LA FRANCE PITTORESQUE
20 octobre 1904 : mort du peintre
Victor Leydet
(D’après « Mémoires de l’Académie de Vaucluse » paru en 1904
et « Rétrospective Victor Leydet (1861-1904) » paru en 1986)
Publié le dimanche 20 octobre 2024, par Redaction
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Scrutateur de l’âme, amoureux du détail vestimentaire, Victor Leydet, qui fut un digne disciple de tous les grands maîtres qu’il avait pu voir au Louvre et le non moins talentueux successeur des peintres réalistes Courbet, Daumier ou encore Millet, s’attela également à la représentation de l’humble piété de femmes aux visages graves, fatigués, burinés, illustrant une sensibilité populaire formant l’une des facettes de la peinture religieuse au XIXe siècle
 

Né à L’Isle-sur-la-Sorgue le 23 juillet 1861, Victor Leydet est le fils unique de Célestin Hippolyte Charles Édouard, commis principal des Contributions Indirectes, et de Marguerite Adèle David. À l’École des Beaux-Arts d’Avignon, il devient l’élève de Pierre Grivolas (1823-1906) et du professeur de dessin Gabriel Bourges (1843-1903), puis s’installe à Paris à l’âge de 22 ans pour suivre les cours de l’École des Beaux-Arts dans la classe de Jean-Léon Gérôme (1824-1904), peintre officiel de la Troisième République qui forma plus de 2000 élèves à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, et maître incontesté qui eut le curieux privilège d’avoir de son vivant son buste dans la cour de l’Institut.

Victor dut sans doute puiser à ces deux enseignements le respect de la forme, la correction parfaite, l’honnêteté tant recommandée par Ingres, qualités qui sont la marque distinctive du talent de Leydet. « Quoique vous fassiez, disait Ingres à ses élèves, soyez honnêtes ; si, plus tard, on retrouve un fragment, même minime, d’un de vos tableaux, qu’on puisse dire : voilà de la peinture honnête. »

Victor Leydet

Victor Leydet

Il faudrait avoir sous les yeux les catalogues des expositions du Salon des Artistes Français, de Paris, pour suivre l’artiste depuis 1889, date de sa première entrée au Salon, jusqu’à sa mort en 1904. Durant ce laps de temps, son talent s’est complu dans la reproduction de sujets que le Dictionnaire départemental désigne sous l’appellation de Scènes de la vie journalière, et qui constituent de véritables tableaux d’histoire, par le caractère tout particulier d’austère grandeur, de simplicité et de profondeur que le peintre a su y imprimer. À la vérité, les œuvres de Victor Leydet s’adressent moins peut-être à la masse du public qu’aux amateurs de peinture fine et forte à la fois.

Remarquons d’abord la dimension de ses tableaux qui sont conçus dans des proportions modestes, si on les compare aux toiles immenses qui sont généralement envoyées dans les expositions. De plus, nous ne rencontrons pas chez Leydet de ces feux d’artifice de couleurs voyantes qui éclatent et obligeraient parfois à prendre des lunettes bleues pour les regarder. On n’y trouve pas de ces tons chatoyants mis pour le plaisir des yeux ; mais on y remarque une lumière douce et tranquille, des mouvements justes, une harmonie discrète. Son oeuvre donc, par la façon dont il traite ses sujets, va plus directement vers l’élite qui sait se complaire à admirer le sérieux du dessin et la vigueur de l’expression, que vers la foule.

C’est par là surtout que cet éminent artiste avait pu se placer dans les premiers rangs. En effet, plusieurs fois médaillé — 3e médaille en 1895, 2e médaille en 1896 —, il fut médaillé hors concours au Salon de 1900, avec Le Vendredi-Saint, acheté par l’État et envoyé au musée de la Rochelle. Son oeuvre intitulée Avant la messe fut exposée au Salon de 1896, et le tableau intitulé La soupe, acquis et donné par l’État.

