Bien avant Catherine ou Marie de Médicis, les reines ont joué un rôle essentiel pour la Couronne, non seulement parce qu’elles portaient les destinées de la dynastie, mais encore parce qu’elles incarnaient la majesté royale. Murielle Gaude-Ferragu redonne ici une mémoire à ces reines oubliées et s’interroge sur la véritable nature de leur pouvoir au sein de la cour et du royaume de France.
En septembre 2004, l’analyse des restes d’Agnès Sorel par une équipe de vingt-huit chercheurs dirigée par le docteur Philippe Charlier, paléopathologiste, a fait grand bruit. Il s’agissait de savoir si la célèbre maîtresse de Charles VII, décédée prématurément en février 1450, avait été empoisonnée. L’enquête fut menée lors du transfert de sa tombe du château royal de Loches à la collégiale Saint-Ours.
À partir de prélèvements effectués sur des cheveux de la défunte, les scientifiques ont retrouvé une énorme quantité de mercure, dont l’absorption avait entraîné une mort rapide. Le geste était probablement accidentel puisque la Dame de Beauté suivait un traitement pharmaceutique à base de sels de mercure contre un parasite intestinal, mais la piste criminelle fut évoquée tant les doses étaient importantes. Dès 1450, des rumeurs d’assassinat avaient aussi parcouru la cour de France ; aucune preuve décisive ne venait les étayer, d’autant que le « crime de poison » était toujours évoqué en cas de mort brutale.
Quoi qu’il en soit, le nom d’Agnès Sorel, réputée belle, intelligente, douée d’un réel sens politique, qui influença à diverses reprises le gouvernement de Charles VII, est ancré dans la mémoire nationale. Le célèbre portrait que Jean Fouquet fit d’elle après sa mort exalte aussi son souvenir. De manière exceptionnelle, la jeune femme y est peinte sous les traits d’une Vierge couronnée, tenant l’Enfant Jésus sur ses genoux, coiffée à la dernière mode et le corsage délacé.
La reine au Moyen Age : le pouvoir au féminin XIVe-XVe siècle, par Murielle Gaude-Ferragu |
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À la différence de son encombrante rivale, l’épouse de Charles VII, Marie d’Anjou, « reine sans gloire », reste dans l’ombre de l’Histoire. Elle n’est pas la seule. La plupart des souveraines des XIVe et XVe siècles sont tombées dans l’oubli ; à l’exception des historiens, qui connaît aujourd’hui les noms de Clémence de Hongrie, de Jeanne de Bourgogne, de Jeanne d’Évreux, de Jeanne de Bourbon et de Charlotte de Savoie ?
Seules deux reines de cette période nourrissent encore la production historique : Isabeau de Bavière et Anne de Bretagne, l’une par le rôle politique qu’elle joua lors de la guerre civile et de la signature du traité de Troyes (1420) — elle devint celle qui avait vendu le royaume de France aux Anglais —, l’autre par son statut mythifié de dernière duchesse de Bretagne, qui, jusqu’au bout, se serait battue pour maintenir l’indépendance de sa principauté.
Accentuant encore l’oubli dans lequel ces reines sont tombées, aucun portrait de cour ne les met sur le devant de la scène historique. On est bien loin du superbe cycle iconographique commandé en 1622 par Marie de Médicis à Rubens pour orner son palais du Luxembourg à Paris, où la souveraine fit mettre en scène, pour la postérité, sa majesté triomphante. Il est vrai qu’en France le portrait de chevalet fut longtemps réservé aux seuls monarques (jusqu’au règne de Charles VII), mais, pour le reste du XVe siècle encore, leurs épouses furent rarement représentées.
A contrario, on conserve, pour la même période, plusieurs tableaux de « femmes de pouvoir », tels ceux représentant Anne de Beaujeu, fille de Louis XI et duchesse de Bourbon, ou ceux figurant Isabelle de Portugal, duchesse de Bourgogne, épouse du grand duc d’Occident, Philippe le Bon.
Loin d’être une série de biographies, La Reine au Moyen Age reconstitue la vie quotidienne de l’épouse royale et sa place au sein de la cour. L’historienne montre la genèse progressive d’un « métier de reine » qui exclut l’autorité politique, alors qu’au Moyen Age central, la reine pouvait occuper une position de pouvoir effective. C’est ici que le genre, qui interroge le rapport -entre masculin et féminin, est essentiel : d’une situation où la reine, jusqu’à la fin du XIIe siècle, pouvait parfois être directement associée au gouvernement royal, émergent dans le royaume de France deux pôles opposés.
Le roi est désormais seul pourvu des attributs de la souveraineté, tandis que la reine occupe une fonction spécifique, celle de médiatrice, sur le modèle de la Vierge, qui peut exercer le pouvoir à l’occasion d’une régence, être enterrée à Saint-Denis ou jouer un rôle crucial dans le mécénat et les cérémonies, mais dont l’influence reste limitée et, surtout, informelle. À la différence de l’Angleterre, cette opposition, construite à partir du XIIIe siècle, marque durablement la royauté française et tient les femmes à l’écart du trône de France, ce dont la redécouverte de la loi salique (qui les exclut de la succession), au XIVe siècle, n’est pas la cause mais la conséquence.
Murielle Gaude-Ferragu est maître de conférences à l’université de Paris 13 Sorbonne-Paris-Cité et membre junior de l’Institut universitaire de France. Elle a consacré ses recherches aux princes à la fin du Moyen Age et plus largement au pouvoir et à ses représentations. Elle est l’auteur de D’or et de cendres (2005).
INFORMATIONS PRATIQUES :
La reine au Moyen Age : le pouvoir au féminin, XIVe-XVe siècle, par Murielle Gaude-Ferragu. Éditions Tallandier. 350 pages. Format 12 x 18 cm (poche). 10 euros. ISBN : 979-1-021031227. Paru en février 2018 |
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