À Charroux, dans l’Allier, on fabrique une moutarde d’exception. Elle fait la renommée du village classé parmi les « plus beaux villages de France ». Son goût particulier lui permet de se différencier de la moutarde de Dijon.
Il y a la moutarde de Dijon... et puis il y a la moutarde de Charroux. Nous connaissons tous la première, la seconde beaucoup moins. La moutarde de Charroux, moutarde oubliée pendant près d’un siècle, c’est une marque déposée et reconnue.
Son histoire commence sous l’Ancien Régime, au sein de la bourgeoisie française. Comme beaucoup de petits villages français, Charroux est extrêmement bourgeois. « Il y avait à l’époque 3000 habitants et parmi eux, beaucoup de viticulteurs », explique Olivier Maenner, moutardier à Charroux. « Pour avoir une bonne moutarde, il faut avoir un bon vin à côté, car qui dit vin, dit vinaigrette et donc de la moutarde », renchérit-il.
À cette époque, trois moutardiers se partagent la confection du condiment dans le village : Portier, Poulain et Moulin. Mais au tournant du XXe siècle, le phylloxéra, une espèce invasive qui décime les vignes en France, les oblige à mettre un terme à leur activité.
Moutarde de Charroux à la ciboulette
Pendant presque un siècle, la moutarde de Charroux disparaît des étalages commerçants. Jusqu’à l’année 1989, au cours de laquelle la famille Maenner décide de reprendre la production. « C’était un pari avec l’ancien maire et l’ancien conservateur du musée de Charroux. Mon père était ingénieur en agroalimentaire, et il a dit pourquoi pas, on va essayer »
Quatre ans plus tard, le jeune adolescent déguste sa première cuillère de moutarde 100 % made in Charroux. Il se souvient du goût piquant et fruité laissé en fin de palais par le vin blanc de Saint-Pourçain issu du cépage local « Tressallier ». Il est l’un des cépages les plus vieux de France, et serait plus ancien que les vignobles plantés par les Romains.
Car c’est ce vin, mélangé à un peu d’eau et de vinaigre qui représente les deux tiers de la préparation de la moutarde. « Ce qui donne vraiment le goût au produit final, ce ne sont pas les graines, mais le verger », explique le plus petit moutardier de France. On retrouve les graines seulement dans le dernier tiers de la préparation, dont 20 % proviennent de champs français et les 80 % restants sont importés du Canada.
Le liquide, appelé Verjus, et les graines finissent leur parcours dans la meule qui se charge d’écraser le mélange pendant des heures jusqu’à obtenir une pâte plutôt compacte. Le tout repose ensuite pendant 72 heures avant d’être mis en conserve. Il faut au total 4 à 5 jours de travail pour produire un pot de moutarde de Charroux.
« On n’aurait jamais pensé que la moutarde de Charroux soit reconnue et utilisée par des grands chefs », s’extasie Olivier Maenner, qui fournit par exemple L’Écrin et le Georges V, deux grands palaces parisiens. Chaque année, le moutardier leur réserve des pots parmi les 20 tonnes produites.
À Charroux, de la production à l’assiette
Mais pas besoin d’aller si loin pour retrouver la moutarde de Charroux dans les plats. Valérie Saignie a installé son restaurant, « La ferme Saint-Sébastien », à quelques pâtés de maisons de l’entreprise Maenner. « On a commencé presque en même temps. Moi, ça va faire 30 ans. Eux, ça va faire 35 ans. C’est un produit phare du village et on ne se voit tout simplement pas utiliser autre chose », résume la cheffe cuisinière. En vinaigrette dans la salade, en mayonnaise pour accompagner un taboulé, en sauce dans le poulet bourbonnais, la restauratrice cuisine la moutarde sous toutes ses formes. Même en macaron !
« Au départ, pour faire connaître la moutarde, on mettait des petits pots sur les tables comme on mange du beurre dans certains restaurants. On s’est aperçu que les gens en mangeaient, mais pas plus que ça. Donc, on s’est dit qu’il fallait qu’on trouve quelque chose pour utiliser la moutarde, trouver un support pour que les gens puissent la goûter autrement », confie Valérie Saignie.
Dans son macaron, la cheffe utilise la moutarde pourpre, une moutarde à laquelle on a agrémenté du jus de raisin. Il donne un côté plus sucré et coloré au produit final. Le dessert intrigue autant qu’il séduit les clients ! « Ça fait un mélange sucré-salé, un contraste qui plaît bien. Les clients en achètent pour l’apéritif », explique Valérie Saignie qui commercialise, seulement dans son restaurant, des boîtes de macarons à la moutarde pourpre de Charroux.
En macarons et en glace également !
Le produit s’exporte également jusque dans les cuisines de Sébastien Mehaux, propriétaire depuis maintenant huit mois de « La table d’Antoine » à Vichy. Et lui, c’est en glace qu’il travaille la moutarde de Charroux.
« Vous mettez de la moutarde, vous faites cuire avec du lait et après, vous mettez ça en turbine à glace et ça fait une glace. C’est une façon un peu plus originale que juste faire une mayonnaise à la moutarde, comme on pourrait faire classiquement avec une asperge. Ça ramène de la fraîcheur », explique-t-il.
La moutarde de Charroux, c’est un goût sucré en fin de bouche
grâce au vin blanc de Saint-Pourçain. © Crédit photo : France Télévisions
Outre le côté local, le cuisinier trouve la moutarde de Charroux « plus fine et plus douce » que la moutarde de Dijon, « tout en ayant de la force ». « Un peu comme le wasabi, on a quelque chose qui va être puissant en bouche, mais qui s’efface presque aussitôt ». Il faut dire que le Bourbonnais a fait ses débuts derrière les fourneaux de Valérie Saignie et baigne dans la moutarde de Charroux depuis de nombreuses années.
« Chez moi, je n’ai pas d’autre moutarde que de la moutarde de Charroux », explique le cuisinier qui a sillonné durant quelques années la France avant de revenir dans son Allier natal. « Partout où vous passez, il y a des produits phares, qui détonent. Donc forcément, on les garde en mémoire et on les garde dans sa cuisine ».
À « La table d’Antoine », on retrouve la moutarde également en espuma (une mousse très aérienne), en sauce et prochainement en sabayon. Le chef est en train de mettre au point une recette de petits pois crus et cuits avec une émulsion à la moutarde de Charroux. « C’est vrai que pour les touristes, la moutarde de Charroux, ça paraît étonnant. Quand on n’est pas du coin, on a du mal à se dire que l’on fabrique de la moutarde ailleurs qu’à Dijon ! », conclut Sébastien Mehaux. Le produit se retrouve également dans les assiettes du chef étoilé Alexis Décoret sous la forme d’une meringue.
Site Internet de la moutarde de Charroux : https://www.moutarde-charroux.com
Émilie Barthe
France3 Auvergne Rhône-Alpes
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