LA FRANCE PITTORESQUE
Traditions de Noël : bûche, sapin,
menu de réveillon et chants
(D’après « Le Petit Journal illustré », paru en 1934)
Publié le mardi 24 décembre 2024, par Redaction
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De la bûche de Noël à l’arbre emblématique que l’on connaît aujourd’hui, en passant par les menus jadis pantagruéliques du réveillon car succédant à une période d’abstinence, ou encore les chants traditionnels parmi lesquels le Noël du compositeur Adam, nombreuses sont les réjouissances et cérémonies marquant la Nativité ayant traversé le temps
 

Chaque peuple a les siennes. Sans doute, les citadins n’en ont guère conservé qu’une, celle du réveillon, parce qu’elle fournit l’occasion de joyeux festins ; mais les campagnards, plus fidèles au passé, n’ont pas encore laissé se perdre toutes les autres, écrit en 1934 Jean Lecoq dans Le Petit Journal. Et, presque partout, se retrouvent les mêmes symboles, les mêmes attributs allégoriques qui illustrent la poétique légende.

De ces attributs, le plus ancien est la bûche de Noël. Dans le Midi, jadis, on dressait la table du festin devant le foyer où pétillait une grosse souche d’olivier, toute enguirlandée de branches de laurier, que l’on nommait la cariguié. En pays berrichon — George Sand a rapporté cette tradition — la bûche de Noël, que l’on appelait la cosse de Nau, était un énorme tronc d’arbre qui devait briller trois jours entiers. On la déposait solennellement dans l’âtre, et le chef de la famille l’allumait au moment où sonnait la messe de minuit. On en conservait les cendres pour préserver la maison de la foudre.

La fête de Noël. Illustration extraite de Beaux jours et fêtes des petits enfants, par A. des Tilleuls (1881)

La fête de Noël. Illustration extraite de Beaux jours et fêtes des petits enfants,
par A. des Tilleuls (1881)

L’arbre de Noël
Quant à la tradition de l’arbre de Noël, il semble bien qu’elle soit d’origine alsacienne. Une description de la fête de Noël à Strasbourg, datant de l’année 1605, fait mention de l’arbre — du sapin illuminé et chargé de jouets et de friandises autour duquel les enfants dansaient des rondes en chantant les cantiques de la Nativité.

Au XVIIIe siècle, la coutume strasbourgeoise se répandit dans toute l’Allemagne, et de là, gagna les contrées du Nord : la Pologne, la Russie, le Danemark, la Suède et la Norvège. En Scandinavie, une touchante coutume se rattache à celle de l’arbre de Noël : c’est le « repas des oiseaux ».

Tous les êtres doivent avoir ce jour-là leur part de réjouissance et non seulement les animaux familiers, mais aussi les petits oiseaux du voisinage. L’arbre de Noël est planté dans la neige, devant la porte du logis, et on le saupoudre de grain. Aussitôt toute la gent ailée se précipite dans les branches du sapin symbolique et s’en donne à cœur joie de picorer. C’est pour elle, en cette rude saison, une rare bonne fortune... Mais ne trouvez-vous pas que cette coutume scandinave vaudrait d’être imitée partout ? Les petits oiseaux des autres pays, tous les petits oiseaux qui font la joie des champs et travaillent à leur fécondité ne devraient-ils pas, comme ceux de Suède et de Norvège, avoir leur petite part de bonheur en ce jour d’universelle charité ?

Les pays de l’Occident et du Midi furent plus lents à adopter la tradition de l’arbre de Noël. C’est en 1844 seulement que la duchesse Hélène d’Orléans l’acclimata à Paris. La même année, le prince Albert, mari de la reine Victoria, la mettait à la mode en Angleterre.

Aujourd’hui, il n’est plus de vraie fête de Noël sans le sapin décoré de fleurs, de guirlandes et de lumières, et portant, en guise de fruits, au bout de ses branches, les joujoux et les friandises qui font la joie des petits.

Mais Noël est bien plutôt l’occasion de cérémonies pantagruéliques que celle de réjouissances inspirées par la foi. Partout, d’ailleurs, la tradition de la bombance est celle qui s’est le mieux perpétuée. L’Angleterre et l’Amérique font, la nuit de Noël, une formidable consommation de dindes ; l’Allemagne se gorge d’oies et la France mange surtout du porc.

Un menu de réveillon
De temps immémorial, ces victuailles sont celles qu’on préfère pour le réveillon. À ce titre, le menu d’un festin de Noël offert à sa famille et à ses amis par un gros négociant d’Anvers, au XVIe siècle, l’illustre parfaitement. Vous allez voir qu’elles y figurent en bonne place.

