De ce que Louis XI avait passé en Flandre les dernières années de la vie de son père, de ce que les seigneurs flamands tinrent à honneur de le ramener dans son héritage à grand triomphe, traînant après eux toute leur maisonnée, domestiques, femmes, enfants, et jusqu’à leur vaisselle, l’entrée du nouveau roi à Reims et à Paris fut comme une exhibition des produits de l’industrie belge. Les modes firent surtout merveilles, et celles des dames encore plus que celles des hommes, parce qu’elles s’éloignaient davantage du goût français.
La duchesse de Bourgogne, Portugaise de naissance, y avait introduit les façons de son pays. Les queues des robes supprimées, les manches larges comme des sacs et assujetties aux poignets, les manteaux en forme de capes à collet montant, la ceinture remise à la taille au lieu d’être portée sous les seins, les taillades, déchiquetures et guipures multipliées à profusion, telles étaient les nouveautés qui allumèrent la convoitise des dames françaises. Mais nous avons vu que Louis XI n’était pas homme à encourager, sous quelque forme que ce fût, l’invasion étrangère. Loin de pousser à l’imitation flamande, il l’interdit dans sa maison. Cela fit que les femmes de la cour continuèrent de porter l’habit du temps de Charles VII, tandis que de simples bourgeoises se mirent à la mode de Bruges et de Gand.
Réception d’une grande dame et de sa suite à la cour de Charles le Téméraire |
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Dire que le costume féminin du temps de Charles VII se maintint sous Louis XI, ce n’est pas exclure toute idée de modification introduite dans ce costume. Il changea, mais sans déroger à son principe. Ainsi, par exemple, la robe traînante, au lieu d’être garnie de fourrure par le bas, le fut plus généralement d’un large velours ; le collet renversé ou rebrassé, qui n’avait procuré d’abord qu’une échancrure du corsage sur la poitrine, en procura une seconde dans le dos ; la ceinture de velours acquit la largeur de deux travers de main, devenant par le fait un véritable corset ; le chapeau hennin ou se fendit de devant en arrière comme une mitre d’évêque, ou s’allongea en pointe comme un cône entier, de cône tronqué qu’il était. Le couvre-chef devint un long voile qui pendait de l’extrémité du hennin jusque sur les talons, et pour cette cause se ramenait en marchant sur l’avant-bras ; en outre on ajusta sur le devant de la coiffure une passe en linon empesé, qui formait comme une visière sur le front. Pour la chaussure, on continua de porter des souliers pointus montés sur des galoches.
Les traits satiriques contre la toilette des dames n’abondent pas moins sous le règne de Louis XI qu’aux époques antérieures. Prédicateurs, moralistes et poètes tonnent ou s’égayent à propos des innovations les plus innocentes. « La tête, s’écrie un cordelier, la tête qui soulait être cornue, maintenant est mitrée en ces parties de France. Et sont ces mitres en manière de cheminée ; et grand abus est que tant plus belles et jeunes elles sont, plus hautes cheminées elles ont. C’est grand’folie d’ainsi lever et hausser le signe de son orgueil. Je vois autre mal à ce grand étendard qu’elles portent, ce grand couvre-chef délié qui leur pend jusqu’en bas par derrière : c’est signe que le diable a gagné le château contre Dieu. Quand les gens d’armes gagnent une place, ils mettent leur étendard au-dessus. »
Voici d’autres critiques du même auteur, dont on comprendra mieux l’à-propos : « Par détestable vanité, elles font faire leurs robes si basses à la poitrine et si ouvertes sur les épaules, qu’on voit bien avant dans leur dos ; et si étroites par le faux du corps qu’à peine peuvent-elles dedans respirer ; et souventes fois grand’douleur y souffrent pour faire le gent corps menu. Et quant aux pieds, elles font faire les souliers si étroits qu’à peine peuvent-elles endurer, et ont souvent les pieds contrefaits, malades et pleins de cors. »
Coquillart fait un autre reproche aux souliers :
Nos mignonnes sont si très-hautes
Que, pour sembler grandes et belles,
Elles portent pantoufles hautes
Bien à vingt et quatre semelles. |
Et sur la passe de linon ajoutée au chapeau, ce malicieux Champenois trouve encore à redire :
Quelqu’une qui a front ridé
Porte devant une custode,
Et puis on dit qu’elle a cuidé
Trouver une nouvelle mode. |
Il y a une circonstance de la vie, peu notée de nos jours, où les merveilleuses de la fin du quinzième siècle étalaient surtout leur coquetterie : c’était le temps de la gésine, c’est-à-dire la suite des couches. Pendant un mois ou six semaines, l’accouchée se tenait en exposition sur son lit, parée d’un négligé dans lequel elle trouvait moyen de faire entrer tous ses joyaux. Comme l’usage de la société ne comportait pas que la mère allaitât son enfant, du matin au soir elle pouvait se livrer aux visites. Toutes les parentes, toutes les amies, toutes les connaissances et les commères racolées par les connaissances, venaient tour à tour s’asseoir dans la ruelle et mettre en train ces propos qui ont jadis rendu les caquets de l’accouchée une chose proverbiale.
