On ignore l’origine du mot Noël, qui semble particulier à notre langue ; on ne le trouve ni dans la liturgie grecque, ni dans la liturgie latine, et, malgré sa désinence hébraïque, il est également étranger à l’hébreu. L’étymologie la moins improbable serait celle qui ferait dériver Noël du mot natale, nom latin de cette glorieuse fête.
Chez nos pères, ce mot était une exclamation de joie : le cri magique Noël ! Noël ! était en effet la vieille acclamation de bonheur de nos aïeux, quand un prince chéri venait les visiter, quand une reine donnait un héritier à la couronne, quand une victoire était remportée.
On a donné le nom de Noël à des cantiques populaires, destinés à célébrer le Messie attendu ou déjà arrivé. Nos pères les aimaient et les chantaient durant les longues veillées de l’Avent. En Normandie, en Bourgogne et dans plusieurs autres provinces, aux quatre dimanches qui précèdent Noël, les hautbois de l’Avent, ménétriers rustiques payés par la ville, s’en allaient de maison en maison, confiant aux échos de la nuit leurs pieuses mélodies. Un événement qui montrait dans la crèche de Bethléem le divin Libérateur, depuis tant de siècles promis à la terre, apportant la paix aux hommes de bonne volonté, dans cette nuit de Noël que nos ancêtres, selon Bède, appelaient la mère et la reine des nuits, devait naturellement obtenir la préférence sur beaucoup d’autres fêtes de l’année chrétienne, et devenir le premier objet du culte de la poésie populaire.
Bergers se préparant à aller à la crèche en suivant l’Etoile. Gravure extraite du Calendrier des bergers (1500) |
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Aussi le Noël, se produisant dans les mille dialectes de la langue romane, dès que le peuple, au IXe siècle, cessa d’entendre le latin, retentit dans tous les sanctuaires de la France, d’où il se propagea dans les églises des autres nations de l’Europe. Toujours simple et naïve, cette poésie des cités et de la chaumière était colportée par les trouvères et les troubadours ; à la faveur du chant qui en était toujours l’accompagnement obligé, elle se gravait dans toutes les mémoires, s’acclimatait au foyer domestique et se transmettait comme un héritage de génération en génération. La grande Bible des Noëls remplaçait à l’intérieur les mystères de la Nativité, représentés sur la place publique. Quelques Noëls étaient même distribués par personnages et pouvaient être à la fois joués et chantés. Tel est celui où l’on voit Joseph et Marie cherchant un asile dans Bethléem et ne trouvant partout que des refus.
Notre littérature a conservé les noms de quelques-uns de ces rapsodes chrétiens. En 1520, on imprima à Paris les Noëls de feu maître Lucas le Moigne, en son vivant curé de Saint-George du Pui la Garde, au diocèse de Poitou, et, en 1558, les Cantiques du premier advènement de Jésus-Christ par le comte d’Alsinois. Tours vit publier, en 1673, La grande Bible des Noëls vieux et nouveaux. On trouve dans ce dernier recueil le célèbre Noël qui commence par ces mots : « A la venue de Noël / Chacun se doit bien réjouir ».
Besançon a produit deux auteurs de Noëls, Christin Prost, capucin, mort en 1696, et François Gauthier, imprimeur-libraire de cette ville, où il mourut en 1730. En Bourgogne, tout le monde lisait, tout le monde chantait, tout le monde apprenait les Noëls Bourguignons de Gui-Barôzai (Bas-Rosé), vigneron célèbre qui était le chantre le plus populaire de cette ancienne province. Plus tard, en 1701, Bernard de la Monnoye publiait, sous le pseudonyme et sous la protection de son devancier, Gui-Barôzai, ses spirituels et malins Noëls, résultat d’un défi, qui ont acquis une assez grande célébrité pour être réédités à Paris (1842), avec une traduction littérale en regard du texte patois et avec de nombreuses.
L’idiome provençal s’est personnifié avec éclat, sous le règne de Louis XIV, dans un poète qui, par ses mérites divers et le nombre de ses productions, n’a pu avoir ni rivaux ni imitateurs. Nous voulons parler de l’abbé Nicolas Sabely, bénéficier et maître de musique de l’église collégiale de Saint-Pierre-d’Avignon, où il mourut en 1675, à l’âge de 61 ans, non loin de Monteux, son pays natal. Ses Noëls furent si goûtés de son temps qu’on les chanta dans toute la France ; on les chantait encore au XIXe siècle devant les crèches des églises, dans la Provence. Un des plus connus est le fameux Noël dei très Boumians (des trois Bohémiens), que plusieurs critiques attribuent à un autre provençal, Louis Puech. Ces Bohémiens s’offrent à dire la bonne aventure à l’Enfant-Jésus, à Marie et à Joseph, et, par la chiromancie, devinent tour à tour leurs grandeurs et dévoilent le mystère auguste de la naissance du Dieu fait homme, dans un récit semé de traits charmants et de beautés incomparables.
Le Languedoc est aussi justement fier des Noëls de Pierre Goudouli ou Goudelin, l’Homère des Gascons, né en 1579 et mort en 1649. Un autre poète patois, Arnaud Daubasse, maître peignier de Villeneuve-sur-Lot, composait, chaque année, un nouveau Noël qu’il faisait chanter à l’église par ses deux filles. Né à Moissac en 1664, il mourut à Villeneuve en 1727. En 1720, un maître d’écriture de Bordeaux, Pierre Gobain, recueillit les divers Noëls français et gascons qui étaient répandus dans le Bordelais, et en publia la collection en un volume in-48 de 90 pages. Il joignit à ce recueil quelques pièces de sa composition dans le même genre, notamment les Noëls Rébeillats-bous, meynades et puisque du premier père, que les habitants des campagnes chantaient encore avec délices au XIXe siècle. D’autres Noëls patois accusent une origine Landaise, Bazadaise ou Garonnaise, mais leurs auteurs sont inconnus.
La Nativité. Enluminure de Jean Fouquet extraite des Heures d’Étienne Chevalier |
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Ce terme de Noël, qui signifie déjà tant de choses, naissance du Sauveur, joie, cantique, a été pieusement usurpé par les adorateurs de la crèche, qui en ont fait un nom propre. Un saint l’a porté ; de hauts personnages l’ont préféré à leurs titres de noblesse et l’ont placé à côté de leur nom patronymique. Dès le IXe siècle, on dressait dans les églises, en face du maître-autel, des espèces de tentes qui simulaient la crèche du Christ. A côté figuraient un Ange, saint Joseph, le bœuf et l’âne. Divers chants liturgiques analogues à cette représentation étaient exécutés par le chœur des prêtres et des fidèles.
Dans le Journal des Savants d’août 1861, Magnin écrit qu’ « au Xe siècle, on voit s’établir dans les cathédrales et les abbayes l’usage de joindre à ces naïfs et simples offices un autre spectacle dont le sujet et la forme étaient laissés au goût et à la discrétion du préchantre ou de l’écolâtre. Emprunté presque toujours aux livres historiques ou moraux de l’Ancien Testament, aux paraboles évangéliques, à l’Apocalypse et aux légendes les plus merveilleuses des Saints et des Martyrs, ce jeu supplémentaire ajoutait tout l’attrait de la variété et le piquant de l’imprévu aux autres récréations et gracieuses réjouissances qui rendaient la célébration de Noël si chère au peuple et à une grande partie du clergé, et leur en faisait, pendant le reste de l’année, désirer si ardemment le retour ».
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