On est en droit de se demander pourquoi, à l’instar de ce qui se passe aux États-Unis, des bibliothèques n’ont pas été installées dans les trains, écrit en 1939 le romancier et journaliste Pierre Chanlaine (1885-1969), qui nous vante les avantages, dans ces transports-ci, de la lecture sur tout autre moyen de se divertir
Quand l’administration des chemins de fer a manifesté la louable intention de distraire les voyageurs, elle a envisagé la danse et la radio. La danse est, certes, un plaisir agréable, quand les partenaires ne sont pas, l’un pour l’autre — ceci est un avis personnel — des inconnus, écrit Pierre Chanlaine dans le numéro du 11 février 1939 du quotidien L’Intransigeant.
Il m’a toujours, en effet, semblé choquant que deux êtres qui ignorent tout de leurs origines, de leur passé, de leurs sentiments réciproques, qui ne savent pas si, au bout de cinq minutes d’entretien, ils vont s’adorer ou se haïr, puissent s’enlacer, se serrer l’un contre l’autre au rythme d’un tango ou d’un boston-hésitation, poursuit-il. Si encore ces deux partenaires — j’allais écrire ces antagonistes — évoluent ainsi, dans un salon où les gens sont toujours un peu des amis — puisque, suivant la formule consacrée, ils sont les amis de nos amis — passe encore. Mais je ne puis arriver à comprendre qu’une femme d’un certain standing social accepte de danser avec un compagnon de train qui sera peut-être, demain, en prison ou au bagne.
Par ailleurs, renchérit Pierre Chanlaine, les couples ont besoin, pour évoluer, d’un certain confort. J’ai vu, c’est vrai, des gens danser sur un paquebot, malgré un effroyable roulis qui les envoyait contre les colonnes du salon et quelquefois à terre. Mais c’était là un jeu de sportifs. Il faut bien reconnaître que, la plupart du temps, on danse à bord aussi facilement qu’à terre. Dans un train, au contraire, chacun sait qu’il est impossible de longer le couloir d’un wagon sans être à chaque instant renvoyé d’un bord à l’autre.
En 1939, le romancier et journaliste Pierre Chanlaine suggère l’installation
de bibliothèques dans les trains. © Crédit illustration : Araghorn
La radio ? Elle n’a guère de succès. Les gens aiment l’entendre quand ils sont chez eux. Ils cessent d’y trouver de l’intérêt dès qu’ils se déplacent. L’essai fait à bord des taxis a été un fiasco. Celui qu’on a tenté dans les trains ne semble pas avoir eu plus de succès.
Ce qui, en fin de compte, séduit le plus le voyageur, c’est la lecture. Il ne s’engage jamais, pour un trajet, aussi court soit-il, sans avoir, au préalable, acheté, à la station de départ, des livres ou des journaux. Et, dès que le train s’est mis en marche, il se met à les lire avec un intérêt plus vif et plus soutenu que s’il était chez lui, à son bureau ou même dans un moyen de transport urbain. Peut être parce que la vitesse donne naissance — surtout dans les compartiments métalliques — à un bruit assez fort qui, en contraignant à élever la voix, gêne les conversations, le compartiment de chemin de fer stimule l’appétit de lecture des voyageurs.
Alors, s’interroge notre journaliste, pourquoi ne pas créer, dans chaque train, une bibliothèque ? Le voyageur pourrait ainsi s’alimenter en lecture en cours de route. Par ailleurs — et c’est fort important — il aurait le loisir de se renseigner ; il ne serait plus pressé de choisir, comme il l’est la plupart du temps, au départ ou au cours d’un arrêt dans une gare.
Enfin, la S.N.C.F. et les vendeurs de livres y trouveront leur compte. Je souhaite donc vivement que ce projet reçoive à brève échéance — et dans tous les cas pour les vacances — une solution. Nous sommes dans une époque où la crise de lecture s’intensifie. Il ne faut négliger aucun moyen de l’atténuer.
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