La maîtresse avait charge de ne pas laisser tomber la conversation ; elle ne s’interrompait que pour prendre des bouillons ou affecter des moments de langueur qui faisaient voir de plus près ses bijoux aux visiteuses empressées de la secourir. Pour qu’on ne croie pas que nous exagérons, nous laisserons parler un contemporain : « L ’accouchée est dans son lit plus parée qu’une épousée, coiffée à la cocarde, tant que diriez que c’est la tête d’une marotte ou d’une idole. Au regard des brasseroles [sorte de camisole à manches courtes], elles sont de satin cramoisi ou satin de paille, satin blanc, velours, toile d’or ou d’argent ou autres sortes, qu’elle sait bien prendre et choisir. Elle a carcans autour du cou, bracelets d’or, et est plus phalerée qu’idole ni reine de cartes. »
Sous Charles VIII, une révolution complète s’opéra dans le costume féminin. Quelques-uns l’attribuent à la reine Anne, qui aurait apporté avec elle les modes de la Bretagne. Mais des monuments antérieurs à son mariage, qui n’eut lieu qu’en 1491, montrent les dames déjà parées de plusieurs pièces du nouvel habillement. Dans un petit poème intitulé le Parement et triomphe des dames d’honneur, le célèbre Olivier de La Marche nous a laissé l’énumération de toutes les pièces dont se composait ce costume. Nous nous y arrêterons comme à la meilleure source de renseignement où il soit possible de s’instruire.
L’auteur commence par se demander quel présent il fera à celle qui occupe ses pensées :
Peintre ne suis pour sa beauté pourtraire ;
Mais je conclus un habit lui parfaire
Tout vertueux afin que j’en réponde,
Pour la parer devant Dieu et le monde. |
Partant de cette idée, il donne à sa dame les pantoufles d’humilité, les souliers de bonne diligence, les chausses de persévérance, le jarretier de ferme propos, la chemise d’honnêteté, le corset ou la cotte de chasteté, la pièce de bonne pensée, le cordon ou lacet de loyauté, le demi-ceint de magnanimité, l’épinglier de patience, la bourse de libéralité, le couteau de justice, la gorgerette de sobriété, la bague de foi, la robe de beau maintien, la ceinture de dévote mémoire, les gants de charité, le peigne de remords de conscience, le ruban de crainte de Dieu, les patenôtres de dévotion, la coiffe de honte de méfaire, les templettes de prudence, le chaperon de bonne espérance, les paillettes de richesse de cœur, le signet et les anneaux de noblesse, le miroir d’entendement par la mort.
Ce qu’Olivier de La Marche appelle pantoufles, était une paire de mules très légères en velours ou en satin, et arrondies du bout, suivant la forme du pied. Les souliers, espèce de claques à hautes semelles, se mettaient par-dessus les pantoufles. Les chausses sont les bas, qui, à cette époque, se faisaient encore de plusieurs pièces d’étoffe assemblées par la couture. Jarretier n’a pas besoin d’explication. La chemise, objet d’un usage général à la fin du quinzième siècle, était en fine toile, à manches longues, étroites et plissées jusqu’au poignet.
La cotte, ou robe de dessous, était fendue en pointe par-devant, depuis l’encolure jusqu’au milieu du corps. Elle dessinait les contours jusqu’aux hanches, et de là descendait au bas de la jambe en formant une jupe assez ample. Lorsqu’elle devait être portée avec une robe de dessus, à manches courtes, les siennes étaient très étoffées et taillées en forme d’entonnoir. On les faisait étroites, sans cependant les ajuster au bras, lorsque la cotte était pour mettre avec une robe de dessus à manches larges.
