LA FRANCE PITTORESQUE
Loteries : naissance et histoire
(D’après « Dictionnaire encyclopédique de la France »
(par Philippe Le Bas), Tome 10 paru en 1843)
Publié le dimanche 3 juin 2018, par Redaction
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Connu des Romains, ce jeu de hasard est dans un premier temps institué par François Ier pour renflouer le Trésor royal puis parer à la prolifération sans contrôle de jeux d’argent et l’usage pernicieux en résultant, avant d’être prohibé, de sombrer dans l’oubli, puis que Louis XIV ne le réhabilite pour financer les fêtes données à Versailles et pour autoriser certains établissements, civils comme religieux, à mettre en oeuvre leurs propres loteries
 

Cette espèce de jeu de hasard, dont le nom dérive du vieux mot lot (qui se retrouve dans les mots alleu, allodium, lods et ventes — droit pécuniaire que l’on payait au seigneur pour la mutation de la censive, c’est-à-dire quand l’héritage changeait de mains par une vente ou par un acte équivalent à une vente —, etc.), était connu des Romains ; mais l’usage n’en fut introduit en France que vers 1520, à la suite des guerres d’Italie. Ce jeu s’appela d’abord blanque, du nom bianca que les Italiens lui donnaient, parce que les billets non gagnants étaient blancs, et, lors du tirage, désignés à haute voix par le mot bianca.

La loterie ne fut primitivement en France qu’une manière de faire le commerce pour des marchands ou des particuliers qui voulaient se défaire de leurs marchandises ou de quelque objet de prix. Plus tard, les guerres désastreuses de François Ier ayant épuisé ses ressources, on lui proposa de créer une loterie, sur les fonds de laquelle il prélèverait un droit. Ce projet fut approuvé ; et le roi, par des lettres patentes datées du mois de mai 1539, créa une loterie royale.

Une loterie royale en 1681. Gravure parue dans le Mercure galant de mai 1681

Une loterie royale en 1681. Gravure parue dans le Mercure galant de mai 1681

De ces lettres il est intéressant d’extraire de ces lettres le passage suivant : « Comme de la part de certains bons et notables personnages de notre royaume, nous ait été dit, remontré et donné à entendre que plusieurs nos sujets tant nobles, bourgeois, marchands qu’autres, enclins et desirans jeux et ébatemens, se sont souventefois, à faute de jeux honorables, permis ou mis en usage, appliquez par cy-devant et s’appliquent encore à plusieurs autres jeux dissolus, en telle sorte et obstination que les aucuns y ont consommé et consomment tout leur temps, délaissans par tels moyens toute œuvre et labeur vertueux et nécessaire ; les autres tous leurs biens et substances, etc. et que pour faire cesser lesdits inconvéniens, et abolir et eloigner l’usage pernicieux dont ils ont procédé et procèdent, ne se trouveroit meilleur moyen que de permettre et mettre en avant quelques autres jeux et ébatemens, esquels Nous, nosdits sujets et chose publique, ne pussent avoir ne recevoir aucun intérest ; nous proposons entre autres celuy de la blanque, longtemps permis ès villes de Venise, Florence, Gennes, et autres villes et citez bien policées, fameuses et de grandes renommées, avec conditions honnestes et louables, statuts et ordonnances, et articles utiles et nécessaires pour l’entretenement d’icelle, pour obvier à tous abus et calomnies ; nous requérant et suppliant très-humblement... qu’il fust par Nous permis à l’un des habitans de ladite ville de Paris de faire ladite blanque en la manière qui s’ensuit.

« C’est à sçavoir que dorénavant il luy loise, et à tous autres soit inhibé et défendu, de faire crier et publier toutes les fois que bon luy semblera, et qu’il aura des bagues et joyaux d’or et d’argent non monnoyé, or et argent monnoyé et autres marchandises, dont il fera montre publique, qui seront délivrez à toutes personnes ausquelles par sort et bonnes fortunes ils écherront dedans deux mois inclus, à compter du jour de ladite publication, iceux faire priser et estimer par gens à ce connoissans, jurez et à ce députez ; que toutes personnes, fors mendians et misérables, seront reçues à bailler leurs devises, en fournissant au facteur et maître d’icelles, pour chacune devise, un teston valant dix sols six deniers pièce, lesquelles devises seront enregistrées par deux personnages aussi à ce connus, et d’icelles seront délivrées ausdits personnages billets de chacune devise cottez par le nombre de leur enrôlement, signez desdits commis et dudit maistre acteur de blanque ; lequel, incontinent qu’il aura reçu la valeur desdits joyaux et marchandises, fera extraire dudit registre autant de billets qu’il aura de devises enrôlées, lesquelles il fera signer par lesdits commis, et seront mis en un vaisseau pour ce ordonné, et autant de billets ou partie desquels seront écrits les lots des joyaux et marchandises nommez bénéfices, signez desdits commis et dudit maistre facteur, et le surplus et le reste seront blancs et sans écritures ; tous lesquels blancs et bénéfices ensemble seront mis en un autre vaisseau à ce aussi ordonné ; et au jour qui aura esté publié, la traite desdits bénéfices en un certain lieu public, et déclaré sur un échafaut élevé de terre de hauteur compétente, seront apportez lesdits deux vaisseaux, et en chacun d’eux particulièrement mêlez lesdits brevets et billets au vu du peuple, puis tirez par innocence un brevet d’un vaisseau et un billet de l’autre ensemblement ; et à ceux qui auront rencontré bénéfice sur leurs devises, iceux bénéfices délivrez au jour qui aura esté publié pour ce faire en l’hostel et boutique dudit maistre, en rapportant par eux à iceluy maistre et facteur les brevets extraits de son enrôlement ; et que ceux qui n’y viendront ledit jour, leurs bénéfices leur seront perdus jusqu’à un mois après, à compter du jour de ladite traite, etc. »

