LA FRANCE PITTORESQUE
Mois de mai (Usages anciens liés au).
Plantation du mai
(D’après un texte paru en 1854)
Publié le vendredi 22 janvier 2010, par LA RÉDACTION
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Une preuve que le premier mai ramenait anciennement la fête de la Terre, c’est la manière dont se célébrait encore au XIXe siècle dans le département de la Drôme la plantation du mai. Une des places de Montélimar, dit de la Croix, dans la statistique de ce département, porte le nom de Mai ou des Bouviers. C’est là que, le 30 avril de chaque année, les bayles et les laboureurs plantent le mai. C’est un prélude à leur fête des laboureurs, qui a lieu à la Pentecôte. La fête durait autrefois trois jours, comme la Pentecôte elle-même. Elle fut réduite à un seul en 1818, époque à laquelle on la ressuscita dans le pays, à Montélimar, à Valence, à Beaumont, à Montéléger, à Meyran, à Upie.

Le roi de la fête, choisi par les jeunes gens, a pour sceptre une pique couronnée d’épis de blé. Tous les assistants ont à la boutonnière un bouquet d’épis. Autrefois, la fête du lendemain (1er mai) était gaie : les laboureurs, avec leurs syndics, montés sur des mules bien harnachées et ornées de rubans, menant chacun en croupe une femme ou une fille de laboureur, parcouraient avec la musique les fermes des environs ; distribuaient le pain bénit dans chacune ; donnaient des sérénades, et faisaient danser les villageoises. Une table bien servie les attendait partout.

Ici, nous ne voyons figurer qu’un roi ; mais nous devons supposer qu’en ressuscitant, en 1818, une cérémonie populaire tombée en désuétude, on ne l’a renouvelée qu’à demi, les jeunes filles n’ayant peut-être osé s’offrir pour représenter la reine de mai. Mais, dans le département de l’Isère, qui a mieux conservé, sous ce rapport, les usages traditionnels de la Province romaine, on voit figurer ensemble une reine et un roi, ce qui présente une image plus sensible de l’union conjugale, celle de Maïa et du maître des cieux. Dans ses Nouvelles recherches sur les patois, Champollion-Figeac, parlant des usages celtiques qui résistent à toutes les influences, aux environs de Grenoble, dit : « Parmi ces pratiques, nous ne citons que la fête du 1er mai, où l’on élit un roi et une reine, que l’on pare et élève sur un trône exposé aux regards des passants. On se rappelle à ce sujet, ajoute-t-il, le champ de mai, qui fut ensuite transformé en un champ de mars ».

L’auteur de La Nouvelle Astrée, Masson de Montbéliard, qualifie cette fête de la Terre de fête du Printemps ; il a raison ; mais nous la caractériserions mieux en disant que c’est la fête de la Terre en son printemps. « Le premier jour de mai, dit-il, se célèbre encore dans le pays de Montbéliard et les contrées voisines : c’est un reste de la fête du printemps des païens, et ce sera toujours celle des bergers ». Ceci se rapporte avec la dénomination de place de Mai ou des Bouviers, à Montélimar. C’est également la fête des bergers à Domblans (Jura) où chaque maison aisée leur donne des gâteaux, des œufs, des fruits, du vin pour la célébrer. Les adultes qui ne sont plus bergers regardent aussi le premier mai comme la fête de la jeunesse. Le printemps n’est-il pas en effet la jeunesse de la Terre ?

Masson ajoute : « Plusieurs détails de cette fête en sont les mêmes ; comme le choix de la Belle de Mai (qu’on nomme la Mairiotte) les chants, les danses et les jeux des bergers. Cette fête se termine encore par un repas champêtre qu’ils prennent ensemble dans le pâturage, et auquel la commune contribuait jadis, en quelques endroits ».

