Au début du XXe siècle, le mouvement anarchiste fut à l’origine d’attentats politiques meurtriers. L’un d’entre eux, visant le président des États-Unis, devait être commis par un Français, Jean Guilhot. Arrêté, il finit sa vie en ermite sur une île du Mississippi.
Dans l’État du Mississippi, les habitants de Biloxi, sur les côtes du golfe du Mexique, évoquent avec tendresse le souvenir de Jean Guilhot, un gentil doux dingue, hirsute et fuyant. Ce personnage haut en couleur vécut plus de trente ans en solitaire sur Deer Island, à moins d’un kilomètre du continent, refusant de ne manger autre chose que du fromage, des fruits et les produits de sa pêche.
« Son pantalon était attaché par une corde faisant office de ceinture, il marchait pieds nus et ses vêtements étaient rapiécés, raconte Edmond Boudreaux, historien local à la retraite. Sa peau, tannée par le sel et le soleil, ressemblait à un parchemin. Toutes sortes de légendes circulaient à son sujet. Certains le disaient séducteur, marié à huit femmes ! Les enfants étaient à la fois effrayés et fascinés par cet homme. Les rares fois où il venait en ville, ils le suivaient à distance respectable pour l’observer. »
Devenu ermite sur une île du Mississippi,
Jean Guilhot avait dans sa jeunesse envisagé de tuer le président américain.
© Crédit photo : Biloxi Public Library / Local History and Genealogy Image Collection
Tantôt espiègle, capable de chanter des chansons paillardes en français en adressant des œillades aux femmes des touristes circulant près de son île, tantôt bougon et excentrique, Jean Guilhot (ou Guillot selon certains documents), mourut le 2 mai 1959, à l’âge de 81 ans.
La chambre de commerce de Biloxi, décida, un demi-siècle plus tard, d’installer une pierre tombale commémorative à cet homme devenu une légende locale, portant la mention : « Jean Raphaël Guilhot, l’ermite de Deer Island. » Cet hommage incita E.W. Suarez, du département Histoire et Généalogie de la bibliothèque du comté de Harrison, à se pencher sur la vie du Français. « Ce fut un choc, avoue le chercheur. Guilhot n’était pas quelqu’un de gentil ! J’ai découvert pourquoi l’ermite était si insaisissable à propos de son passé : il mentait et gardait la réalité secrète. »
Premiers terroristes
Né le 27 octobre 1877, l’intéressé travaille quelques années en tant que coiffeur et barbier, avant de quitter Saint-Étienne (Loire) pour embarquer à bord du paquebot Normandie en 1898. Le 19 septembre de cette même année, il pose le pied à New York avec 40 dollars en poche, et prend la direction de Patterson (New Jersey). « Cette ville était le cœur du mouvement anarchiste aux États-Unis. Très vite, Jean Guilhot et un autre Français, François Merlier, ont fait partie des premiers terroristes connus dans le pays. »
En juillet 1899, alors qu’ils se trouvent à Dunmore (Pennsylvanie), le comportement suspect des deux hommes alerte deux policiers, lesquels tentent de les questionner. Guilhot et Merlier sortent leurs revolvers et tirent, avant de prendre la fuite, abandonnant sur place une bombe artisanale avec laquelle ils envisageaient de commettre un attentat.
Grièvement blessés, les policiers livrent tout de même le signalement des Français et une prime de 500 dollars est offerte pour les retrouver. Il faudra attendre avril 1900 pour qu’ils soient appréhendés, soûls, dans un bar de Montréal (Québec), où ils s’étaient vantés auprès des clients de leur échange de coups de feu avec la police en Pennsylvanie. Extradé vers les États-Unis, Guilhot tente dans un premier temps de livrer un faux nom — Antoine Morel — avant de dire la vérité.
Condamné à cinq années de prison, il est envoyé à Eastern State Penitentiary, une prison infernale. « Les détenus n’étaient pas autorisés à quitter leur cellule durant la durée de leur peine, raconte Suarez, dont les recherches lui ont permis d’accéder aux archives pénitentiaires. Les autorités estimaient que ce confinement et cette solitude aidaient les prisonniers à réfléchir à leurs actes et à devenir des êtres meilleurs ! »
En novembre 1900, une enquête de l’agence Associated Press révèle que François Merlier, le complice de Jean Guilhot, est à la tête d’un groupe anarchiste ayant pour projet de tuer le président américain William McKinley. Moins d’un an plus tard, le 14 septembre 1901, le chef de l’État est effectivement assassiné à Buffalo par l’anarchiste polonais Leon Czolgosz.
« Guilhot était moins versé dans le terrorisme politique. Il préférait s’en prendre aux usines et aux patrons, souligne Suarez. Mais à sa sortie de prison, en 1905, il quitte les réseaux anarchistes. Il part travailler quelques mois aux Bahamas, dans une fabrique de conserves de soupe de tortues, puis se marie en 1907 à Key West, en Floride, où il reprend son métier de barbier, tout en possédant une licence d’import-export de conserves avec les Bahamas. »
Nouvelle histoire
Installé successivement avec sa femme Charlotte à Key West, puis à Miami de 1914 à 1916, avant de déménager à Eastchester (New York), fin 1917, il divorce en 1920 et prend la direction de Biloxi en 1921. « Arrivé sur les côtes du Mississippi, il s’est inventé une nouvelle histoire, moins chaotique. Il s’est à nouveau marié, avec une veuve de bonne famille, Pauline Lemien, possédant une propriété sur Deer Island. »
Une pierre tombale réalisée par la chambre de commerce
de Biloxi a été posée sur la dernière demeure du Français, en octobre 2013.
© Crédit photo : Biloxi Public Library / Local History and Genealogy Image Collection
Le coiffeur devient éleveur d’huîtres, mais enchaîne les revers de fortune. Son épouse décède subitement le 14 décembre 1933, puis un incendie ravage sa demeure. « Il tentera de reconstruire, à partir des débris, mais un ouragan en 1947 viendra à nouveau tout détruire. » Pour survivre lors de cette tempête, Guilhot s’attache aux branches d’un arbre afin de ne pas être emporté par les vents et les vagues de plus de dix mètres.
Vivant en ermite au cours des dix dernières années de sa vie, il devient une énigme, mais aussi une célébrité locale, au point de figurer sur… une carte postale ! Affaibli, il est fréquemment ravitaillé par Louis Gorenflo, le capitaine d’un navire de promenades côtières, avec qui il s’est lié d’amitié. S’il monte parfois à bord un bateau pour chanter des chansons et amuser les touristes qui lui donnent quelques pièces, Jean Guilhot fuit la compagnie et préfère le calme de son île. Il s’y éteint dans son sommeil, le 27 mai 1959, emportant (temporairement) avec lui les secrets d’un homme qui voulut, dans sa jeunesse, assassiner le président des États-Unis.
Stéphane Cugnier
Ouest France
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