Si les érudits ont longtemps bataillé pour déterminer l’origine exacte du célèbre « poisson d’avril » que l’abbé Tuet, définit au XVIIIe siècle dans ses proverbes français comme le fait de pousser quelqu’un à accomplir une démarche inutile pour avoir l’occasion de se moquer de lui, la coutume distrait depuis plusieurs siècles nombre d’individus, aux dépens de braves gens ayant oublié de se tenir sur leurs gardes quand un quidam réclame de l’encaustique de girafe ou de l’huile de macadam...
Voici quelques plaisanteries du 1er avril des siècles passés, ayant défrayé la chronique et dont la trame commune est de donner une leçon et de corriger les défauts en riant.
Un jour, deux farceurs d’avocats se rendaient au Palais, le lendemain du 31 mars. L’un des deux, pour attraper son compagnon, se jette à terre et feint de voir une tentative de meurtre par un soupirail de rez-de-chaussée. « Grand Dieu, il le tue », s’écrie-t-il, et l’autre de tomber à plat ventre pour être témoin du spectacle.
La foule s’assemble et le second avocat, trouvant sans peine le mot de l’affaire, paie d’audace et crie au meurtre à son tour. Les gens se pressent, et les deux avocats s’en vont plaider au Palais, en laissant leur place au curieux. Ils revenaient dans l’après-midi, vers 4 ou 5 heures, quand ils aperçoivent un immense rassemblement sur le théâtre de leurs exploits du matin, où chacun bousculait son voisin pour voir au plus tôt dans le soupirail.
Joseph Clément de Bavière, archevêque, avait promis de prêcher le 1er avril. Une foule immense se rend à l’église ; le prédicateur monte en chaire, fait le signe de la croix, leur crie : « Poisson d’Avril », et se sauve.
Le poisson d’avril. Chromolithographie publicitaire publiée vers 1880
Rabelais fut l’auteur d’une farce cocasse du 1er avril. Il voulait en effet aller à Paris, ce jour-là, et était à Marseille sans argent. Il se fait des paquets de poudre, avec indication que c’est pour empoisonner la famille royale, et cache l’objet à demi. On le découvre bientôt ; la justice l’arrête et le conduit à Paris, où il leur crie alors : « Poisson d’Avril. »
Vers la fin XVIIe siècle, il existait à Caen un brave abbé, appelé l’abbé de Saint-Martin, original, toujours crédule au dernier point, bonhomme par-dessus tout. Il publia un livre bizarre, singulier, absurde, intitulé : Le moyen de vivre en santé au delà de cent ans. Or, il était difficile après cela de ne pas jouer quelque bon tour à l’auteur. Les nouvelles de la cour en fournirent bientôt l’occasion.
Les gazettes étaient remplies de détails circonstanciés sur l’arrivée en France et sur la réception à Versailles des ambassadeurs siamois. Comme bien vous pensez, les sociétés de Caen s’entretinrent longtemps de cet événement, qui faisait grand bruit, et notre bon abbé ne fut pas des derniers à s’enquérir des histoires merveilleuses racontées à ce sujet. Il ne parla plus, ne pensa plus et ne rêva plus qu’aux ambassadeurs siamois. Alors une des idées les plus folles traversa la cervelle de quelques gens du bel air, certains de trouver appui dans toute la ville, plus certains encore d’avoir un auxiliaire puissant dans la crédulité de leur victime.
Le premier avril arrivait dans quelques jours. On annonça à l’abbé de Saint-Martin que Sa Majesté le roi de Siam, après s’être fait lire son admirable livre, avait été si charmé de l’incomparable découverte que ce livre renfermait, qu’elle avait résolu d’envoyer à l’auteur des ambassadeurs pour lui offrir le rang de mandarin et le titre de son premier médecin. Un homme est toujours faible à l’endroit de la vanité ; un auteur doit l’être deux fois, en sa double qualité d’homme et de lettré.
Toute la ville s’en mêla : les gens les plus graves y prêtèrent volontiers les mains, les sévères magistrats tout comme les autres. Tout fut prévu ; il y eut autorisation du roi de France pour conférer à l’abbé les hautes dignités de mandarin et d’esculape. La mascarade fut complète. Le bonhomme dut se croire mandarin en toute sécurité, et ce fut grand plaisir de le voir revêtu et chamarré des insignes de ses nouvelles fonctions. Mais le jour d’avril passé, l’abbé ne put croire à ce poisson d’un nouveau genre, et deux années s’écoulèrent avant qu’il voulût bien reconnaître qu’on s’était moqué de lui. Aussi nos pères, pour en perpétuer le souvenir, nous ont laissé un témoignage écrit. Cette histoire se passait quinze ans après la première représentation du Bourgeois gentilhomme — qui eut lieu le 14 octobre 1670.
Citons encore un autre poisson d’avril du XVIIe siècle dont les chroniques ont perpétué le souvenir. Vers 1675, l’invalide à la tête de bois, personnage tant chanté dans les revues, était en effet le plus beau poisson d’avril dont s’amusaient la cour et la ville. On envoyait aux Invalides quantité de gens simples venus de la province. Aux vétérans de les guider à travers les salles de la maison de retraite ; et quand ils insistaient pour voir l’illustre blessé qui avait perdu « la tête » à Rocroy, on les conduisait au premier étage, dans un corridor traversant le deuxième corps des bâtiments.