Par corset, il faut entendre un corsage d’une étoffe forte comme le drap ou le velours, dont la coupe était la même que celle du corsage de la cotte. On montait dessus des manches et une jupe de soie, de manière à en former une véritable robe de dessous. La pièce était un carré d’étoffe richement
Representation allegorique de la Musique sous la figure d’une femme du temps de Charles VIII
Représentation allégorique de la Musique
sous la figure d’une femme du temps de Charles VIII,
qui accompagne sur le tympanon un chœr
de musiciens d’église et de chambre
brodé d’or et de soie, qui se posait comme un plastron sur la poitrine pour la couvrir à l’endroit où s’échancrait le corsage de la cotte. Le cordon ou lacet était passé dans des œillets percés sur les ourlets de l’échancrure de la cotte. Il servait à maintenir la pièce sur la poitrine. Le demi-ceint, petite écharpe de soie, se posait toute roulée autour de la taille, et se nouait en rosette par-devant. L’épinglier ou pelote, la bourse en forme d’escarcelle, le couteau, étaient suspendus par des rubans ou des chaînes après le demi-ceint.
Représentation allégorique de la Musique
sous la figure d’une femme du temps de Charles VIII,
qui accompagne sur le tympanon un chœr
de musiciens d’église et de chambre |
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La gorgerette, col de linon plissé ou uni, montait par-dessous la pièce jusqu’à la hauteur des clavicules. La bague n’est pas, comme on pourrait le croire, un anneau à mettre au doigt. Bague signifia d’abord un coffret, puis les objets de bijouterie qu’on mettait dans des coffrets. Ici son acception probable est celle de collier. La robe par excellence, ou robe de dessus, était à corsage plat et ajusté, taillée carrément à l’encolure et fortement décolletée, de manière à laisser voir la gorgerette, la pièce et les épaulettes de la cotte ou du corset. Elle avait des manches courtes comme une brassière, ou bien des manches longues d’une ouverture extrêmement large par le bas. La jupe, fort étoffée, traînait par-devant et par derrière, ce qui impliquait de la tenir retroussée en marchant.
La ceinture consistait en un large ruban posé à plat sur les hanches, et se nouant d’angle sur le ventre où elle formait une rosette avec deux longs bouts pendants. Les patenôtres, chapelet d’orfèvrerie, de perles ou de tout autre travail précieux, s’attachaient au nœud de la ceinture et pendaient sur le devant de la robe. Nous ne saurions dire si le peigne est mentionné par Oliver de La Marche comme pièce intégrante de la toilette, ou comme un objet que les dames portaient sur elles. La coiffe était un petit béguin ou calot, qui se posait par-dessus les cheveux. Il était muni par-devant d’une garniture étroite en passementerie ou guipure chargée de perles. Cette garniture, qui descendait jusqu’au bas des joues, des deux côtés du visage, est ce que notre auteur appelle les templettes.
Le chaperon, voilette carrée en drap ou en velours, s’attachait sur la coiffe avec des épingles. On lui faisait faire un retroussis par-devant pour dégager le front et les templettes. Il tombait droit par derrière et sur les côtés. Nous ignorons la destination et la forme des paillettes. Le signet ou cachet était monté en bague et se portait au doigt avec d’autres bagues ou anneaux. Enfin le miroir était un objet de poche.
Nos gravures reproduisent assez bien les descriptions qui viennent d’être données, tant pour l’époque de Louis XI que pour celle de Charles VIII. La première est remarquable par le mélange des modes flamandes avec les modes françaises. Elle nous montre l’état des choses à la cour de Bourgogne vers l’an 1468. La seconde nous offre, comme figure principale, une jeune personne habillée de ces costumes de fantaisie que l’on prenait pour les bals ou pour la réception des rois à leur première entrée dans les villes. Les manches rayées de la cotte paraissent empruntées à la mode grecque du temps. Le chaperon est remplacé sur la coiffe par un petit bonnet ou turban monté sur un cercle d’orfèvrerie. L’ajustement du chaperon avec les templettes se voit dans la petite figure de femme placée au second plan parmi les musiciens.
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