On servit d’abord deux plats de « carbonates » — c’est ce que nous appelons aujourd’hui biftecks — plus un grand plat d’andouilles, de boudins, de cervelas et de saucisses sur un coulis de jaunes d’œufs et de moutarde fine ; puis encore deux jambons de Malines cuits dans du vin avec une sauce aux tomates ; ensuite un plat de côtelettes de porc frais aux oignons et, pour finir, deux cochons de lait avec une sauce au vin et au sucre...

Ce n’est que le premier service, durant lequel on ne but que de la bière d’orge. Au second service, il y eut des chapons, un très beau dindon rempli de truffes d’Espagne, un cygne farci aux ciboules et cuit à l’étuvée dans du vin du Rhin, deux oies aux châtaignes sur un coulis de chair à saucisse, un pâté de pieds de cochon, une salade au lard et... deux plats de pruneaux. On ne but avec tout cela que du vin de Hainaut, du vin de Liège, du vin du Rhin et du vin de Champagne.

Vous croyez qu’après tout cela on peut se lever de table ? Eh bien ! non. Les bons gargantuas de Flandre n’étaient point rassasiés. Il y eut un troisième service composé de poissons : huîtres, plats de raie, d’esturgeon, de turbot, une tortue à l’étuvée, des cuisses de grenouilles à la sauce aux oeufs, des moules au lait et, par là-dessus, des beignets, des ratons — des crêpes, si vous préférez — des tourtes chaudes, des neiges de crème. Avec tout cela, on but du vin d’Espagne.

Carte postale de 1906 illustrant le réveillon de Noël

Carte postale de 1906 illustrant le réveillon de Noël

Enfin vint le dessert : gaufres, gâteaux feuilletés, fromages de Brie et de Hollande, tartes aux conserves de coings, macarons, confitures sèches, gâteaux de riz et de gruau, figues sèches et dragées. Et l’on but force fiasques de vins de Grèce et d’Italie.

Voilà un festin vraiment plantureux. Nous ferions piteuse mine, nous autres, devant cette avalanche de mets plus indigestes les uns que les autres. Mais il faut dire pour expliquer le grand appétit des réveillonneurs anversois qui firent honneur, il y a cinq siècles, à ce formidable menu, qu’à cette époque, la fête de Noël succédait à une longue période d’abstinence. Ces braves gens avaient un arriéré à rattraper : ils mettaient les bouchées doubles.

Le Père Noël
Il est encore, de par le monde, bien des foyers où, la veille de Noël, les petits enfants, tout émus d’espérance et de convoitise, déposent leurs souliers devant l’âtre afin que le Père Noël y dépose en passant le jouet souhaité. Malheureusement, cette tradition-là a souvent subi l’assaut des gens ennemis de toute grâce et de toute poésie. Ainsi, le chroniqueur Jean Lecoq rapporte qu’en 1933, on signalait une maîtresse d’école qui avait cru faire preuve d’une belle supériorité d’esprit en déclarant, en pleine classe, à ses élèves, des petites filles de huit à dix ans, que le Père Noël n’existait pas et qu’il ne fallait pas y croire.

Or, cette institutrice commettait là une vilaine action, explique Jean Lecoq : elle se rendait coupable d’un véritable vandalisme. Attenter à l’innocence de l’enfant, lui enlever ses petites croyances naïves au surnaturel, c’est détruire en lui ce qu’il y a de plus pur et de plus beau. Les petits connaîtront bien assez tôt la vérité cruelle. Laissons-leur le plus longtemps possible l’innocence de leur petite âme fragile ; laissons-leur la douceur du rêve : assez tôt viendra la triste raison.

Il y a quelques années, rapporte encore le journaliste, un brave homme de sénateur de l’État de Kansas, outré de voir qu’en Amérique aussi il se trouvait des éducateurs assez sots pour essayer de saper ces jolies croyances de l’enfance, avait déposé un projet de loi proposant de frapper d’une amende de trois mille francs tout adulte qui aurait tenté de faire croire à un enfant que le Bonhomme Noël n’existe pas. Il avait bien raison, ce digne sénateur américain : la loi protège bien les chefs-d’œuvre de l’art, les merveilles de la nature, pourquoi ne protégerait-elle pas l’âme de l’enfant, cette fleur douée d’intelligence ?

