversation des esprits supérieurs est inintelligible aux esprits médiocres, parce qu’il y a une grande partie du sujet sous-entendue et devinée. »
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