Le nom de Mairiotte que l’on donne à la Belle de mai dans l’arrondissement de Montbéliard, nous arrête. Signifie-t-il simplement la petite mariée ou bien est-il un diminutif de maire qui, dans cette circonstance, indiquerait la reine, la supérieure, car le mot maire, en vieux langage français, a présenté ce sens ? Ou bien indiquerait-il une petite déesse Maire, avec laquelle l’épousée du mois de mai parait avoir eu, dans le temps, de la ressemblance ?

L’usage de planter le mai est universel, et n’appartient pas plus à telle province qu’à telle autre. On plante un arbre fleuri ou un arbre surmonté d’une couronne de fleurs à la fenêtre des jeunes filles qui sont aimées et qui méritent un pareil témoignage d’estime. Mais, dans la chaîne du Jura, on eut coutume d’apporter un arbre feuillé devant la demeure d’un maire nouvellement élu, par extension de la coutume plus ancienne qui se pratiquait à l’élection des maires au champ de mai, laquelle avait lieu le premier jour de l’année celtique. Des chartes mentionnent ces élections de maïeurs et d’échevins au mois de mai. Les assemblées électorales se tenaient au sein des forêts druidiques ; on y choisissait les magistrats et les Valentines : le maire pour régir les affaires communes dans le cours de l’année ; la Valentine, jeune fille à marier, pour présider avec son Valentin aux fêtes de la jeunesse. On leur rapportait deux arbres de la forêt pour en décorer leur séjour, et manifester par cette enseigne le double choix de la population.

Il paraît même qu’à une période de temps très reculée, celle où nos pères obéissaient aux ordres des femmes sacrées de la Gaule, les fonctions municipales étaient confiées au beau sexe. Il est probable aussi que, dans l’origine, la personne choisie pour représenter la déesse de la Terre sur le char qu’on promenait dans les campagnes, était une de ses prêtresses, et nul n’ignore que ces filles inspirées étaient des vierges, en qui les Celtes reconnaissaient quelque chose de divin. Nul n’ignore également que les Galls s’étaient pliés au joug imposé par la femme, et que même, au temps d’Annibal, il y avait encore dans les Gaules des femmes chargées de rendre la justice.

Sans doute, ces femmes-juges étaient de celles qui jouissaient déjà de l’ascendant que donne sur l’esprit du peuple l’autorité du sacerdoce ; et nous voilà naturellement conduit à conclure que les sommités de la magistrature théocratique de nos cités gauloises et d’autres états, se composaient alors de filles sacrées telles que pouvaient être les Aurinie et les Velléda, sans les conseils de qui nos aïeux n’osaient rien décider dans les affaires publiques. De là peut-être cette maxime d’une portée si étendue et si généralement admise : Toute autorité vient de Dieu.

Et ne semble-t-il pas trouver une dernière trace de cette constitution primitive dans le titre que portait, chez les Edus, le premier magistrat de Bibracte ? Le titre de vergobret que lui donne César ; celui de verg, qui le distinguait encore en l’an 1200, et celui de vierg qui a subsisté jusqu’au dernier siècle, pour désigner le maire de cette ville, n’auraient-ils pas été continués par la force de l’habitude aux agents de l’administration, après la révolution politique qui avait jadis fait passer, des mains féminines à des mains mâles, le sceptre du gouvernement civil de la cité ? Ainsi Vergobret signifierait la vierge qui juge (Bullet affirmant que breth a signifié juge, et breit sentence).

Pour n’être pas mal compris, répétons-nous. Nous n’entendons pas dire que le Vergobret, du temps de César ait été une vierge , une druidesse vouée à la chasteté : nous voulons dire seulement qu’avant cette époque certaines vierges consacrées à la divinité remplissaient dans la Celtique les premières fonctions de l’état, et que le titre de Vergobret a pu survivre encore longtemps à l’abolition de ce régime. On ne trouvera pas moins singulier que le titre de maire ait été commun aux hommes et aux femmes revêtus de l’autorité, et qu’il ait signifié vierge. Maire, en vieux langage français, était employé pour reine et pour supérieure de couvent, parce que maire présentait en même temps le sens de plus grand, comme maïeur.

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