« Minuit, chrétiens... »
Une tradition de Noël qui s’est presque complètement effacée au cours des âges, c’est celle des chants de la veillée, des « Noëls » pittoresques et ingénus que l’on répétait jadis en chœur au coin du feu. Le « Noël », c’était le type même de la littérature populaire : il avait l’allure familière et l’accent de piété sincère qui caractérisent la joie naïve du temps passé. Le recueil de ces « Noëls » est une mine pour tous les amateurs de folklore, pour tous ceux qui s’intéressent aux langages d’autrefois et aux vieilles mœurs de nos provinces.

Mais si l’on ne chante plus guère les vieux Noëls, ce n’est point à dire que les cantiques nous manquent pour les cérémonies de la Nativité. Nous en avons encore, et de très beaux, depuis la jolie chanson Il est né le divin enfant, jusqu’au plus célèbre de tous, le Noël d’Adam, ce chant sublime dont Lamartine disait qu’il est une véritable « Marseillaise religieuse ».

Ce Noël, tout le monde en sait par cœur la mélodie, d’un rythme si large et si pur, et la première strophe, dont l’inspiration est vraiment d’un poète. Mais qui en connaît l’origine ? Rappelons-la donc en terminant.

Au mois de décembre 1847, un ingénieur nommé Eugène Laurey, acccompagné de sa femme, se trouvait à Roquemaure, dans le Gard, où l’on construisait, sous sa direction, un pont sur le petit bras du Rhône qui arrose ce bourg. Tous deux étaient souvent les hôtes d’un habitant de la localité, Placide Cappeau, négociant en vins, qui charmait ses loisirs en rimant des poésies, tantôt en français, tantôt dans le dialecte de la province.

Un soir, Cappeau leur donna lecture d’un poème sur Noël qu’il avait composé :

Minuit, chrétiens, c’est l’heure solennelle
Où l’homme-Dieu descendit jusqu’à nous...

Quand il eut fini, chacun s’extasia. Et le curé du bourg, qui se trouvait là, s’écria : « Il faudrait mettre ces beaux vers en musique et les chanter à la messe de minuit. » Or les Laurey étaient amis d’Adam, le compositeur, dont Mme Laurey se plaisait à chanter les oeuvres. Ils lui envoyèrent le poème de Cappeau en le priant de le mettre en musique. Le compositeur déféra à son désir. Bien qu’il fût alors malade, obligé de garder le lit, il écrivit l’hymne et l’envoya sans tarder à Roquemtaure. Mme Laurey le chanta la nuit de Noël à l’église du village, et tous ceux qui l’entendirent en furent profondément impressionnés.

Célébrations de Noël. Peinture de Franz Doubek (1909)

Célébrations de Noël. Peinture de Franz Doubek (1909)

Adam qui, contrairement à ce qu’ont prétendu certains critiques musicaux. était l’homme du monde le plus désintéressé, avait fait cadeau du Noël à l’un de ses élèves. Celui-ci le vendit — pas cher — à un éditeur. Mais, pendant plusieurs années, l’œuvre demeura ignorée du public parisien. C’est Faure, le célèbre baryton de l’Opéra, qui la découvrit un beau jour et l’interpréta à la messe de minuit à la Madeleine.

Ce fut une révélation. Tous les artistes en renom voulurent dès lors avoir le Noël d’Adam à leur répertoire. Et c’est, depuis ce temps-là, le cantique traditionnel qui retentit sous les voûtes de toutes les églises et qui émeut toutes les âmes chrétiennes la nuit de la Nativité.

Adam, lorsqu’il l’écrivit, ne semble pas avoir eu conscience de la valeur de son oeuvre et pourtant, comme le disait Xavier Aubryet, ce jour-là : « Sa musique eut la foi. » Quant à Placide Cappeau, il ne songea pas plus que le musicien à tirer profit de ses vers. Il connut pourtant la popularité de son Noël, car il vécut encore un quart de siècle après l’époque où l’œuvre fut pour la première fois chantée à Roquemaure. Adam, lui, était mort peu d’années après qu’il eut composé le Noël. Il n’en avait pas connu le succès et n’en avait tiré aucun profit.

Jusqu’en 1919, ses héritiers seuls touchèrent des droits sur les exécutions du Noël. Ceux de Placide Cappeau se décidèrent seulement alors à réclamer leur part. Et c’est un fait plutôt singulier et de nature à étonner notre époque de sens pratique et d’âpreté au gain que cet exemple de désintéressement, d’insouciance même, donné à la fois par les deux auteurs d’un chef-d’œuvre dont ni l’un ni l’autre n’avaient prévu le succès.

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