« L’invalide est chez lui. Suivez ce couloir. Tournez à gauche et deux fois à droite ; descendez l’escalier. Vous frapperez, au rez-de-chaussée, à la cinquième porte. C’est là. Il sera très content de votre visite. » Notre candide personnage arrivait dans une cour, se renseignait de nouveau auprès du premier passant, qui l’envoyait aux cuisines. Un marmiton répondait à la demande : « L’invalide à la tête de bois est allé se faire raser... Tout au bout du couloir, la septième porte à gauche. »
Hôtel des Invalides. Chromolithographie publicitaire de 1899
À grands pas, le visiteur se rendait chez le barbier. « Monsieur, notre illustre blessé vient de sortir à l’instant. Voyez donc à la buvette... À l’entrée du jardin. » Le cantinier prenait l’air d’un homme désolé. « Vous le manquez d’une minute. L’invalide est allé au corps de garde fumer une pipe. » Et le chef de poste prenait à son tour un air paterne. « Notre cher camarade est parti à la pêche... Tenez, au bout de la place... Il sera bien heureux de vous voir. »
Et, au bord de la Seine, le naïf trouvait quelques vétérans qui, à sa vue, riaient fort et criaient : « Poisson d’avril ! » Navré, notre homme s’éloignait, la tête basse, en jurant, mais un peu tard, comme le corbeau -de La Fontaine, qu’on ne l’y prendrait plus.
Un poisson d’avril appartenant au XIXe siècle n’est pas moins pittoresque. On pouvait lire, à la date du 30 mars 1840, dans les journaux français : « Un voyageur devenu célèbre, M. Coutil, a découvert au cours de ses dernières explorations, le chou colossal de la Nouvelle-Zélande. C’est à la fois un arbre d’agrément et une plante utile. Ce chou atteint la hauteur d’un pommier, et ses feuilles composent une saine nourriture ; il prend tout son développement en six mois. La graine se vend par petites bottes à cinq francs l’une, au dépôt général, 7 rue du Pont-Neuf, à Paris. Prière d’y adresser les commandes à partir du 1er avril. »
Le sieur Coutil reçut pour quatre cent mille francs de commandes, et, en retour, il expédia des graines de potiron à une multitude de braves gens. Quelques-unes des dupes se plaignirent à la justice d’un pareil procédé. Mais, de Bruxelles, où le « commerçant » s’était prudemment réfugié, il écrivit au procureur du roi chargé de le faire arrêter : « Monsieur, je m’étonne que vous n’ayez pas remarqué tout de suite que la chose s’est passée un 1er avril. Les lois ne défendent pas de s’amuser. Alors, l’affaire ne doit plus, à vos yeux, avoir de conséquence. » Néanmoins, l’inventeur du chou colossal de la Nouvelle-Zélande prit des chemins détournés afin de ne pas rencontrer les gendarmes.
Et pour terminer, contons un « poisson » ayant couru en 1900. Un tailleur parisien, fournisseur du prince de Galles, que nous appellerons Club, s’était vanté à plusieurs reprises de n’avoir jamais prêté le flanc aux fumistes qui, à l’occasion du 1er avril, avaient tenté de le mystifier. Or, il parlait imprudemment devant des artistes et des journalistes qui avisèrent.
Le 1er avril, à deux heures de l’après-midi, un peintre prenait son café dans l’estaminet d’un hôtel, et rédigea une missive :
« Monsieur,
« De passage à Paris, mylord Douglas me recommande votre maison. Aussi, décidé à suivre la mode française, je vous prie de venir ici à trois heures précises, portant des échantillons, afin de prendre mesure d’un habit noir qui devra m’être livré dans les deux jours.
« Veuillez, monsieur, agréer l’assurance de mes sentiments distingués.
« Lord MACAULAY. »
Le chasseur de l’hôtel fut porter la lettre. Club voulut se rendre lui-même auprès du noble Anglais. En cheminant vers la place de l’Opéra, il rencontra plusieurs de ses amis.
— Tiens, où allez-vous, mon cher ? s’informe le premier.
— À l’hôtel B... Je suis pressé...
— Justement je vais par là ; permettez-moi de vous accompagner.
— Allons vite !
Le tailleur Club cherche à se rendre dans l’appartement de lord Macaulay. Illustration
extraite d’Almanach de France et du Musée des familles paru en 1905
Place Vendôme, le célèbre tailleur avait sur les talons dix peintres et autant de journalistes, empressés à composer sa suite. Club demande au concierge de l’hôtel :
— Le gérant, s’il vous plaît ?
— M. le gérant est absent ; mais voyez au bureau.
Là, devant deux employés, Club dit :
— Voulez-vous m’indiquer l’appartement de lord Macaulay ; je viens prendre mesure...
— Lord Macaulay, répondit la caissière du Family, est mort depuis trente ans et... enterré.
À l’instant, des rires éclatent derrière le tailleur. Club, très vexé de l’aventure qui lui arrive, prend sa course ; et, rentré au magasin, il déclare à son maître de coupe : « Quel guignon I Quand je suis arrivé, lord Macaulay venait de mourir d’une apoplexie... Ça m’a porté un coup... vous pensez. »
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