En Bourgogne, pays par excellence de l’hospitalité cordiale et généreuse, la bonne chère est de règle. Dans sa capitale comme dans ses grands centres, on trouve, aussi bien que dans la capitale de la France, des artistes culinaires qui, comme leurs collègues parisiens, ont la maîtrise des méthodes et le talent inné des hautes conceptions gourmandes. Mais ce n’est pas de la grande cuisine classique que nous voulons parler ici : c’est de la cuisine locale, des vieux plats dont quelques-uns sont sans doute oubliés.
Citons d’abord la potée, où se confondent choux, carottes, navets, pommes de terre, lard salé et cervelas, à la fois soupe et plat de résistance, la potée qui sera éternelle comme la Bourgogne où elle est née. D’autres provinces ont aussi la leur qui n’est pas sans mérite, et qui se spécialise, ici, par le farci, plus loin par le confit d’oie et partout par le saucisson de pays. Elles sont excellentes, ces garbures, mais les gourmands bourguignons affirment que la leur est meilleure, parce qu’elle est celle de leur petite patrie. Puis, voici la daube, la succulente daube qui, au temps où les ustensiles de fonte étaient inconnus, mijotait des heures et des heures devant la cheminée, dans son pot encerclé d’un haut rempart de cendres étoilé de braisillons renouvelés, avec quels soins ! par la vestale du lieu... La daube, c’était le plat des grasses lippées, des solennités familiales, baptêmes, mariages, fête du pays et, en ces occasions, les ménagères débordées recouraient parfois au four du boulanger.
Aujourd’hui, elle est remplacée généralement par la pièce de bœuf piquée en bœuf à la mode, marinée et braisée au vin rouge, avec accompagnement de lardons, petits oignons et champignons. C’est ce qu’on appelle la Pièce de bœuf à la bourguignonne, très acceptable à la vérité quand elle est conduite avec les soins voulus, mais qui n’a point quand même cette succulence dernière de la vieille daube préparée selon les rites, avec addition calculée d’aromates, condiments et éléments gélatineux (pieds de veau et couennes fraîches) et mijotée, comme de nos jours fiévreux on n’a plus la patience de le faire. Le souvenir de ce qui est bon, de ce qui laisse aux sens une agréable impression gustative ne s’oublie pas : la daube doit retrouver sa faveur d’autrefois.
De l’escargot, spécialité gourmande incontestée de toute la Bourgogne, il faut bien dire un mot, car, à la vérité, nous ne voulons et ne pouvons admettre comme tels, ces escargots de haies à coquilles multicolores que l’on nous offre effrontément sous cette appellation, qui est une injure faite à l’huître de Bourgogne. L’escargot, le vrai, le seul, c’est celui qui, aux approches de l’hiver se casemate derrière sa cloison calcaire et que les vignerons déterrent au pied des ceps. Il n’en est pas d’autre et l’escargot n’est vraiment « lui » qu’après sa mortification volontaire. On nous a conté qu’autrefois, par des déprédations scélérates d’exploiteurs sans scrupules, le cornard des vignes bourguignonnes faillit disparaître totalement, et que le Conseil général de la Côte-d’Or ne crut pas déroger à son mandat en intervenant pour sa protection, et en mettant le préfet en demeure d’interdire rigoureusement son ramassage pendant un temps déterminé. Quelle affaire ! L’escargot n’étant point compris parmi les êtres vivants que protègent les arrêtés préfectoraux.
L’escargot n’est point un gibier, arguait le préfet ! Qu’il le soit, rétorquèrent les conseillers ; et c’est ainsi que par un baptême à la Gorenflot, le mollusque terrestre fut désormais, comme gibier, placé sous la sauvegarde de l’autorité départementale. Nous ne nous arrêterons pas à exposer le mode initial - car il y en a plusieurs - de préparation à la « mode bourguignonne » de ces morceaux friands, et viande exquise si fort appréciée des nobles Romains, comme écrivait Daigue en 1550. Nous devons tout au moins signaler cette étrange particularité, et cette croyance enracinée chez les vieilles ménagères - elle l’est peut-être encore chez les jeunes - que sans addition d’un sachet de cendres les escargots ne cuiraient pas. Comment en expliquer l’usage - car son utilité est absolument niable -, sinon pour une raison symbolique.
Dans les temps très anciens, un plat d’escargots devait obligatoirement être servi dans tout repas funèbre et le sachet de cendres adjoint à leur cuisson figurait une sorte d’hommage rendu aux cendres des morts. Et comme certaines traditions ont la vie dure, celle du sachet de cendres s’est perpétuée à travers les siècles.
