LA FRANCE PITTORESQUE
Llívia : une enclave espagnole
en territoire français
(Source : Ouest France)
Publié le jeudi 12 décembre 2024, par Redaction
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Quand on se penche sur la carte de randonnée des Pyrénées-Orientales aux 1/25 000e, on pourrait croire à une erreur. Le petit village de Llívia, situé sur le territoire national, est cerclé de croix, comme la frontière espagnole, à une poignée de kilomètres de là.
 

À mi-chemin entre Font-Romeu et Bourg-Madame, Llivia ne dépend pas de la République Française mais bien de l’État espagnol. La commune de 1 700 âmes, perchée entre 1200 et 1600 mètres d’altitude, est enclavée au cœur de ce département des Pyrénées-Orientales, mais fait partie intégrante de la province de Gérone, qui appartient à la Communauté autonome de Catalogne. Llívia est même reliée à la « mère-patrie » par une route dite internationale longue de quatre kilomètres, qui débouche sur la ville frontière de Puigcerda.

Un héritage historique
Nous sommes ici en Cerdagne historique, un territoire longtemps disputé entre les couronnes d’Espagne et de France. Pour comprendre la situation incongrue de ce village d’Astérix à la sauce ibérique, il faut remonter au XVIe siècle avec le traité des Pyrénées, celui-là même qui fut âprement discuté sur l’île des Faisans.

Vue aérienne de Llívia
Vue aérienne de Llívia

À l’époque, la guerre de Trente Ans déchire l’Europe, opposant notamment la France et l’Espagne. Pour régler le conflit qui s’éternise, le Cardinal de Mazarin, Premier ministre français, et son homologue espagnol Don Luis de Haro négocient pendant de longs mois pour redessiner les frontières entre leurs états respectifs. C’est ainsi que la Cerdagne tout entière doit initialement rester espagnole.

Pour sceller l’accord, décroché le 7 novembre 1659, un mariage est arrangé entre le roi de France Louis XIV et l’Infante d’Espagne Marie-Thérèse d’Autriche. Un an plus tard, alors que le Roi-Soleil se trouve à Saint-Jean-de-Luz et s’apprête à épouser la fille de Philippe IV d’Espagne, les négociateurs français demandent à remanier le traité. La Cerdagne est finalement divisée en deux, l’Espagne s’engageant à rétrocéder 33 villages à la France.

Une ambiguïté statutaire
Alors que la couronne française compte bien récupérer cette ancienne place forte, les Espagnols leur opposent le fait que depuis Charles Quint, Llívia est considérée comme une ville, et non un village ! C’est ce statut qui permet à la commune de près de 3 km2 d’échapper à la mainmise française. Le 22 novembre 1660, le traité de Llívia est signé spécifiquement, entérinant cette anomalie administrative et fixant quelques règles simples : la présence militaire sur ce territoire est limitée au strict minimum, et la commune devra être reliée à l’Espagne par une route neutre au statut international.

Tour Bernat de So, à Llívia
Tour Bernat de So, à Llívia

Depuis cette date, les élus de Llívia veillent à faire respecter scrupuleusement le traité des Pyrénées. Dans les années 1970, ils se sont opposés à l’installation de panneaux « Stop » sur la route, installés par l’État français pour réduire le nombre d’accidents, mettant en avant le fait que cela entravait la libre circulation comme elle est prévue dans le texte du XVIIe siècle. Plus récemment, ils sont montés au créneau pour dénoncer l’installation d’un rond-point, pour les mêmes motifs.

Mais les autorités espagnoles ne sont pas en reste, comme l’atteste cet « incident » du 10 novembre 2019. Ce jour-là, le conseil municipal de Llívia avait dénoncé le comportement de la Guardia Civil, rapportait le quotidien régional L’Indépendant. Une vingtaine de policiers espagnols étaient venus patrouiller dans l’enclave, mitraillette à la main, à l’occasion des élections générales. Une violation manifeste du traité de Llívia, avait rappelé l’édile de la commune, rappelant que le document n’autorisait que quatre hommes armés sur son territoire, car au-delà, leur présence pouvait être considérée comme une tentative d’invasion militaire.

Le maire (indépendantiste catalan) a donc adressé une protestation officielle au préfet des Pyrénées-Orientales, ainsi qu’aux ministères français et espagnol de l’Intérieur. Autant d’autorités garantes, selon lui, du fameux traité des Pyrénées.

Gautier Demouveaux
Ouest France

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