Avant la messe. Peinture de Victor Leydet

Avant la messe. Peinture de Victor Leydet

Cette dernière toile nous offre une certaine hardiesse dans la composition, à savoir deux hommes, pauvres hères, vus de dos, au fond du tableau, sur lesquels se détachent les deux personnages principaux : une petite fille souffreteuse, appuyée sur l’épaule de sa mère assoupie ; la pauvre fillette a les yeux perdus dans le vague ; la fièvre impitoyable paraît la miner ; une longue chevelure blonde encadre ses traits amaigris. Quant à la mère, elle a la figure résignée des gens qui souffrent depuis longtemps : ses mains s’appuyant sur un panier sont d’un superbe dessin, et les têtes d’hommes du fond, bien que légèrement estompées, conservent un grand accent de réalité et nous offrent, ainsi que tout le reste du tableau, d’excellents morceaux de peinture. On pourrait adresser les mêmes éloges au tableau Avant la messe.

À l’âge de 35 ans, Victor Leydet épousa Andrée Isnard, fille unique du docteur Isnard, d’Avignon. De ce mariage devait naître Pierre, dit Pierrot, qui fut chirurgien. L’année de son mariage, il quitta Paris et son sixième du 72 boulevard de Port-Royal pour s’installer avec sa femme à Avignon, dans l’hôtel particulier de ses beaux-parents. Chaque année, il revenait à Paris, afin de participer au Salon des Artistes Français, manifestation incontestée du marché artistique mondial, carrefour de rencontres entre artistes, particuliers et marchands de tableaux. Ainsi, plus de 2000 artistes exposaient, espérant attirer l’attention du jury, afin de recevoir médailles et commandes. Parallèlement, Leydet participait à différentes expositions avignonnaises.

Son dernier envoi au Salon fut Sur le pas de la porte. C’est une scène saisie sur le vif, très finement observée et fortement rendue. Entre autres choses, les mains des deux femmes se faisant leurs confidences donnent un vague ressouvenir et comme une réminiscence du grand et beau dessin de l’école florentine, alors que les figures rappellent quelque chose comme un Holbein tombé dans le XXe siècle.

La soupe. Peinture de Victor Leydet

La soupe. Peinture de Victor Leydet

Le XIXe siècle, siècle d’éclectisme pictural, voit naître au cours des trente dernières années correspondant à l’oeuvre de Leydet, une suite de mouvements en isme qui devaient révolutionner la peinture : impressionnisme, pointillisme, fauvisme. Si au cours de ses dernières années, Victor Leydet a la tentation de l’impressionnisme, il se tourne essentiellement vers un mouvement qui prend naissance au lendemain de la Révolution de 1848.

Cette année est une date capitale dans l’histoire politique, économique et sociale de l’Europe du XIXe siècle. Elle l’est aussi dans l’art, car elle a donné naissance à un mouvement qui change la manière de voir et qui a pour nom, réalisme, symbolisé par trois maîtres : Courbet, Daumier, Millet. Le sursaut ouvrier, qui ne dura que quelques mois et fut noyé dans le sang, fit ouvrir les yeux sur la réalité présente. Il promut un humanisme nouveau, grave, viril, dont Victor Leydet est un des héritiers.

Dans ses tableaux religieux comme dans ses scènes de genre, il immobilise cette réalisé présente. Il choisit le même type de personnage issu du peuple ou de la petite bourgeoisie : jeune femme fatiguée par les travaux des champs (La moissonneuse au repos), vieilles femmes usées par la vie, aux visages burinés, aux mains noueuses (Le Vendredi-Saint et Sur le pas de la porte), jeunes femmes brunes, aux traits réguliers, aux visages graves (Avant la messe).

Il faut noter un goût pour le religieux populaire, pour les attitudes de piété humble, pour des personnages — essentiellement féminins — à l’attitude silencieuse, pensive, recueillie. Victor Leydet était-il un chrétien nourri de la Bible ? Nous ne savons, mais sa palette aux noirs profonds contrastant avec des blancs lumineux, souligne le réalisme des visages et donne à ses œuvres une austère grandeur empreinte d’un sentiment de recueillement. Mentionnons à cet égard Le viatique, toile représentant un prêtre portant le Saint Viatique à un malade, accompagné de son sacristain et suivi par quelques femmes pieuses. C’est une oeuvre qui se distingue entre toutes par un grand sentiment élevé, qui en fait sans contredit une vraie peinture religieuse dans toute l’acception du mot.

