LA FRANCE PITTORESQUE
Klapperstein ou pierre
des mauvaises langues (Mulhouse)
(Extrait de « Notice historique sur le klapperstein
ou la pierre des mauvaises langues », paru en 1856)
Publié le jeudi 13 août 2015, par LA RÉDACTION
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Au Moyen Age un homme qui en injuriait un autre, payait une amende de quelques sous ; si au contraire une femme « disoit vilonie à une autre », elle payait également l’amende ; mais, en outre, on suspendait à son cou par une chaîne, une ou deux pierres, qu’elle était obligée de porter par la ville, précédée et suivie des gens de justice qui sonnaient de la trompe « pour la narguer et bafouer » (er to hone unde shmaheit)
 

Souvent aussi la condamnée suivait la procession « en pure sa chemise », et, après avoir été ainsi promenée d’une porte de la ville à l’autre, elle s’agenouillait à l’entrée de l’église. Pendant le trajet, la personne injuriée avait le droit de la piquer avec un aiguillon pour la faire avancer. Des documents font remonter ce genre de punition au XIVe siècle ; mais une loi en vigueur dans la petite ville d’Argonne prouve qu’en France il était déjà connu dans la seconde moitié du XIIIe siècle.

Le Klapperstein, pierre sculptée à une fenêtre de l'hôtel de ville de Mulhouse

Le Klapperstein, pierre sculptée
à une fenêtre de l’hôtel de ville de Mulhouse

1263. Loi contre les gens qui médisent des autres.
« ... Femme, qui dira lait à une autre femme, s’il est prouvé par témoignage de deux hommes ou de deux femmes, elle payera cinq solz, au seigneur quatre solz, au mayeur six deniers, et celle à laquelle elle aura dit lait six deniers. Et selle (si elle) ne veut payer l’argent, elle portera la pierre le dimanche à la procession en peure sa chemise (en pure chemise).

« Se (si) la femme dit lait à homme et s’il est prouvé par loyaulx témoignages, elle payera cinq solz, et se li homme dit lait à femme, il payera cinq solz, sans devise faire (sans faire de réclamation ; sans autre forme de procès). »

La peine de la pierre était aussi en usage dans la Frise, en Flandre et dans les pays scandinaves, ainsi que dans toutes les parties de l’Allemagne. Dans ce dernier pays, l’instrument du châtiment consistait parfois en un gros flacon de pierre, nommé Büttelsflache, flacon du bourreau, sur lequel étaient représentées deux femmes qui se querellent. D’autres dénominations de cet instrument sont Kroetenstein, pierre du crapaud ; Schandstein, pierre d’infamie ; Lasterstein, pierre du vice ; Fiedel, violon ; Pfeife, sifflet.

En Alsace, Auguste Stoeber n’a pu trouver l’application de cette punition que dans deux localités du Haut-Rhin, savoir : à Mulhouse et à Ensisheim. La pierre qui servait à cet effet à Mulhouse, et qui porte le nom de Klapperstein ou Lasterstein, existe encore aujourd’hui ; elle est suspendue par une chaîne au-dessous d’une fenêtre de l’hôtel de ville, en face de la rue Guillaume Tell. Elle pèse environ douze kilogrammes, et représente une tête de femme grotesque qui ouvre de grands yeux écarquillés et tire la langue. Au-dessus de la chaîne qui la retient au mur, se trouve l’inscription suivante :

Zum Klapperstein bin ich gennant,
Den boeszen Maeulern wohl bekannt,
Wer Lust zu Zank und Hader hat,
Der musz mich tragen durch die Stadt.

C’est-à-dire :

Je suis nommée la pierre des bavards,
Bien connue des mauvaises langues ;
Quiconque prendra plaisir à la dispute et à la querelle
Me portera par la ville.

Pierre des bavards, des mauvaises langues, le mot Klapperstein vient du verbe klappern signifiant claquer, caqueter, bavarder. Cette expression se trouve fréquemment dans les auteurs alsaciens du XVe siècle. A Strasbourg, une petite rue est nommée Klappergasse, rue du Caquet ; la maison des aliénés, à Ensisheim, était appelée Klapper.

D’après Henri Pétri, secrétaire de la ville, plus tard bourgmestre, et historien de Mulhouse, au commencement du dix-septième siècle, la peine du Klapperstein était regardée comme infamante et peu inférieure à celle du carcan.

A Mulhouse il n’existait qu’un seul exemplaire du Klapperstein ; s’il arrivait que deux femmes fussent condamnées à le porter, l’une d’elles se chargeait de ce lourd et singulier collier depuis la place publique jusqu’à l’une des portes de la ville, où l’autre la relevait alors. Un écriteau attaché sur le dos de celle qui momentanément ne portait pas la pierre, indiquait les noms et prénoms des deux bavardes, ainsi que la nature du délit. Un de ces placards, écrit en gros caractères romains, sur du papier fort, de 32 centimètres de haut sur 29 de large, est conservé dans les archives de la mairie. Le Klapperstein a été employé à Mulhouse jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, c’est-à-dire jusqu’à la réunion de cette ville à la France, en 1798.

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Tous droits réservés. Reproduction interdite. N° ISSN 1768-3270.

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