La cuisinière. Peinture de Willem van Mieris |
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Comme spécialité gourmande du pays de Crébillon, signalons en passant la Queue de bœuf à la vigneronne dont la recette fut cueillie par Escoffier dans les cuisines d’un hospitalier manoir des environs de Nuits-Saint-Georges. Et elle n’est pas du tout banale cette préparation de queue de bœuf qui, à une condimentation bien réglée ajoute une copieuse addition de grains de raisins, et un mijotage long et régulier fait de cette chair gélatineuse une substance fondante. C’est ce qu’on peut appeler un plat dans la note locale.
Est-il un Bourguignon bourguignonnant qui ignore la Meurette ? S’il en est un, honte à son ignorance. La meurette, où sous les flammes bleues du cognac ou du vieux marc, et dans les ondes du vin rouge - et du fameux ! - s’associent les tronçons d’anguille, de chevenne et de tanche. Observons, cependant, que les vrais amateurs y exigent la truite comme dominante et que la meurette n’est pas complète si elle n’est accompagnée des croûtons en pain bis, grillés et frottés du condiment que Galien dénommait la « thériaque du laboureur » et du vigneron, l’ail pour l’appeler par son nom. Et le Poulet au sang ? Vit-on jamais un pêcheur ayant capturé dans l’Yonne un barbillon de huit livres, ne pas convier ses amis à venir célébrer sa prise sous les espèces et apparences du poulet des guinguettes de la banlieue Sénonaise ? Du poulet sacrifié, plumé, sauté en 35 minutes, montre en main, et suivi de quelques autres bagatelles réconfortantes.
Et maintenant, parlons un peu de cette transcendance de la cuisine des campagnes aux jours de fêtes carillonnées ! De la Tourte aux boulettes, énorme circonférence cerclée d’un bourrelet, dont le couvercle de pâte bronzée dissimule les rotondités d’un hachis, comme on ne le fait que dans nos pays. Et ce plat des appétits robustes n’a pas, jusqu’ici, trouvé son chantre. Nul poète n’a cru devoir accorder sa lyre pour chanter la tourte aux boulettes alliacées, qui nous fit entrevoir - il y a longtemps - les merveilles de la gastrotechnie. Soyons juste pourtant. Dans un livre de cuisine où de notoires écrivains et artistes férus de cuisine avaient cru devoir consigner leurs conceptions culinaires, l’architecte Binet, Sénonais de naissance et père de la « parisienne » en robe azur qui surmontait la porte monumentale de l’Exposition de 1900, a tenté de décrire cette tourte bourguignonne placée sous le patronage du grand saint Germain. Et il l’a décrite en architecte, gastronome émérite, nous en convenons, mais piètre théoricien de l’art porté si haut par les Dubois, les Escoffier, les Casimir, les Cubat, les Giroix etc.
Nous glissons sur une multitude de plats locaux dus au génie inventif des Rosalie, Aglaé et Brigitte bourguignonnes, pour terminer en mentionnant : la Gougère, descendante du vieux « Ramequin ». La gougère en couronne pointillée des cubes de gruyère, invariable dessert des déjeuners dominicaux bourgeois dont, au temps où nous étions jeune patronnet, nous avons promené tant et tant d’échantillons. Le Rigodon, obligatoire le jour où le four était chauffé pour la cuisson du pain dont il prenait la place. Il se faisait de deux façons : comme plat, avec addition de jambon eu de viande de porc bouillie et hachée ; comme entremets, sorte de pudding au plat, parfumé de cannelle, additionné de noix hachées appuyées de quelques noisettes et complété par une marmelade quelconque. Enfin, la Fouée, la Flamiche aux poireaux et le Tatas, toutes friandises également préparées le jour de la cuisson du pain. La louée était une circonférence - pas toujours bien régulière - en pâte à pain abaissée à l’aide d’une bouteille sur la large pelle à enfourner, relevée en bourrelet sur les bords et généreusement badigeonnée d’huile de noix, ou couverte de crème fraîche légèrement salée avec, par ci par là, quelques parcelles de beurre.
La flamiche se faisait de même, à cette différence que l’abaisse était couverte d’une épaisse couche de poireaux étuvés au beurre, cuits dans une sorte de Béchamel avec abondante addition de petits lardons. Cela se cuisait sur l’âtre, toute la surface léchée par les flammes claires de sarments disposés en couronne. La famille entière était là, attendant la défournée, car fouée et flamiche doivent se manger brûlantes. Le tatas était une sorte de galette, toujours en pâte à pain légèrement enrichie de beurre, et doré au vin ; grand régal des autochtones. Il y aurait encore à parler de l’Andouille aux haricots, de la Ferchuse aux navets, des Fricassées, des Tartes des jours de fêtes, mais il faut nous borner.
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