Le Vendredi-Saint. Peinture de Victor Leydet

Le Vendredi-Saint. Peinture de Victor Leydet

Les scènes de genre illustrent la misère humaine. Dans La moissonneuse au repos, fort bien construite avec cette succession de plans, la répartition des masses, nous sommes comme écrasés par l’atmosphère de chaleur, de fatigue, qui en émane.

En opposition à ces êtres douloureux, Lou Gardian, gardian de Camargue, droit, beau, fier, est plein d’une force tranquille. Le tableau Vincent et Mireille rejoint les scènes intimistes du peintre. Seule oeuvre d’inspiration littéraire, elle évoque le renouveau provençal littéraire et artistique symbolisé par le Félibrige. L’artiste a choisi la rencontre, la première sans doute, des deux héros. Nous ne voyons pas le visage de Mireille, mais sa chevelure auréolée annonce sa mort tragique. La qualité de la touche, la finesse du corsage transparent où se mêlent les variations lumineuses font de ce tableau une oeuvre frémissante ; deux adolescents fragiles vivent la découverte de l’amour.

Leydet, qui excellait dans le genre historique, réussissait merveilleusement aussi quand il s’attachait à rendre la physionomie humaine. Pourquoi ne pas le rapprocher de Clouet pour son trait vif et précis, la finesse et le rendu de l’expression ? Certains de ses portraits atteignent une connaissance de l’âme humaine, une maîtrise du pinceau éblouissante. Tout au cours du XIXe siècle qui est une période d’individualisme, le portrait s’est épanoui. Tout bourgeois veut se faire portraiturer et le peintre suivant son modèle et son style réalise des œuvres mondaines, frivoles ou des œuvres baignées d’un pathétisme romantique et d’un réalisme livrant le secret du masque de chair.

Victor Leydet est de cette race-là. Ce qu’il l’intéresse, ce qu’il cherche à exprimer, c’est l’aspect intérieur de la personnalité humaine, son mystère. Quelle vie, quel amour, quel humour, quelle tendresse dans cette sorte de galerie de famille qui nous est présentée : Madame Isnard, belle-mère de l’artiste, bien installée dans une bourgeoisie provinciale, Célestin Leydet, père de Victor, à l’intelligence sévère, Henri Mazet, l’ami de jeunesse rencontré à l’École des Beaux-Arts de Paris qui aborde la vie avec confiance, le splendide visage de L’Homme à la pipe, au regard perdu dans ses souvenirs. Nous mentionnerons aussi le Portrait de son père, qui eut un réel succès au Salon des artistes français en 1892 ; et un nombre considérable d’études de têtes charmantes, délicieusement peintes. La plupart de ces toiles ont figuré au Salon avignonnais.

Célestin Leydet (père de Victor). Peinture de Victor Leydet

Célestin Leydet (père de Victor). Peinture de Victor Leydet

À un grand talent, Victor Leydet joignait une modestie plus grande encore. Il était très loin de tirer vanité de ce qu’il savait, et était convaincu qu’il pouvait lui manquer une qualité pu une autre. C’était peut-être un tort, car on ne peut les avoir toutes ; mais ce désir de toujours mieux faire est la pierre de touche de son vrai mérite.

Il ne semble pas avoir connu la célébrité de son vivant. Certes, il fut médaillé au Salon, certaines de ses œuvres furent achetées par l’État, il eut des commandes de portraits, mais il vécut mal de son art et se plaint dans ses lettres de 1900 de n’avoir jamais été reconnu : « Je suis et je reste toujours un isolé ». Timide, effacé, il ne recherchera pas les honneurs : « (...) ma timidité a été mise à rude épreuve (...) Tout le monde ici m’engage à m’en aller travailler en Province, Paris ne vaut rien pour les timides comme moi et je courrais le risque d’y perdre les qualités qui viennent de me faire réussir ».

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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