À Anglet, sur la côte basque, le cimetière du couvent Saint-Bernard est assez étonnant. Ici pas de pierres tombales, de noms ni d’épitaphes, mais de simples tombes en sable, toutes identiques...
Lorsque l’on pénètre dans ce cimetière de sable, situé au cœur du domaine du couvent Saint-Bernard, en périphérie d’Anglet, on se retrouve dans une atmosphère calme et paisible. Loin du tumulte de la côte basque et de ses touristes, pourtant si proches, le visiteur se retrouve plongé dans le silence à peine troublé par le bruit des vagues, au milieu des pins et l’odeur des embruns.
Devant lui, une série de tombes alignées, toutes simples. Un monticule de sable pour seule pierre, surmontée de coquilles Saint-Jacques formant une croix. Pas de noms, pas de fleurs... Ici reposent près de 360 religieuses de Notre-Dame du Refuge, une institution créée par l’abbé Louis-Édouard Cestac.
Le cimetière de sable se trouve à côté du couvent des Bernardines, fondé en 1851 à Anglet |
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L’histoire commence en 1836, quand ce jeune prêtre basque, choqué par la misère des gamines orphelines livrées à elles-mêmes dans les faubourgs de Bayonne, essayant de subsister en ramassant quelques bouts de bois et de chiffon et en les revendant... Il crée d’abord un orphelinat, qui accueille également très vite jeunes femmes prostituées, qui vendent leur corps sur le port de cette ville de garnison et qui désirent quitter le trottoir.
« Même si elles étaient séparées et n’avaient aucun contact, cela a été très mal perçu par la population bien-pensante de Bayonne ! Imaginez, faire cohabiter des petites filles et des prostituées était vu comme une monstruosité, explique sœur Maye Duhalde, responsable régionale du site et administratrice de l’association Père Cestac. À l’époque, on cachait les prostituées, on les enfermait ! »
La création de Notre-Dame du Refuge
À la recherche d’une solution de repli, l’abbé Cestac tombe par hasard, en visitant à un malade, sur une demeure à vendre du côté d’Anglet, alors en pleine campagne. En découvrant les lieux, il tombe, accroché au mur d’une chambre, sur un portrait de Marie-Madeleine, la sainte-patronne des prostituées.
« Ce fut un signe pour lui, poursuit sœur Maye Duhalde. Il s’est dit que c’était une volonté divine et que, même sans argent, il achèterait ce lieu à crédit, en remboursant le prêt avec le fruit du travail de la communauté. » En 1839, quatorze prostituées souhaitant quitter leur condition arrivent à Notre-Dame du Refuge. Elles sont accueillies par le père Cestac aidé de bénévoles, qui leur apprennent à lire et à écrire.
La congrégation compte encore cinq Bernardines, qui consacrent leur vie à la prière et au travail dans la solitude. © Crédit photo : Gautier Demouveaux |
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Rapidement, l’établissement reçoit plus d’une centaine de filles qui se retrouvent dans cet endroit en pleine campagne. « Le père Cestac a voulu un endroit spacieux, sans murs, sans clôture. On l’a traité de fou car on lui disait que ces filles indépendantes ne voudraient pas travailler, qu’elles chercheraient à s’échapper. Il répondait : Marie va les garder, et si elles veulent s’en sortir elles resteront ! » raconte sœur Louisette Etchart.
Pour subvenir au besoin de la communauté, bénévoles et pensionnaires cultivent la terre et effectuent des travaux de blanchisserie. « L’idée du père Cestac était de faire découvrir à ces filles les capacités qu’elles avaient en elles et qu’elles pouvaient développer au contact de la terre, au grand air. Ajoutez à cela l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, cela permettait à ces femmes de devenir autonomes et d’être capables de gagner leur vie par la suite. »
Les Silencieuses du sable
Dès 1841, sous les conseils de l’évêque de Bayonne, l’abbé Cestac avait créé une congrégation religieuse, les Servantes de Marie, afin de donner un statut à ses bénévoles. « Certaines des filles qui voulaient fuir la prostitution ont elles aussi eu rapidement des velléités de vocation religieuse, précise sœur Maryse Narbaitz, la mère supérieure du couvent des Bernardines. Elles souhaitaient vivre en silence et en solitude, à la manière des Trappistes, sous la règle de Saint-Bernard. »
Les tombes sont confectionnées en sable, en signe d’humilité, sur lesquelles n’apparaît aucun élément d’identification. Seule une croix formée par des coquilles Saint-Jacques est visible sur chaque sépulture. © Crédit photo : Gautier Demouveaux |
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Et c’est au milieu des dunes, en travaillant la terre, que ces femmes ont décidé de consacrer leur vie à Dieu. Connaissant leur passé dans la rue et sachant la vie monastique difficile, le père Cestac est d’abord réticent, mais face à leur foi et leur volonté, il cède finalement en créant une branche contemplative à sa congrégation : les Bernardines, ou Silencieuses de Marie. En 1851, le couvent Saint-Bernard est donc construit à son tour. Et c’est à côté que le cimetière de sable est créé trois ans plus tard, à la demande d’Élise Cestac, la sœur de l’abbé, qui souhaitait être enterrée sur place.
C’est ici que reposent les premières défuntes de la congrégation : d’anciennes bénévoles, souvent issues de familles bourgeoises, et d’anciennes prostituées, rassemblées ensemble, sans distinction. « Le sable était le matériau le plus commun ici, explique sœur Louisette Etchart. Il y a aussi cette idée de simplicité et de dépouillement, d’égalité face à la mort. »
Une tradition qui perdure encore aujourd’hui. Soumises aux intempéries, les sépultures se dégradent naturellement, formant peu à peu des tertres aux formes imprécises. Chaque année, un peu avant Pâques, les sœurs sont aidées par les jeunes des aumôneries de la région pour les remettre en état.
Gautier Demouveaux
Ouest France
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