Remarquable fresque historique réalisée par Raymond Bernard et premier film d’une série de grands films spectaculaires produits en France dans la deuxième moitié des années 20 consacrés notamment à Napoléon ou Jeanne d’Arc, Le Miracle des Loups, dont le scénario se déroule de 1461 à 1472 et est tiré de l’ouvrage du romancier et dramaturge Henry Dupuy-Mazuel, montre l’affrontement du roi Louis XI et de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne
C’est le 13 novembre 1924 qu’eut lieu la première de ce film qui, quelques mois auparavant, était déjà source de curiosité journalistique, l’historien du cinéma et acteur René Jeanne (1887-1969) lui consacrant en mai un article au sein du Petit Journal illustré.
Quelque grand que soit l’attrait exercé par les films à grande mise en scène sur le public, le cinéma français, si l’on excepte Les Trois Mousquetaires et Vingt Ans Après ! n’a jamais produit des bandes de l’importance de Jeanne d’Arc, Intolérance ou La Reine de Saba, qui naquirent outre-Atlantique, explique à cette époque le chroniqueur ; de Christus, Cabiria, Salammbo, Jules-César ou Quo Vadis ? qui restent dans nombre d’esprits comme des souvenirs précis de la meilleure activité cinématographique italienne ; ou de La Femme du Pharaon, Anne de Boleyn, Danton ou Frédéric le Grand, par quoi l’Allemagne, au lendemain de la guerre, marqua sa volonté très nette de se faire une place considérable sur le marché cinématographique.
Raymond Bernard, réalisateur et metteur en scène du Miracle des Loups
La raison principale qui empêcha jusqu’à présent les cinégraphistes français de produire cette sorte de films est, affirme René Jeanne, que l’on n’a pas encore pris l’habitude en France de consacrer au cinéma les capitaux considérables qu’exige la réalisation de bandes à grande mise en scène et à costumes.
Aujourd’hui, cette lacune est comblée, poursuit-il. Voici, en effet, qu’une puissante société purement française vient de se constituer qui a pour but de réaliser des films dont l’intrigue romanesque se déroulera dans des cadres rigoureusement historiques. Chacun de ces films fera revivre une période bien déterminée de l’histoire de notre pays. Un comité d’histoire, présidé par M. Camille Jullian (1859-1933) — historien et philologue —, le nouvel académicien, professeur au Collège de France — au sein duquel il avait créé la chaire des Antiquités nationales — ; un comité littéraire, présidé par M. Henry Bordeaux (1870-1963) — avocat, romancier et essayiste —, de l’Académie française, et un comité artistique, présidé par M. André Antoine (1858-1943) — metteur en scène, réalisateur et critique dramatique —, sont chargés de veiller à ce que ces films soient dans leurs moindres détails conformes a la vérité. Déjà le premier film de cette série est presque achevé.
Ce premier film, qui est une chronique du règne de Louis XI, a pour titre Le Miracle des Loups, explique René Jeanne, et pour centre la lutte que dut soutenir Louis XI contre Charles le Téméraire pour fonder l’unité française. Tiré d’un roman de M. H. Dupuy-Mazuel par M. A.-P. Antoine, ce film est réalisé et mis en scène par M. Raymond Bernard, qui connut déjà de beaux succès cinématographiques avec La Maison vide, Le Crime de Rosette Lambert, Triplepatte et Le Costaud des Epinettes.
Depuis plus de six mois, nous explique l’historien du cinéma, M. Raymond Bernard travaille sans relâche à la réalisation du Miracle des Loups, mais, quoique le travail en studio ait été des plus intéressants, le clou du film sera bien certainement la reconstitution du siège de Beauvais par l’armée de Charles le Téméraire en 1472, à laquelle M. Raymond Bernard vient de se livrer... à Carcassonne.
En effet, Beauvais ayant perdu ses remparts, ses tours, ses donjons, ses fossés, M. Raymond Bernard, qui ne voulait pas entendre parler de remparts en carton pâte, résolut de trouver parmi les vieilles villes françaises, le décor naturel dont il avait besoin. Il n’eut pas à chercher longtemps : Carcassonne n’était-elle pas là, qui, sur plus de trois kilomètres de circonférence, déploie le plus puissant enchevêtrement de murailles crénelées, de chemins de ronde, de glacis, de poternes, de fossés que puisse souhaiter le plus exigeant des cinégrapiiistes...
M. Raymond Bernard ayant obtenu de la bonne grâce de M. le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, les autorisations nécessaires, et de l’obligeance de M. le ministre de la Guerre, la libre disposition des fantassins et cavaliers des 16e et 17e corps d’armée, s’en vint dans la première quinzaine d’avril, mettre le siège devant Carcassonne-Beauvais.
Dans les casernes de la ville, nous apprend encore René Jeanne, les soldats venus des garnisons voisines, campaient. Le matin, on les conduisait dans les salles du château transformées en vestiaires, où ils trouvaient les justaucorps de bure, les vestes de cuir, les cottes de maille, les cuirasses, les casques, les piques, les arbalètes et les haches qui faisaient d’eux des gens d’armes du XVe siècle.
Puis les troupes d’assaut se formaient et se massaient dans les prés de jeune luzerne, pendant que les bourgeois et bourgeoises de Beauvais, qui n’étaient autres que des figurants recrutés parmi les habitants du pays, couraient aux remparts.
Sur un échafaudage qui dominait le champ de bataille, M. Raymond Bernard entouré de ses huit opérateurs, le téléphone de campagne en main, donnait ses ordres. Les généraux Pont et Martin, commandant les 17e et 16e corps, venaient avec leurs états-majors voir si la guerre sous Louis XI ressemblait à celle de 1914-1918.
Affiche de la version de 1930 du Miracle des Loups
Puis, le moment de l’attaque venu, les troupes s’élançaient. Des grappes d’hommes traînaient et poussaient dans l’herbe où ils s’enfonçaient, les lourds mortiers et les puissantes bombardes. Des groupes de cavaliers passaient au galop, panaches flottant et oriflammes claquant au vent. Et, soudain, des traits de feu zébraient la masse sombre des remparts, des nuages de fumée montaient dans le ciel clair.
C’était la ville qui se défendait. Les assaillants dressaient de longues échelles contre les remparts et des files d’hommes y montaient. Des corps qui n’étaient peut-être que des mannequins tourbillonnaient dans le vide. Puis, sur un nouveau signal, toute cette agitation s’apaisait.
Dans quelques mois, conclut René Jeanne, nous verrons Le Miracle des Loups sur les écrans de nos salles de projection. N’oublions pas, ce jour-là, d’avoir une pensée pour la vieille et noble cité de Carcassonne qui, dès qu’on le lui demanda, prêta sa beauté à Beauvais, généreusement et anonymement.
En 1930, le film fut l’objet d’une réédition dans une version sonorisée, enrichie d’un prologue et d’un épilogue.
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