Les loteries tirées par permission du roi pour le bien public et le soulagement des hôpitaux. Gravure parue dans le Grand Almanach de 1706

Les loteries tirées par permission du roi pour le bien public et le soulagement des hôpitaux.
Gravure parue dans le Grand Almanach de 1706

Cette loterie resta ouverte pendant deux ans ; et, comme les billets ne se plaçaient pas, le roi, par une déclaration du 24 février 1541, abaissa le droit royal, qui était de dix sous six deniers pour chaque billet. On ne sait pas si elle fut alors tirée. Quoi qu’il en soit, on ne donna aucune suite à cette institution.

Pendant la minorité de Charles IX, un particulier, qui avait obtenu à cet effet, des lettres patentes, ouvrit une loterie, dont l’objet était la vente d’une montre en or. Mais, par un arrêt du 23 mars 1563, le parlement condamna l’entreprise, et, en 1598, un nouvel arrêt annula tous les privilèges de ce genre. En 1573, le procureur général fut chargé de faire saisir « une loterie permise et ouverte en la ville de Soissons à la ruine des habitans d’icelle. »

Diverses autres entreprises du même genre n’eurent pas un meilleur sort, jusqu’au moment où, en 1656, Mazarin accorda des lettres patentes pour l’établissement d’une loterie proposée par l’italien Tonti — ’inventeur de la tontine, sorte d’épargne permettant de jouir d’une rente viagère —, dans le but de reconstruire en pierre le pont de bois qui existait entre les galeries du Louvre et le faubourg Saint-Germain, et qui venait d’être brûlé. Cette loterie n’eut aucun succès.

Deux ans plus tard, une société se forma pour la vente de marchandises par loteries ; mais les six corps des marchands s’étant opposés à l’enregistrement des lettres patentes obtenues par elle, le parlement, par un arrêt du 16 janvier 1658, fit droit à leur opposition. Louis XIV mit les loteries à la mode dans les fêtes brillantes qu’il donnait à Versailles. Il se servit de ce moyen pour gratifier ses maîtresses et ses courtisans de lots précieux qui ne lui coûtaient rien. Une loterie publique, qui avait été établie momentanément à l’époque du mariage de ce prince, avait tellement développé le goût des jeux de hasard chez la nation, que lorsque cet établissement fut supprimé on recourut aux loteries étrangères et clandestines.

Enfin, en 1700, un arrêt du conseil d’État ordonna l’établissement, à l’hôtel de ville de Paris, d’une loterie royale « de dix millions de livres de capital, qui devaient produire cinq cent mille livres de rentes viagères au denier vingt, lesquelles seraient distribuées en plusieurs lots, dont les plus forts étaient de vingt mille livres de rente, et les moindres aussi de trois cents livres de rente. »

Maison de jeu au XVIIIe siècle. Gravure de William Hogarth (1697-1764)

Maison de jeu au XVIIIe siècle. Gravure de William Hogarth (1697-1764)

Depuis cette époque, Louis XIV et Louis XV accordèrent souvent l’autorisation d’ouvrir des loteries à des établissements civils et même religieux, comme pour la construction de Saint-Sulpice en 1721. Ce fut de ce moyen que se servit le débauché lieutenant général de police d’Argenson, pour obtenir des supérieures de couvents la faculté de choisir des maîtresses parmi leurs religieuses. En 1776, par arrêt du conseil d’État du 30 juin, toutes les loteries furent supprimées ; mais on en créa en même temps une nouvelle sous la dénomination de loterie royale de France. Elle se tirait deux fois par mois, et produisait à l’Etat un revenu annuel de dix à douze millions.

Le 16 novembre 1794, la Convention supprima les loteries comme immorales. Sous le Directoire, le 30 septembre 1797, la loterie fut rétablie, et elle reçut sous l’empire une grande extension. Cinq roues furent successivement établies à Bruxelles, Bordeaux, Strasbourg, Lyon et Paris. À l’époque de la Restauration, la roue de Bruxelles fut transférée à Lille. Enfin, après diverses modifications, la loterie fut totalement abolie le 1er janvier 1839.

La Loterie nationale française, ancêtre de La Française des Jeux, renaîtra en 1933.

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