La procession des flambarts, dont l’origine très ancienne est inconnue, s’est constituée à Dreux jusqu’en 1790, malgré les efforts des intendants généraux pour abolir cette coutume où ils voyaient un danger incessant pour la sécurité de la ville. Dès 1723, après l’incendie si effroyable de la presque totalité de Châteaudun, un arrêté avait été rendu interdisant les flambarts et portant défense à toute personne d’en porter à l’avenir, sous peine d’amende et d’emprisonnement.
L’autorité ecclésiastique fit cause commune avec l’autorité civile, et du haut des chaires des églises furent lancés plusieurs fois des blâmes sévères contre les sectateurs de cet ancien usage. Mais rien ne put vaincre l’obstination des habitants ; ils furent insensibles aux amendes de l’intendant aussi bien qu’aux sermons de leurs curés ; chaque année vit croître le nombre des délinquants : bientôt les magistrats de la ville eux-mêmes se mirent à la tête des contrevenants, et force fut de laisser tomber en désuétude l’arrêté sévère de 1723.
L’hôtel de ville de Dreux,
au XVIIIe siècle |
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Le flambart était un brin de chêne long de cinq à six pieds, fendu en plusieurs éclats par le gros bout : on ne peut mieux le comparer qu’à une lardoire. Quand il était fendu, on le faisait sécher au four pour le rendre plus combustible. Le jour de la cérémonie, qui était toujours la veille de Noël, à cinq heures précises du soir, toutes les personnes qui voulaient prendre part à la fête, hommes, femmes, filles et garçons d’un âge raisonnable, de tout état, de toutes conditions, s’assemblaient par quartier.
Au premier son de la grosse cloche de l’hôtel de ville, signal ordinaire, ils allumaient leurs flambarts, les mettaient sur l’épaule, comme on porte un fusil, et partaient tous en rang et en bon ordre, accompagnés de tambours, violons et autres instruments, pour se rendre dans la grande rue. Quand ils y étaient tous arrivés des divers points de la ville, ils se rangeaient de nouveau par ordre et par état ; les violons et les tambours s’échelonnaient de distance en distance ; au centre du cortège se plaçaient des jeunes gens vêtus de blanc, portant des crèches sur des brancards ; puis la procession se mettait en marche.
On faisait trois fois le tour de la halle en chantant : Noël ! Noël ! Noël ! De là on se rendait à l’église Saint-Pierre dont on faisait le tour une seule fois ; après quoi tous les flambarts étaient disposés en un monceau devant le grand portail de l’église, où l’on chantait l’hymne de Noël : « Veni, redemptor gentium » ; et, lorsque la dernière flamme était éteinte, chacun retournait tranquillement dans sa demeure.
Quelle était l’origine de cette étrange cérémonie ? Un souvenir des premiers temps du christianisme, s’il faut en croire les habitants de Dreux. Voici, en effet, ce qu’ils disent dans une requête adressée par eux le 15 février 1756 à l’intendant général de la province, pour qu’il lui plût rétablir la procession des flambarts, supprimée, comme nous l’avons vu, de droit sinon de fait, depuis l’année 1723.
« Il est certain que les druides, nos ancêtres, avaient dressé dans un antre, longtemps avant la naissance de Jésus-Christ, un autel dédié à la Vierge qui devait enfanter. Cet antre subsiste encore : c’est la chapelle Notre-Dame Sous-Terre dans la cathédrale de Chartres. Cet autel fut donc l’effet de l’inspiration divine. Dans le premier siècle, Saint-Potentien et ses compagnons vinrent à Chartres et à Dreux pour y prêcher la foi. Ils prirent occasion de l’inscription de cet autel dédié à la Vierge, de prêcher l’Évangile, comme saint Paul à Athènes le prêcha à l’occasion de l’autel qu’il trouvait érigé à un dieu inconnu. Les druides, charmés d’apprendre l’accomplissement de leur prophétie, écoutèrent avec plaisir les vérités qu’on leur annonçait. Ils étaient alors rassemblés à Dreux pour y faire leurs sacrifices ; mais au lieu d’aller dans la forêt couper le gui de chêne avec la serpe d’or, ce qui était chez eux une grande cérémonie, ils reçurent l’Évangile, renoncèrent à leurs anciennes superstitions, firent des fêtes pour honorer la naissance de l’enfant divin, et, brûlant ce qu’ils avaient adoré, portèrent des flambarts de ce bois de chêne qu’ils vénéraient autrefois... Voilà, Monseigneur, d’où nous sont venus les flambarts. »
Quoi qu’il en soit de cette origine merveilleuse, la procession des flambarts de Dreux avait une grande réputation avant 1789. En 1740, le Mercure consacra un long article à en faire la description. Le 24 décembre 1785, le duc de Penthièvre, qui résidait en ce moment à Anet, se rendit exprès à Dreux pour jouir du coup d’oeil de la cérémonie. Une représentation fidèle de cette procession était autrefois gravée sur le pourtour de la cloche de l’hôtel de ville de Dreux, fondue en 1561 ; on y voyait soixante-quatorze personnages, prêtres, magistrats, échevins, femmes et enfants, portant des flambarts allumés sur leurs épaules ou les allumant en marchant. Cette cloche a été cassée en 1838.
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